Les offres de téléphonie : un vaste champ de batailles... juridiques
Les opérateurs alternatifs cherchent à renforcer leurs positions en réclamant la possibilité d'utilisation des marques “de couleur” pour les clients transfuges de France Télécom, et un mécanisme plus efficace de recouvrement des factures pour le compte de tiers.
Le marché des offres de téléphonie à destination des centres d'appels a été
marqué cette année par de grands débats juridiques autour de la propriété des
marques pour les numéros “de couleur” et la facturation pour le compte de tiers
par l'opérateur historique. Depuis l'instauration de la “portabilité” des
numéros à coûts partagés il y a un an, l'entreprise peut changer d'opérateur
sans changer de numéro d'appel. Pratique quand on utilise un numéro
mnémotechnique, ou encore quand le numéro existant est intégré dans la
communication de l'entreprise. Mais, jusqu'à peu, quand un client quittait
l'opérateur historique, celui-ci lui demandait de faire disparaître de sa
charte graphique et de sa communication toutes les mentions de Numéro Vert,
Azur ou Indigo, arguant de l'appartenance de ces marques à France Télécom.
Cegetel, avec le soutien de l'ART, a saisi le Conseil de la concurrence. «
Notre objectif est de permettre aux clients d'utiliser les Numéro Vert, Indigo
et Azur, sans avoir à modifier leur charte graphique. Nous n'agissons pas
seulement pour notre compte mais aussi dans l'intérêt de tous les opérateurs
alternatifs », commente Hervé Broncard (Cegetel). En mars dernier, le Conseil
de la concurrence lui a donné raison, par une décision qui enjoint à France
Télécom de suspendre provisoirement la clause litigieuse. Qui faisait donc
obstacle à l'utilisation des marques “de couleur” en cas de portage du numéro
chez un autre opérateur. Pourtant les “alternatifs” ne crient pas victoire. «
Ce jugement vaut pour Cegetel, pas pour l'ensemble des opérateurs alternatifs.
Nous ne pouvons pas le prendre comme règle », estime Carole Delabie
(Completel). Les différents recours juridiques dans cette affaire ne sont pas
encore épuisés, semble-t-il, ce qui explique ce manque d'optimisme.
Le problème de la facturation pour le compte de tiers
La facturation pour le compte de tiers provoque aussi les contestations des
“alternatifs”. Les opérateurs estiment que le mode de fonctionnement de ces
numéros n'est pas satisfaisant. Explication : aujourd'hui, c'est France Télécom
qui facture les appels à ces numéros pour le compte du tiers, et c'est le nom
de l'opérateur alternatif qui apparaît sur la facture. Or, le particulier a
composé ce numéro pour joindre un service, sans connaître le nom de
l'opérateur. « Le particulier ne comprend pas pourquoi on le facture au nom
d'une entreprise dont il n'a jamais entendu parlé. Dans son esprit il n'a
jamais appelé cette entreprise, donc ça doit être une erreur !, explique
Sandrine Couasnon (Colt). Et bien souvent, il ne va pas payer la part revenant
à l'opérateur alternatif, là où les deux montants sont distincts sur la
facture. Or, France Télécom ne s'occupe pas de récupérer cet argent. Et nous
nous retrouvons avec des impayés. »
De fréquents refus de paiement
Cet avis est partagé par Arnaud Fayolle, chef de la gamme
téléphonie chez Completel : « Difficile pour un opérateur alternatif de
construire une offre rentable de numéros à coûts partagés car il y a une
distorsion entre les conditions faites aux alternatifs et celles de l'opérateur
France Télécom. Celui-ci n'assure pas le recouvrement des impayés. Et, avec son
cycle bimestriel de facturation, on touche l'argent au mieux quatre mois après
le service, si les factures sont payées, et six mois quand on doit passer par
une société de recouvrement. Nous ne nous battons pas à égalité, car France
Télécom detient l'arme fatale : couper la ligne ! Il serait logique que ce soit
lui qui assure ce recouvrement comme il le fait pour les numéros Audiotel, et
qu'on le rémunère selon les coûts encourus. » L'opérateur historique ne semble
pas partager ces visions. « Les services qui peuvent être offerts sur nos
propres numéros Audiotel sont soumis à des conditions strictes, obéissent à
notre code de déontologie. Il est important de distinguer la facturation de nos
propres services de la facturation des services fournis par des opérateurs
tiers », répond Didier Dillard (France Télécom). Il confirme que les refus de
paiement sont assez fréquents. Mais, d'après lui, « cela correspond, par
exemple, aux cas d'utilisation par des adolescents, et que les parents
ignorent. Nous devons traiter le recouvrement quand il s'agit de nos propres
services. D'ailleurs, nous mettons en place des mécanismes de protection des
consommateurs, un contrôle a priori du contenu, des alertes en cas de
consommation anormale… Nos concurrents pourraient faire pareil ! » Et le
recouvrement pour le compte de tiers ? « Ce n'est pas notre métier », répond
Didier Dillard.
Pas d'issue immédiate ?
Il serait
peut-être logique de mentionner le nom de l'éditeur du service sur la facture ?
« Ce n'est pas si simple. Vous achetez un service à l'opérateur, pas à
l'éditeur », ajoute Didier Dillard. Curieusement, France Télécom et les
“alternatifs” semblent être d'accord sur ce point. « Faire apparaître le nom de
l'éditeur du service sur la facture, cela sous-entend que France Télécom
connaisse les noms attachés à chaque numéro », réfléchit Arnaud Fayolle. Il
n'est pas certain que les “alternatifs” souhaitent de cette manière tenir
France Télécom informé de l'évolution de leur business. Alors, comment procéder
pour ne pas faire figurer le nom de l'opérateur sur la facture ? Voilà que les
“alternatifs” deviennent soudain très timides. Ils se sentent un peu piégés
avec cette histoire de facturation pour le compte de tiers. Et le pire, c'est
que l'on n'y voit pas d'issue immédiate. « De toutes façons, pour l'usager, ce
sont des comptes d'apothicaires. Cela ne l'intéresse pas de savoir par qui son
appel est passé », conclut très justement Sandrine Couasnon. D'après elle, ce
serait à l'ART de régler la question, comme cela a déjà été réglé pour les
numéros à coûts partagés. Avec ces numéros, il n'y a pas de mention différente
liée à l'opérateur alternatif, sur la facture du particulier. Voilà un débat
qui promet.