Les difficiles exigences d'une logique de réseau
Où se trouve Ligne Directe dans l'organisation fonctionnelle de la SNCF ?
Ligne Directe dépend, au sein de la direction d'activité
Voyageurs, de la direction Grandes Lignes. Dans le cadre du pôle Canaux de
distribution, je m'occupe, pour ma part, des ventes directes, Minitel, Internet
et Ligne Directe. Sachant que la structure internet a été filialisée à 100 %
dans la perspective de lancement d'un portail européen. Ligne Directe a un rôle
stratégique dans la définition des évolutions du réseau de distribution de la
SNCF, un rôle fonctionnel et non hiérarchique. Les vendeurs travaillant sur
Ligne Directe peuvent également être vendeurs au guichet ou à l'accueil en
gare. Nous ne sommes donc pas dans une configuration de centre d'appels
"classique" avec des télévendeurs concentrés sur la vente à distance. En fait,
la télévente n'a été reconnue comme une activité à part entière au sein de
l'entreprise que de manière assez récente.
Elle a pourtant une assez longue histoire...
Historiquement, on comptait en France une
centaine de centres de renseignements téléphonés voyageurs (CRTV), à peu près
un par département. Soit une centaine de numéros de téléphone et des équipes de
deux, trois opérateurs ou plus. Puis, avec la création de la réservation
électronique, on a créé les Résatel, une quarantaine au total. Pour le client
qui voulait s'informer et réserver, il fallait encore appeler deux numéros
différents. Au début des années 90, un groupe de projet a réfléchi à un service
de bout en bout, en travaillant à la fois sur l'organisation, sur les
compétences des agents et sur l'accessibilité pour le client. Nous avons abouti
à un découpage du territoire en 9 zones Audiotel, toutes dotées d'un ACD et
toutes accessibles à partir d'un numéro unique. La distribution d'appels se
faisant sur l'ensemble des sites de chaque zone.
Sur combien de sites au total ?
Initialement, nous voulions passer de 150 sites à
une vingtaine, regroupant chacun trois modules d'environ 20 vendeurs, soit une
soixantaine de personnes, ainsi que trois chefs d'équipe et un responsable de
site. En fait, sous l'effet d'une certaine pression pour le maintien d'emplois
dans certaines villes, nous avons arrêté la concentration à 38 sites. Certains
ne comptant qu'un module, comme à Saint-Etienne, à Valence, à
Charleville-Mézières, à Poitiers, à La Rochelle. D'autres sites sont constitués
de trois équipes. La plus grosse entité étant celle de Nantes, qui compte
quatre modules. Sur Paris, nous disposons de trois sites d'un module, qui
répondent au numéro national Ligne Directe, mais aussi au numéro régional SNCF
Ile-de-France. Au total, sur les 38 sites du réseau, on compte 70 équipes, 840
positions opérateurs, encadrement compris, et entre 1 200 et 1 350
télévendeurs, selon que l'on intègre les agents de réserve, les contractuels,
les saisonniers et quelque 150 encadrants.
Les sites sont-ils interconnectés ?
Nous avions tout d'abord opté pour un réseau
virtuel avec interconnexion des zones : un appel de Strasbourg pouvait ainsi
être traité à Bordeaux. En 1998, deux ans après la mise en route de cette
configuration, nous avons commandité une étude afin d'en évaluer la
concrétisation, en termes de ressources humaines, d'organisation, de formation,
d'animation, de pilotage... Et nous avons réalisé que l'interconnexion n'était
pas un système optimal dans la mesure où nous n'avions pas assez travaillé sur
l'information en cas de situation perturbée localement, ni sur l'information
conjoncturelle ou concernant les offres régionales. Nous avons donc mis fin à
l'interconnexion et opté pour un système avec des zones complètement étanches.
Sauf en ce qui concerne les appels parisiens qui peuvent être traités sur
toutes les zones, exceptée Marseille. Ce, parce que Paris représente entre 35 à
45 % du volume des appels.
Existe-t-il des écarts récurrents en termes de qualité de service entre les différentes zones ?
Au
niveau national, on va constater des écarts, par exemple entre la zone de Nancy
et la zone de Nantes. Et l'on sent bien qu'il faudrait davantage de souplesse,
une dose d'interconnexion pour reporter du trafic sur des zones plus
disponibles. Mais, si l'on décide de modifier le système, il faudrait aller
très vite. Aujourd'hui, le directeur de zone de Nancy va constater qu'il a une
excellente qualité de service sur sa zone. Il va donc vouloir réorganiser ses
effectifs localement de manière à faire des économies. Parallèlement, à Nantes,
on va demander des effectifs supplémentaires. Or le pilotage n'est pas
suffisamment concentré dans les mêmes mains pour que l'on puisse faire
fonctionner une logique de réseau.
Quels sont les objectifs commerciaux de Ligne Directe ?
Nous souhaitons développer le
télépaiement, d'une part, et le service de livraison au domicile du client,
d'autre part. L'objectif final étant de diminuer nos coûts de distribution.
Pour chaque canal de vente à distance, on définit des objectifs. En ce qui
concerne Ligne Directe, il est de réaliser, en 2003, 12 % du chiffre
d'affaires. Nous en sommes à un peu plus de 10 %. Je pense qu'en 2001, on aura
atteint les 11 %, contre 9 % en 1999 et 8 % en 1998. Nous gagnons en fait un
point tous les ans. Le panier moyen en télépaiement est de 450-500 francs. Soit
sensiblement supérieur au panier gare. Pour ce qui est de la livraison à
domicile, nous en sommes à 1,5 % du chiffre d'affaires. Mon objectif est que 55
% du chiffre d'affaires télépayé se fasse sur de l'envoi à domicile en 2001.
Nous en sommes à 48 %. La clientèle qui commande par Internet ou par Minitel
retire à 55 % ses billets en guichet. Pour les clients de Ligne Directe, ce
ratio passe à 72 %. La clientèle téléphone ressent donc davantage le besoin
d'être assistée. C'est pourquoi il nous faut inciter à la livraison à domicile,
afin de décharger les guichets en gare. Il est vrai que le délai de quatre
jours entre le télépaiement et le départ, incompressible pour la livraison à
domicile, pourrait logiquement constituer un frein au portage. Pourtant, nous
constatons que nos trains se remplissent de plus en plus à l'avance.
Les télévendeurs reçoivent-ils de plus en plus de consignes commerciales ?
Nous leur demandons de proposer de la réservation
et de transformer des appels d'information en vente. Et, encore une fois, de
transformer les ventes en télépaiement et le télépaiement en envoi à domicile.
Les produits commerciaux sont chez Ligne Directe les mêmes que ceux que l'on
propose à la clientèle en gare. Certes, le partenariat avec Accor pour la vente
de nuits d'hôtel a démarré en 2000 au sein de Ligne Directe et les réflexes ne
sont pas encore forcément acquis. Le partenariat Avis est plus ancien. Sur
l'ensemble des réservations voiture passées à la SNCF, entre 18 et 20 % se font
via le téléphone. Alors que, je le rappelle, Ligne Directe réalise 10 % du
chiffre d'affaires global de l'entreprise. Le réseau Ligne Directe a donc ici
complètement acquis le fait qu'il n'était pas seulement distributeur
d'information et de billet, mais un réseau de vente à part entière. Il s'est
opéré une véritable prise de conscience à différents niveaux de l'entreprise
quant à l'aspect indispensable de la vente par téléphone et du fait que
l'entreprise à tout intérêt à valoriser ses clients au travers d'un service
continu. Nous avons créé une fiche métier "télévendeur" au sein de la SNCF.
C'est déjà un grand pas.
Et par-delà la prise de conscience...
Historiquement, on nommait aux Centres de
renseignements téléphonés voyageurs les collaborateurs dont on ne voulait pas
ailleurs. A cet égard, une certaine image subsiste. Et il y a encore des
salariés qui, de ce fait, ne veulent pas spontanément travailler à Ligne
Directe. Cela dit, dès que le pas est franchi, ils reconnaissent toute la
richesse de ce métier, qui demande beaucoup de compétences, qui recouvre
l'ensemble des produits et services SNCF : trafic intérieur et international,
produits partenariats Accor ou Avis, toute la gamme tarifaire, les dessertes.
Le métier a évolué bien plus vite que son image.
Ce qui se traduit de quelle manière ?
Nous n'en sommes pas encore à une dynamique
d'accompagnement. Notamment au travers des "tandems", c'est-à-dire du travail
d'évaluation du télévendeur par le chef d'équipe. Quand on parle d'écoute,
d'enregistrement et de travail en binôme, tout le monde est d'accord sur le
principe. En 1999, en travaillant sur les formations par les chefs d'équipe,
j'ai pu constater que tout le monde était partant pour mettre en place les
outils définis. Fin 2000, lorsque j'ai voulu savoir comment les choses se
passaient, j'ai constaté que, bien souvent, rien n'était fait en matière de
tandems. Et pourtant, nous ne demandions que trois tandems par an et par
télévendeur. En fait, on sent bien qu'il existe un vrai potentiel au sein du
réseau mais qu'il manque une dynamique et un soutien au quotidien sur l'année.
C'est peut-être une question de culture d'entreprise... Nous sommes un gros
réseau et n'avons pas forcément en place tous les relais qui permettraient
d'assurer le lien entre ce qui est défini au niveau national et le terme.
Lorsque l'on lance une formation de trois jours auprès des chefs d'équipe, il
faudrait pouvoir s'assurer que, derrière, les choses suivent. Mais certains
projets vont nous permettre d'aboutir. Comme "Vitamine C", dont l'objectif est
de valoriser la ligne hiérarchique par rapport aux objectifs commerciaux et de
faire prendre conscience à un chef d'équipe, à un directeur de région que le
réseau participe aux visées commerciales de l'entreprise et qu'il faut le
dynamiser.
Quel est le volume d'appels que reçoit Ligne Directe ?
Le service est ouvert 7 jours sur 7, de 7 à 22 heures. En 1999,
nous avons mis en place un SVI frontal qui fonctionne 24 h/24 et traite en
moyenne 20 à 25 % des appels. Sur Paris, cette part baisse à 15 % car les
Parisiens sont ceux qui achètent le plus via le centre d'appels. Or, il n'est
pas possible de passer commande sur le SVI. Nous traitons en moyenne 60 000
appels par jour et on peut enregistrer jusqu'à 100 000 appels quotidiens. Par
exemple, au mois de décembre 2000, nous avons lancé une promotion sur des
billets à 100 francs pour le 31 du mois. Le jour d'ouverture de la vente, le 27
décembre, nous avons reçu 160 000 appels. C'est dire que le taux
d'insatisfaction était important. Notre objectif est de répondre à 90 % des
appels. Aujourd'hui, nous en sommes à 83 % de moyenne sur l'année. Avec des
hausses à plus de 90 % en février-mars et des baisses à 70-75 % en mai, juin et
juillet. Mais, tant que l'on n'arrivera pas à faire changer nos organisations,
à les rendre plus souples, on aura du mal à atteindre les 90 %.
Vous êtes soumis à une grande saisonnalité de l'activité. Comment la gérez-vous au niveau de Ligne Directe ?
De janvier à début avril,
tout comme en septembre-octobre, l'activité est plutôt creuse. De mai à août,
nous devons redimensionner à la hausse avec nos "renforts", c'est-à-dire des
équipes mises en place localement sur proposition du responsable de zone, qui
retravaille son organisation. Ce qui fait que, dans la mesure où les ressources
sont parfois partagées entre les gares et le téléphone, il faut faire des
choix. Par exemple, celui de ne pas fermer un guichet. Parce que 30 clients qui
attendent au guichet, ça se voit, alors que 30 autres patientant au téléphone,
ça ne se voit pas. Au niveau national, la consigne est plutôt d'intégrer les
ressources et de gérer des équipes de réserve avec une programmation stricte
des renforts en télévente.
Comment sont constitués précisément ces renforts ?
Sur la base de contrats avec des personnels extérieurs.
Notre pointe d'activité démarre au mois de mai et se poursuit jusqu'au 15 août.
Période durant laquelle il est difficile de trouver des étudiants disponibles.
Nous avons généralement des renforts programmés pour être opérationnels à fin
juin. Mais alors, mai et juin nous posent problème. Nous aurions besoin d'une
réflexion sur le recours à de l'intérim pour des périodes ponctuelles. L'idée
est dans l'air. Mais, socialement, au sein de l'entreprise, c'est un sujet
délicat.
Quelle est la durée de la formation ?
Les
nouveaux télévendeurs ont une formation de base d'une trentaine de jours, avec
un cycle en alternance terrain et école. Exactement comme les vendeurs en gare.
Puis, à la prise de poste, ils suivent une formation complémentaire de deux
jours, dédiée à la vente par téléphone. La formation continue, quant à elle,
porte davantage sur les produits que sur le métier téléphone. Les saisonniers
d'été suivent, eux, jusqu'à deux semaines de formation durant les vacances
d'avril, puis quelques jours encore quand ils entrent en poste l'été.
Et les perspectives en matière d'évolution des carrières ?
En moyenne, on reste à Ligne Directe cinq ans. Mais certains
télévendeurs sont là depuis 15 ans. Si l'on considère la force de vente de la
SNCF, il n'y a pas 36 000 métiers : la télévente, la vente en gare, la vente en
guichet. Après, les évolutions se font par la hiérarchie. Si l'on devait
évoluer, il faudrait évoluer sur le métier du téléphone lui-même et imaginer de
faire de l'émission d'appels, par exemple. Mais il y a des contraintes
sociales. Des contraintes techniques aussi : nos ACD ont un peu plus de 10 ans.
Et des contraintes liées à l'outil de vente lui-même. Le poste de vente d'un
télévendeur - fonctionnalités de télépaiement et de livraison à domicile en
plus - est le même que celui d'un guichet. Nous n'avons pas de CTI. Le projet
de refonte de l'outil de vente, Mosaïque, aboutira, en ce qui concerne Ligne
Directe, mi-2001. Avec le travail qui sera fait sur les autocoms, on peut
penser que nous aurons plus de souplesse et des pôles de compétences davantage
répartis sur le territoire.
Les télévendeurs bénéficient-ils d'un intéressement quelconque ?
L'intéressement financier aux résultats
est à la SNCF un sujet tabou. Le salaire d'un télévendeur est le même que celui
d'un vendeur en gare, soit entre 6 500 et 11 000 francs mensuels brut.
L'encadrement peut aller jusqu'à 13 000-14 000 francs. Nous avons introduit la
stimulation, qui n'est d'ailleurs pas harmonisée sur l'ensemble des sites. Il
s'agit d'avantages en nature - chèques cadeau, nuitées d'hôtel, chèques voyage,
à titre individuel ou par équipe -, principalement liés au télépaiement, à
l'envoi à domicile et à la qualité de service. Un chef de zone peut, par
exemple, définir localement un mécanisme de stimulation basé sur la qualité du
dialogue. Deux fois par an, une société extérieure mesure la qualité de service
sur l'ensemble des sites. Nous progressons doucement, mais nous progressons.
Nous savons dire "bonjour" au client à 100 %, ce qui constitue un grand acquis.
Comment gérez-vous les arrêts de travail ?
La
télévente n'est pas, du moins d'un point de vue national, la plus concernée par
ces mouvements au sein de la SNCF. Localement, certaines zones sont plus
souvent que d'autres en arrêt de travail, comme la zone de Marseille. Lorsqu'il
y a une grève locale sur un établissement, le trafic se répartit ; ce qui se
solde simplement par un taux de réponse un peu moindre. Mais on ne s'est pas
donné les moyens de s'assurer des renforts du côté de l'intérim, par exemple.
S'il s'agit d'un mouvement national, propre à la SNCF dans son intégralité ou à
la télévente seulement, les effets seront plus sensibles pour le client. Il y a
un an ou deux, nous avons connu de grandes grèves à la SNCF. C'est moins le cas
aujourd'hui. L'entreprise connaît potentiellement deux grosses grèves chaque
année.
Quelles sont les revendications syndicales des télévendeurs ?
Il y a trois vieux démons à Ligne Directe, qui seront plus
fortement agités là où la CGT ou SUD sont davantage présents : la surcharge,
les conditions de travail "épouvantables" et la temporisation, c'est-à-dire le
temps de pause entre deux appels. Aujourd'hui, la temporisation est de 23
secondes, ce qui est le résultat d'une négociation difficile, menée en 1998 à
l'issue d'un grand bilan ressources humaines. Les télévendeurs réclamaient un
temps plus important. A l'époque, la temporisation était de 15 secondes. Elle
est passée à 23, mais ce n'est pas complètement harmonisé au niveau national.
Les temporisations ayant historiquement été définies localement, celles qui
étaient supérieures à 23 secondes le sont restées. En fait, à la SNCF, le
climat n'est jamais complètement serein. On en est toujours à se dire : et si
ça se passe mal, et si et si... Mais Ligne Directe ne connaît pas de conflits
particuliers. Je trouve même que le réseau se porte plutôt bien.
Biographie
Claudine Escure, 43 ans, est entrée à la SNCF il y a une vingtaine d'années, comme vendeuse en guichet à la gare Saint-Lazare. Elle a ensuite travaillé sur la formation et l'animation au sein de la direction Grandes Lignes, puis sur le suivi de l'activité Minitel, la télématique embarquée ou encore le lancement de Socrate, l'outil de réservation de la Société nationale. Après avoir été nommée responsable de la zone de Paris au sein de la direction Grandes Lignes, elle est depuis un an animatrice du réseau Ligne Directe.