La qualité, en avant toute !
La qualité entre dans les centres d'appels. La création de la certification NF 345, dédiée spécialement à cette activité, conforte les prestataires dans leur démarche qualitative. C'est, pour eux, face aux outsourcers délocalisés notamment, un moyen de valoriser leurs expertises. Mais, si la norme améliore la productivité et permet de mieux structurer son organisation, elle est aussi responsable d'une standardisation croissante des tâches. Le danger étant de l'appliquer sans tenir compte du savoir-faire et des contraintes des téléopérateurs.
«Professionnalisation.» Eric Dadian, président de l'Association française
de la relation client (AFRC), n'a que ce mot à la bouche. C'est par-là que
passera, selon lui, du moins en partie, la “revalorisation” des métiers des
centres d'appels. Après avoir beaucoup planché sur la création de diplômes et
sur la mise en place de cursus de formation professionnelle continue, voilà que
désormais l'AFRC, en partenariat avec le Cned, peaufine la mise en place d'une
norme de qualité de services. Cette certification Afnor, spécialement dédiée
aux centres de relation client, sera ouverte aux entreprises désireuses de se
plier à son référentiel, à compter de mars 2004. Christelle Badet, ingénieur
développement et responsable du marché services chez Afnor Certification,
escompte qu'à court terme entre 20 et 25 % des centres de contacts seront
certifiés. «On considère qu'une certification devient un objectif, qu'elle est
un signe distinctif, quand environ un quart des entreprises du secteur concerné
se la sont appropriées. » Ce qu'Eric Dadian traduit en un concept efficace : «
C'est un moyen de dumper le marché. Les centres certifiés entraînant le
mouvement vers le haut. » Connue sous le nom de certification NF 345, elle
correspond à une obligation de résultat. Pour l'obtenir, les centres de
contacts s'engagent à se conformer à sa grille d'évaluation quant à
l'organisation interne du travail. Outre la mise en œuvre initiale de la norme,
les entreprises seront auditées tous les ans par des experts de l'Afnor. La
certification étant, à chaque fois, susceptible de leur être retirée. « Cette
certification s'inscrit dans une démarche qualité. C'est un outil de
structuration pour les centres d'appels qui s'y réfèrent parce que cela les
oblige à revoir toute leur organisation, toutes les procédures mises en places
pour tenter de les améliorer. Cela permet de valoriser l'activité de services.
Cela permet d'améliorer les pratiques », avance Eric Dadian. Pour l'AFRC,
cette certification est aussi une réponse qualitative face aux exigences,
souvent exclusivement financières, des donneurs d'ordres. « On institue une
relation de transparence entre prestataires de services et donneurs d'ordres »,
ajoute-t-il.
L'impact des normes sur la productivité
Cette exigence de transparence, on la doit pour beaucoup aux transformations du
modèle entrepreuneurial. A l'instar de ce qui se déroule dans le secteur
industriel, les entreprises se construisent aujourd'hui sur le modèle de
l'entreprise en réseau, c'est-à-dire d'une entreprise leader entourée d'une
myriade de sous-traitants. Face à cela, la confiance, désormais certifiée,
devient un impératif. Pour le donneur d'ordres, la délégation de certaines
étapes importantes de sa production, même immatérielle - les opérations
d'émission ou de réception d'appels étant, a priori, parmi les plus
essentielles pour la fidélisation de ses clients - exige qu'il obtienne une
garantie de fiabilité de la part de ses fournisseurs. Pour que ses contrats se
maintiennent dans la durée, le prestataire se doit, lui, de prouver son
excellence. Dans ce cas, la démarche qualité permet de créer un cahier des
charges que le fournisseur s'engage à respecter. C'est un moyen de maîtriser la
relation de sous-traitance avec des partenaires différents et, parfois,
fluctuants. La norme, c'est, avant tout, un vecteur d'amélioration de la
productivité. La remise à plat de l'organisation des centres de relation client
offre ainsi l'opportunité de savoir reconnaître là où sont les failles, les
déperditions. « La norme a une finalité d'amélioration du travail. Elle
engendre une organisation nouvelle des cycles productifs. Cela représente un
avantage et un danger. Mais une difficulté existe au moins. Elle est liée à
l'insuffisance de concertation entre les salariés et le management. Avant de
s'inscrire dans une démarche qualité, il faut s'interroger - et surtout
interroger ses employés - sur leurs façons, à eux aussi, d'envisager
l'amélioration de leur travail », affirme Odile Rocher, chercheur à l'Anact
(Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail). Pour elle, la
mise en place de normes de qualité, au sein des centres de contacts, ne
changera rien - voire même pourrait bien aggraver les conditions de travail -
si l'entreprise ne prend pas conscience de la nécessité d'un dialogue social
interne. En d'autres termes, rien ne pourra correctement s'imposer si les
modifications qu'entraîne la norme dans l'organisation du travail interviennent
sans un débat avec les premiers concernés, les salariés. D'où, la nécessité
d'animer des collectifs de travail, associant les téléconseillers au management
ou à la direction, autour de ce qu'Odile Rocher définit comme « la dialectique
de l'autonomie et du contrôle. » Une discussion, en fait, autour des
indicateurs de productivité sur lesquels se calent les cadences de travail des
téléopérateurs. Car le risque majeur, c'est bien de vouloir gagner en
productivité sur le dos des employés. En clair, de perdurer dans la volonté de
faire de ce centre de coûts un centre de profits.
Quid des conditions de travail ?
L'organisation des centres d'appels est
marquée par ce que les chercheurs appellent souvent une “néo taylorisation” des
tâches. Charlie Chaplin, dans Les Temps modernes, avait immortalisé les
principes du taylorisme, de la division scientifique du travail. Force est de
constater qu'aujourd'hui le taylorisme se maintient. Il a surtout su s'adapter
à de nouveaux secteurs émergents tels celui des services. « Le secteur
industriel s'est emparé du concept du client et les activités de services ont,
elles, intégré les process industriels », fait valoir un consultant. Les
centres de contacts n'y échappent pas. Avec, ce que la CFDT, nommait dans son
enquête 2000 - 2001 sur la réalité des centres d'appels, une “standardisation
pathogène” du travail. Le risque est grand alors de voir les conditions de
travail des salariés se dégrader. « Les procédures de qualité sont
nécessaires. Les entreprises les vivent comme une source de fiabilité et de
performances accrues. Le danger, c'est de rigidifier un peu plus l'organisation
du travail. Du moins si la démarche qualité s'impose au détriment de dialogue
et du savoir-faire », juge Andréas Agathocléous, chargé de mission à l'Anact.
D'une manière générale, la démarche qualité exige des salariés plus
d'autonomie, de responsabilisation et de polyvalence tout en les maintenant
sous la coupe d'une surveillance hiérarchique de plus en plus accrue. « Les
salariés qui subissent la double contrainte marchande et industrielle sont ceux
pour lesquels on dénombre le plus de situations de tensions au sein du
collectif de travail, la perception la plus aiguë du sentiment de
responsabilité, l'obligation de toujours se dépêcher, et de changer fréquemment
de tâche pour une autre non prévue », expliquent Sylvie Hamon-Cholet et
Catherine Rougerie, dans un rapport de la Dares (Direction de l'animation de la
recherche, des études et des statistiques), traitant de la charge mentale au
travail. Mais la complexification et l'intensification des tâches engendrent
leur lot de souffrances physiques et psychiques dont le stress, considéré
désormais comme le mal du siècle, est l'un des indicateurs les plus probants.
Mieux baliser l'organisation du travail
La
certification de service “centre de relation client” (NF 345*) ne s'adresse pas
seulement aux outsourcers. Elle est transversale à l'ensemble de la profession.
Et répond, en cela, à l'une des spécificités du secteur de la relation client :
elle s'adapte aussi bien aux prestataires externalisés qu'aux centres d'appels
internalisés. Car, la norme, dans une entreprise, où les différents services
fonctionnent, souvent, indépendamment les uns des autres, dans un rapport de
prestataires, offre également la possibilité d'un engagement de qualité à usage
interne. Pour y prétendre, il faut d'abord définir et mettre à niveau
l'organisation du travail, en conformité avec les critères de la certification
NF 345. « Le centre d'appels doit tout d'abord définir une politique de
qualité, présentant les orientations de la direction en matière de qualité et
ses principaux engagements clients, explique Christelle Badet. Ceux-ci sont
ensuite déclinés en objectifs opérationnels qui se traduisent par le suivi
d'indicateurs de performance Il est primordial que la direction s'engage dans
la démarche avant toute chose pour en assurer son succès et surtout pour
favoriser l'implication de chacun dans l'entreprise. » Dans ce cadre,
l'entreprise, qui entame une procédure de certification, doit d'abord mettre au
clair son organigramme ainsi que ses fiches de poste. « Dans un premier temps,
la démarche qualité exige de décrire exactement ce que l'on fait, note le
sociologue du travail Jean-Pierre Durand. C'est valorisant, car on peut parler
de son travail - et ces descriptions apprennent beaucoup aux spécialistes des
méthodes -, mais cela aboutit ensuite à un “mémento qualité” à respecter et
donc à une standardisation accrue des procédures. D'autre part, on est amené à
rendre public son savoir-faire personnel ; les trucs qui permettent de gagner
du temps, de s'économiser, de tenir, deviennent la propriété de tous. Du coup,
chacun y perd de son autonomie. » Le centre d'appels devra également s'assurer
de la qualité de la formation et du recrutement de ses employés. Il lui faudra
ensuite maîtriser le service rendu aux clients finaux, le plus souvent des
consommateurs, ainsi que rationaliser l'éventuel recours à des sous-traitants
quand ses propres plateaux saturent. Ces obligations se traduisent ensuite sous
la forme de dix-huit indicateurs de la performance. Indicateurs qui assurent la
mesure et le suivi de la démarche qualité du centre d'appels. Trois catégories
ont été définies par une commission qui réunissait experts, associations de
consommateurs et professionnels de la relation client : douze critères
obligatoires, quatre spécifiques et deux complémentaires. Ils concernent
notamment l'information sur les services proposés, la prise en charge du
contact, le traitement de la demande, la conclusion du contact, la gestion des
réclamations clients ou celle de la satisfaction client. Dans le cas, par
exemple, du traitement de la demande client, le premier engagement à respecter,
concerne le traitement de la demande en temps réel. Le groupe de travail animé
par Afnor Certification a défini, toujours en partenariat avec des
professionnels, ce que recouvre le “service de référence”. Autrement dit,
l'engagement de service concret du centre de contacts vis-à-vis de son client.
Le téléconseiller se doit donc de répondre à son client de manière claire et
compréhensible. Il doit également respecter un minimum de gestes commerciaux
comme celui d'assurer un accueil personnalisé, en mentionnant le nom de
l'entreprise ainsi que son patronyme, reprendre le titre de civilité (Monsieur
ou Madame et/ou le nom et et le prénom du client en fonction du service
concerné), et faire preuve, bien évidemment, de disponibilité d'écoute. En
fait, il doit tout simplement se montrer correct, accueillant et aimable. Ce
premier critère de qualité se traduit sous la forme d'un objectif à atteindre.
“95 % des clients doivent pouvoir obtenir ce service de référence”, note le
document de référence de la certification NF 345. Le groupe de travail animé
par Afnor Certification a, par ailleurs, fixé une “situation inacceptable”. Il
s'agit ici d'un téléconseiller manifestement incorrect avec le client. Enfin,
pour que ce niveau de qualité soit atteint, le centre d'appels, qui demande la
certification, a la charge de décrire son organisation ainsi que de définir les
enregistrements de qualité et le système de mesure pour atteindre les
enregistrements de performance. Parmi les critères spécifiques, retenus par
l'Afnor Certification, on trouve ainsi l'engagement suivant : le centre de
contacts s'engage à recontacter le client si la demande requiert des
compléments d'informations. Pour ce critère, le seuil à atteindre est de 85 %
des clients bénéficiant du service de référence à l'admission et 90 % des
clients bénéficiant du service de référence à compter de la troisième année de
certification. La situation “inacceptable” se trouve caractérisée quand le
téléconseiller ne donne pas suite à la demande du client.
La France, moteur d'une certification européenne
Pour devenir
titulaire de la marque certification NF service “centre de relation client” NF
345, il faut que l'organisation du centre de contacts réponde à l'ensemble des
exigences de la norme (NF X 50-798 de juillet 2003) et atteigne 100 % à
l'ensemble des critères obligatoires ainsi que les deux tiers des critères
spécifiques et complémentaires (les critères complémentaires sont à
l'initiative du centre de contacts qui les sélectionne par lui-même). Surtout,
le règlement de certification de la norme est évolutif. « Quand une majorité
des centres de relation clients auront atteint le niveau fixé aujourd'hui, le
comité particulier (une instance animée par Afnor Certification, représentative
de l'ensemble des parties prenantes du secteur d'activité - prestataires,
utilisateurs de services et administration) analysera les retours d'expérience
des audits de certification et décidera d'ajuster les indicateurs à de nouveaux
seuils de performance », justifie Christelle Badet. Ce qui devrait pousser les
centres d'appels à entrer dans une démarche d'amélioration continue. Le coût
de la certification est fonction du nombre de plateaux et du nombre de postes
du centre de contacts. On peut toutefois fournir un ordre d'idée : la moyenne
annuelle sur un cycle de cinq ans de certification est de 2 279 euros (pour un
centre monosite de 50 positions environ), de 3 079 euros (pour un centre
monosite de 450 positions maximum) et de 5 008 euros (pour un centre de trois
sites et de plus de 450 positions). L'AFRC espère que ce premier pas sera
ensuite suivi d'une certification européenne dont la France serait le moteur.
Mais les milieux professionnels anglo-saxons, très en avance du point de vue de
la démarche qualité, possèdent déjà de multiples normes. Le problème, c'est
qu'étant en majorité le fait d'organismes privés, leurs niveaux d'exigence peut
fluctuer. Pour l'heure, aucune norme européenne ne s'est encore
imposée. * Le référentiel de la certification est disponible sur le
site www.marque-nf.com