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La profession fait trop de bruit

Casques à pleine puissance, ambiance sonore trop élevée, plates-formes surchargées... La santé des téléconseillers est en danger. Des mesures acoustiques effectuées par l'INRS révèlent la présence d'un risque auditif sur certaines plates-formes. Aujourd'hui, limiter les nuisances passe par un traitement des locaux approprié et une information des salariés adaptée. A défaut de se le faire imposer.

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Acoustique Face à la problématique du bruit, certains centres d'appels vont devoir la mettre en veilleuse. Les niveaux sonores sur les plates-formes téléphoniques sont trop élevés. En résultent de véritables risques pour la santé des téléconseillers. Qu'il s'agisse du stress, de la fatigue intellectuelle, des pathologies de la voix dues à une ambiance acoustique forte ou de troubles de l'audition liés à un usage à pleine puissance des micro-casques, la filière ne peut faire la sourde oreille. D'autant qu'une étude réalisée en début d'année par l'INRS Nancy pointe du doigt les risques de surdité encourus par les salariés des centres d'appels. Etablie à partir d'une oreille artificielle avec un casque branché en dérivation, l'étude avait pour objectif "de mesurer le niveau d'exposition quotidien et d'évaluer le risque auditif". Alors que le seuil maximal légal (art. 232-8-1 du code du travail) est de 85 décibels, plus de la moitié des plateaux, sur les dix-neuf évalués en Ile-de-France, dépassent ou atteignent cette limite. Un site ayant même atteint les 100 dB. « C'est la surdité assurée en moins de cinq ans », a prévenu Vincent Planeau de l'INRS Nancy, responsable des investigations, lors de la présentation en septembre dernier des résultats aux entreprises et prestataires de services audités. Une enquête dont les résultats ont été compilés afin de ne vexer personne.

MÊME SON DE CLOCHE CHEZ LES VOISINS EUROPÉENS


Des pincettes que d'autres pays n'ont pas prises. Un article paru dans le Volkskrant, un journal néerlandais, en date du 15 février 2001, fait état "de nouvelles pathologies [qui] apparaissent, telles que le traumatisme sonore (...) en augmentation de 40 % par an dans les centres d'appels". Outre-Manche, les dangers de l'activité se sont posés dès 1999. A cette époque, le "Health and Safety Laboratory", l'équivalent anglais de l'INRS, réalise une étude sur plusieurs plates-formes. Les conclusions sont édifiantes. Selon l'organisme, il existe bel et bien un risque de dommages auditifs liés à un usage intensif des casques. L'institution britannique note plus particulièrement l'apparition de pathologies de la voix. Sans parler des pouvoirs publics allemands, plus évasifs, pour qui « les téléopérateurs sont plus exposés que dans d'autres secteurs aux problèmes de santé pouvant découler d'une mauvaise ergonomie de leur lieu de travail ». S'en suit une réflexion autour de ce thème à partir du "projet Ccall", lancé en 2000 par le ministère du Travail et des Affaires Sociales d'outre-Rhin en coopération avec la Caisse de Prévoyance des accidents du travail et de nombreux partenaires. La responsabilité des professionnels étant plus que jamais engagée dans cette affaire. Même si, en l'état actuel des connaissances, rien ne vient étayer, en France, les thèses avancées par ces différentes études. Pour l'heure, le recul n'est pas suffisant pour juger exhaustivement des effets du bruit sur les téléacteurs. A défaut de disposer de moyens de pression forts, les institutionnels de la santé n'ont plus qu'à jouer sur la corde sensible de l'information. Avec l'espoir de susciter une prise de conscience collective.

DES PLATES-FORMES SURCHARGÉES


L'INRS a mis en lumière une évidence : le bruit ambiant augmente lorsque la surface des postes de travail diminue. Ce qui contraindrait les téléconseillers à un usage à plein régime de leurs appareils audio. Autrement dit, pour limiter les risques, mieux vaut aérer ses plates-formes. Malheureusement, la spécification des 10 m2 par salarié est très peu respectée dans la profession. Rentabilité oblige. Un observateur confie anonymement que la moyenne est plus proche des "3 m2 par personne". Essentiellement chez les outsourcers. « La bonne ambiance sonore se situe entre 45 et 52 dB maximum », estime Jean-Louis Pomian, spécialiste en ergonomie à l'INRS de Paris. Sur les 19 sites évalués par l'organisme hexagonal, sept plateaux égalent ou dépassent les 60 dB. En la matière, la Caisse Nationale d'Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (CNAMTS) recommande pour le "travail sur écran" de ne pas dépasser 55 dB. Si la "taylorisation du travail" dans les "industries du tertiaire" reste une réalité - expliquant de facto beaucoup de choses - elle ne peut occulter les besoins de la filière en termes de normes propres à son exercice. Par exemple, la législation européenne concernant la conception des casques est mal adaptée à l'usage qui en est fait sur les plates-formes. Elle se rapproche plus de l'utilisation d'un baladeur que d'un outil de travail. « Nous avons des normes de fabrication. Elles concernent la protection contre les chocs acoustiques », assure Eric Extier, directeur général en France du constructeur de casques Plantronics. Les produits fabriqués seraient ainsi "bridés" à 118 dB maximum pour éviter toute agression sonore. Rien en revanche sur le volume à la sortie de l'appareil. Encore moins sur une éventuelle limite du "débit" sonore. « Les solutions ne sont pas aussi évidentes. Ce n'est pas uniquement un problème de casques. Il y a aussi l'environnement technique et l'ambiance acoustique de la plate-forme à prendre en compte », rétorque le dirigeant de Plantronics.

UN MATÉRIEL DIFFICILEMENT RÉGLABLE


L'idée, avancée par certains, d'un travail en commun des opérateurs télécom, des constructeurs d'autocoms et des fabricants de casques sur le sujet est irréalisable. « Il n'y a pas de solution, tranche Alain Denis, responsable d'Alliance Télécom, un installateur en téléphonie. Ce n'est pas une question de qualité des transmissions. Tous les centres d'appels sont aujourd'hui équipés en Numéris ou autre. De plus, la grande majorité des PABX n'est pas réglable. C'est plus un problème d'adaptation entre le téléphone et le casque.» Pour les casques, les réglages ne sont possibles qu'avec un amplificateur (sic). Et pour ce qui est du téléphone, le problème n'en serait que déplacé. « A 85 dB, tout le monde dit que le volume est trop faible », fait remarquer Eric Extier. Un dialogue de sourds loin d'aboutir sur des solutions concrètes. Bien que celles-ci existent. Notamment du côté de la prévention par une information des téléconseillers. « Au regard des résultats [de l'étude, ndlr], nous pouvons faire mieux. Nous allons sensibiliser nos téléconseillers aux risques d'un usage à pleine puissance des casques. Le plus rapide pour ça, c'est la formation. Après, nous travaillerons sur l'ambiance acoustique du plateau », tranche Alexandra Causon, directrice de la communication de la société Convercall, dernièrement rachetée par Armatis. Audité par l'INRS en avril dernier, le prestataire se situerait au-dessus des seuils limites. Pas de quoi s'alarmer cependant. « Pour certains cas catastrophiques, il est facile de trouver des solutions, comme un traitement du bruit à la source en mettant en place, par exemple, des matériaux absorbants autour des postes de travail », explique Philippe Guinouard, acousticien du Cabinet Lasa, qui a été sollicité à de nombreuses reprises par les centres d'appels. Le mieux restant néanmoins de prévenir avant de guérir. « Un travail préventif donne de meilleurs résultats. Avec du curatif, c'est plus difficile. Il y a des litiges, des remarques car les conditions de travail sont particulières », reconnaît l'acousticien.

ERGONOMIE ET ACOUSTIQUE : MÊME COMBAT


La société Téléassurances à Saran près d'Orléans a décidé dès le début des travaux de rénovation de son centre d'appels d'accorder une place de choix à l'ambiance acoustique. Moquette, plafond, mini-cloisons et espace ont contribué à réduire le niveau ambiant de 65 à 52 dB. De son côté, le responsable du service clients de DHL à Lyon, Olivier Bauchart, constate une amélioration très nette descondi tions de travail et du niveau de confi dentialité des agents en conversation. « Avant les clients nous disaient : "j'entends vos collègues". Aujourd'hui, ce n'est plus le cas, note ce dernier. Pour l'ambiance sonore, ce sont nos visiteurs plus que nos salariés qui s'expriment. Ils nous disent : "C'est calme". Dans nos anciens locaux, on ne nous le disait pas. » Si un traitement approprié des locaux atténue le bruit, il améliore aussi la productivité des agents. Bien que le constat soit moins évident à faire. D'après le site anglo-saxon callcentermagazine.com, AT&T, le géant américain des télécommunications, a constaté 15 % d'augmentation de sa productivité lors du déménagement de son call center du coeur de Pittsburgh à sa périphérie, proche de Station Square. Cette croissance étant imputable, selon l'opérateur américain, à la prise en compte de l'ergonomie en général et de l'acoustique en particulier. Car parler d'acoustique, c'est avant tout évoquer l'environnement de travail. Une optimisation des plateaux qui passe obligatoirement par la case confort. Ce qui implique un coût. Un investissement jusqu'ici à destination des technologies de production. Alors qu'il faut peut-être voir dans l'amélioration des conditions de travail l'outil de productivité de demain.

Nicolas Seguin

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