L'off-shore stabilise ses positions
La révolution populaire a-t-elle bousculé l'activité des centres d'appels installés en Tunisie? Non. La migration des positions françaises vers l'étranger a-t-elle eu lieu? La réponse est encore négative. Depuis 2009, l'off-shore représente entre 19 et 23 % de l'activité (source: SP2C/BearingPoint, 2009) et non 40 % à 50 %, comme annoncé par les oiseaux de mauvais augure.
Même si les outsourceurs et les annonceurs tricolores considèrent toujours les pays du Maghreb, Maroc en tête, comme l'eldorado de la relation client à distance, le paysage de l'off-shore n'a pas profondément changé au cours des douze derniers mois. En Tunisie - terre d'accueil de nombreux centres d'appels français (20 % du CA de l'offshore français) - l'enthousiasme démocratique semble avoir imprégné toute l'économie.
«La révolution a créé un appel d'air et un climat positif au sein du monde des affaires, surtout dans les sociétés locales. En effet, l'ancien régime tunisien leur imposait une surtaxation, ce qui limitait leur croissance», explique Alain Guettaf, directeur général de Pro2C (centre d'appels local, équipé de 200 positions), également vice -président de la Chambre syndicale des centres d'appels tunisiens. Mais en période d'instabilité politique, le «stand-by» reste de rigueur chez les entrepreneurs étrangers. «Face à l'incertitude concernant les futures institutions du pays, certains investisseurs attendent et observent», poursuit Alain Guettaf. En tout état de cause, les événements au Maghreb n'ont pas perturbé l'activité. Pendant les deux jours qui ont suivi le départ de Ben Ali, les centres de contacts - comme toutes les autres entreprises du pays - ont cessé leur activité. Et la plupart des grands donneurs d'ordre, comme Orange, ont ponctuellement transféré une partie de leurs appels vers d'autres structures, internes ou externes. Aujourd'hui, les prestataires tricolores importants (Teleperformance, Stream, Laser Contact... ) installés en Tunisie ne semblent pas inquiets au sujet de la tournure des événements ni de l'impact de ceux-ci sur leur activité.
La montée en puissance la Tunisie
Car il ne faut pas oublier que ce pays est la deuxième destination des outsourceurs (après le Maroc) . Actuellement, l'activité emploie près de 18 000 personnes (source: Chambre syndicale des centres d'appels tunisiens) . Et l'endroit reste une valeur sûre pour les centres d'appels français. En effet, la population active est jeune, souvent motivée et possède un bon niveau de français. De plus, les formalités administratives permettent d'installer des plateaux téléphoniques assez rapidement. Un bémol toutefois: il n'est pas aisé de trouver des téléconseillers, les délais de recrutement ont donc plus que doublé entre 2003 et aujourd'hui. Pour constituer une équipe de 30 personnes, il faut compter entre quatre à six semaines, contre deux il y a huit ans. «Le profil des candidats, qui maîtrisent déjà le métier et n'ont besoin que d'être formés au produit, permet de pallier ce léger handicap », détaille Alain Guettaf.
Bien conscient du potentiel de ce secteur pour l'économie du pays, le ministère de l'Emploi tunisien travaille avec l'Institut français de coopération et des financements européens et la Chambre syndicale des centres d'appels tunisiens pour concevoir de nouvelles formations et ainsi faciliter la tâche des recruteurs. Ce développement des formations pourrait aussi permettre aux annonceurs de confier des services à plus forte valeur ajoutée aux centres d'appels installés sur place.
L'avis de BERTRAND DELAMARRE, président de Call Expert sur le marché algérien: «Nous avons fait le pari de l'Algérie et nous sommes en passe de le gagner.
«Il y a deux ans, nous avons fait le pari de l'Algérie, et nous sommes en passe de le gagner», annonce fièrement Bertrand Delamarre. Miser sur ce marché, alors que l'ensemble des outsourceurs se focalisaient sur le Maroc et la Tunisie, était osé. L'aventure commence lors d'un rendez-vous entre le président de Call Expert et Hamid Baccache, alors fondateur de Progetel Call Algérie, société algérienne de conseil dans l'aménagement de centre d'appels. De cette rencontre naît la création de Call Expert Algérie, qui rassemble plus de 600 positions, réparties dans deux call centers, à Alger et Oran. L'ouverture d'un troisième site est prévue à Alger avant la fin de l'année. «Nous avons été agréablement surpris par le potentiel des candidats qui possèdent une très bonne culture, manient la langue française et ont un bon niveau de formation» souligne Bertrand Delamarre.
Essentiellement spécialisées, à l'origine, sur des appels sortants en Bto C, les missions de Call Expert Algérie se sont élargies à la prise de rendez-vous B to B. L'outsourceur se voit également confier la gestion des appels entrants. Le tout pour un tarif inférieur à ceux pratiqués par ses voisins du Maghreb. «Nous sommes en mesure de proposer des prestations efficaces, en rémunérant correctement nos collaborateurs», conclut Bertrand Delamarre.
Une activité florissante au Maroc
Cette volonté politique et économique n'est pas propre à la Tunisie, elle existe également chez son grand voisin, le Maroc. «Ici, les centres ne se cantonnent pas au télémarketing, ils proposent aussi des activités à plus forte valeur ajoutée: hot line, service clients classique, etc.», constate Youssef Chraibi, cofondateur et président d' Outsourcia (4 millions d'euros de chiffre d'affaires, trois centres d'appels rassemblant 420 personnes). Le Maroc reste, aujourd'hui encore, la première destination off-shore de la France. Pionnier et expérimenté dans la relation client à distance depuis plus de dix ans, le pays est synonyme de sécurité pour les annonceurs et les outsourceurs hexgonaux. Parmi les premiers, on trouve entre autres Axa (1 000 positions), Dell (3 000), Fre e (1 000) ou encore BNP Paribas (qui ne communique pas à ce sujet).
Pour les seconds, on note la présence de Webhelp (4418 postes sur 12 sites, dont trois au Maroc, à Kénitra, Rabat et Fès), B2s (1 260 positions) ou Accolade (900 positions). Globalement, l'activité est florissante au Maroc. Elle regroupe quelque 3 5 000 salariés (source: Association marocaine de la relation client - AMRC) . «Le secteur aurait progressé de plus de 20 % entre 2009 et 2010», constate Youssef Chraibi.
Même s'il s'avère difficile de recruter à Casablanca et Rabat, certaines agglomérations comme Fès, Tanger ou Kénitra, sont encore vierges et proposent un formidable vivier de salariés. Pour preuve, l'été dernier, le numéro un mondial, Teleperformance, a créé un centre d'appels de 300 postes à Témara, ville de 312 000 habitants au nord du pays. L'entreprise prévoit même d'ouvrir 1000 nouveaux postes sur ce même site d'ici à la fin de l'année. «Pour trouver du personnel, il faut sortir des villes traditionnelles qui sont saturées de centres d'appels», insiste Peter Fergus O'Brian, directeur général de Teleperformance France.
Alexandre Baron, Brandalley: l'off-shore sans crainte et sans reproche pour Brandalley
Désireuse d'élargir le rôle de son service clients, Brandalley a traversé la Méditerranée en choisissant Outsourcia, l'une des pionnières de l'off-shore marocain. Trois atouts ont incité Brandalley à choisir Outsourcia: l'engagement dans un processus de certification qualité (norme NF Services), l'efficacité de ses outils pour gérer les transferts entre des appels de niveaux un et deux en interne et la proximité du Maroc. L'annonceur a également été séduit par sa qualité de service et ses références dans l'e-commerce. L'objectif initial était clair pour le donneur d'ordres: enrichir le service clients aux plans qualitatif et quantitatif. «Auparavant, nos centres d'appels internalisés fonctionnaient seulement du lundi au vendredi, de 9 h 00 à 18 h 30. Nous voulions proposer des horaires plus larges, tout en enrichissant les fonctions de notre service clients: taux de réponse supérieur à 95 % et inférieur à 24 heures pour les mails, taux de décroché fixé à moins de 43 secondes et réponses précises auprès des clients sur l'acheminement des produits, même le week-end. Une volonté quasi impossible à concrétiser en France», explique Alexandre Baron, directeur logistique et service clients.
Le site de vente privée Brandalley sollicite Outsourcia pour prendre en charge le premier niveau d'appels 7 j/7, de 8 h 30 à 20 h 30. Le centre interne de Brandalley conserve la gestion du second niveau d'appels et assure les surplus d'activité lorsque le plateau d'Outsourcia est saturé.
Démarrée au printemps 2010, la collaboration entre l'annonceur et le prestataire semble fructueuse. «Grâce à cette réorganisation, nous avons pu faire progresser nos conseillers. Cette évolution vers des responsabilités a été plutôt appréciée par l'ensemble de nos collaborateurs», souligne Alexandre Baron. Les deux parties ont créé un niveau de relation qui leur convient parfaitement. «Pour assurer un suivi efficace de notre collaboration, nous avons mis en place des contacts quotidiens, des conférences téléphoniques hebdomadaires entre superviseurs et des réunions stratégiques toutes les six à huit semaines sur site», précise Alexandre Baron. Nous restons confiants quant à la pérennité de ce partenariat. »
Des alternatives émergentes
Même si le Maroc pèse à lui seul 50 % du chiffre d'affaires du marché de l'off-shore français (source: Office d'échange marocain), d'autres pays peuvent constituer une alternative intéressante. C'est le cas de l'Algérie, du Sénégal, de l'Ile Maurice ou encore de Madagascar qui, ensemble, ne représentent que 30 % du chiffre d'affaires de la délocalisation des centres d'appels français.
Avec une population active bénéficiant d'une bonne formation, l'Ile Maurice dispose de près de 7 000 positions. Le pays accueille de grands outsourceurs français, comme Rogers Call (200 positions, propriété d'Axa, via Axa Assistance Allemagne), Euro CRM, ou encore ABC Datacall. Teleperformance pourrait d'ailleurs les rejoindre. Plus petit marché, Madagascar compte un peu plus de 200 positions, dont ceux d'Ariane CRM (une cinquantaine de postes) et ADM Value (180), qui effectuent des missions de back-office et quelques activités de service clients. «C'est un marché tout neuf, il n'y a donc pas de tensions concernant les salaires. Les gens parlent très bien le Français, qui est la langue officielle», explique Claude Briqué, président de l'outsourceur ADM Value, pionnier français de l'off-shore. De plus, l'arrivée récente des nouvelles technologies (liaisons internet et téléphone internationales via la fibre optique) devrait accélérer le développement économique de l'Ile.
Le trio Sénégal / Cameroun / Bénin tente lui aussi attirer les Français. Pour l'heure, les centres d'appels de ces trois Etats (1 000 positions au total) réalisent essentiellement du télémarketing. Mais les autorités multiplient les initiatives (aide financière / fiscale, plan de formation, etc.) destinées à attirer les investisseurs étrangers et français pour qu'ils puissent réaliser d'autres types d'opérations: hot line, SAV, service clients...
Evidemment, qui dit délocalisation pense aussitôt Afrique. Pourtant, certains outsourceurs ont parié sur l'Europe de l'Est. Cette destination fait tout de même débat. Si BlueLink et Atento, tous deux présents en République Tchèque, ne regrettent pas leur implantation, cette partie du Vieux Continent n'est pas devenue l'eldorado attendu. Nicolas Goldstein, fondateur d'Offshore Developpement, portail de mise en relation, d'informations et place de marché dans les centres d'appels, explique que: «L'Europe de l'Est n'a pas connu la croissance escomptée. Et comme sa culture est plus proche de celle des Anglo-Saxons, elle est plus adaptée pour gérer la relation client de ces pays. » Quel que soit le pays d'accueil, l'off-shore présente toujours un attrait pour les entreprises françaises: faible poids de la masse salariale sur les coûts de fonctionnement - de l'ordre de 40 %, contre 80 % en France - souplesse dans le recrutement et flexibilité des horaires. «Certaines craintes sur la qualité de service ou sur les conséquences pour l'emploi français n'ont plus lieu d'être», insiste Claude Briqué, président d'ADM Value. En effet, la qualité des prestations fournies dans ces pays progresse. Sous l'impulsion des annonceurs, les demandes de missions plus complexes (service après-vente, hot line...) se développent, même si, dans la plupart des cas, elles viennent en renfort des opérations menées en France. «En télévente comme en SAV technique, les prestations à l 'étranger atteignent quasiment la même qualité que celles proposées en France», précise Dean Groman (Sitel).
Au final, la situation de la relation client évolue sensiblement. Alors qu'auparavant nous nous interrogions sur l'efficacité des opérations menées à l'étranger, nous nous intéressons maintenant aux flux d'appels à traiter. Les entreprises cherchent désormais à distinguer les appels qui peuvent justifier une migration à l'off-shore de ceux qui doivent rester. L'idéal étant de trouver le bon équilibre entre les deux. Du reste, aucune entreprise ne travaille uniquement à l'étranger. Les outsourceurs ne veulent pas courir le risque de perdre les prestations à plus fortes valeurs ajoutées et les mieux rémunérées, réalisées en France.
C'est pour cette raison que Webhelp, massivement implanté au Maroc (10 centres pour 4000 positions, sur un total de 4418 en-dehors de France) a choisi de revenir dans l'Hexagone dès 2005, en ouvrant à Caen un plateau de 300 postes. Et qu'Outsourcia, d'abord installée au Maroc, a racheté le Français AS Com début 2011. «De cette façon, nous pouvons, en fonction de la demande du client, orienter ce dernier soit vers les centres d'appels situés en France, soit vers ceux basés au Maroc, explique Youssef Chraibi, président et cofondateur d'Outsourcia. Une présence sur les «deux fronts» permet de garantir un équilibre économique en bénéficiant des avantages des deux côtés.» L'acquisition d'AS Com par Outsourcia pourrait créer un précédent. C'est du moins l'avis de Dean Groman, directeur général de Sitel France (deux sites au Maroc): « Grâce aux marges plus fortes réalisées à l'étranger, certains acteurs, peu présents en France, disposent d'un potentiel d'investissement important. Il ne serait donc pas surprenant de voir des opérations d'acquisition similaires se dérouler.» Mais rien n'indique une telle tendance pour le moment.
Nicolas Goldstein (Offshore Developpement: «L'Europe de l'Est n'a pas connu la croissance escomptée. Et comme sa culture est plus proche de celle des Anglo-Saxons, elle est plus adaptée pour gérer la relation client de ces pays.
Fabrice André, directeur de la relation client d'Orange: «Nous avons créé un nouveau diplôme de vidéoconseiller, unique au monde
Comment considérez-vous l'évolution du rapport qualité/prix à l'off-shore?
Le niveau global de ces prestations chez les outsourceurs a tendance à progresser. En outre, ces derniers accordent une grande importance aux conditions de travail et à la formation. La plupart d'entre eux veulent obtenir des certifications telles que le Label de responsabilité sociale. Certes, cette recherche de progrès a des conséquences sur les prix, qui augmentent. Tant que le niveau de qualité des prestations sera au rendez-vous, nous ne pouvons que saluer ces initiatives.
Depuis l'arrivée des Box Orange en 2003, vous avez choisi d'externaliser une partie de votre relation client...
Nous avons fait ce choix pour traiter les appels que nous ne pouvions pas absorber en France. L'off-shore nous a également permis de répondre toute la nuit et les jours fériés. Avec en prime, un traitement d'appels à un prix plus faible. Etant donné que le fonctionnement de nos réseaux et de nos terminaux s'améliore, notre activité à l'étranger a diminué ces derniers mois.
Il y a deux ans, vous avez rapatrié certains postes. Pourquoi?
Nous avons constaté que la délocalisation avait ses limites dans le domaine commercial et dans les activités qui nécessitent de très bien connaître les offres, les activités ou les produits. Par exemple les forfaits bloqués pour mobile n'existent pas dans les pays off-shore. Le temps d'appel est donc plus long, quand le client n'est pas obligé de rappeler plusieurs fois. Pour pallier ce problème, nous avons fait revenir certaines activités en France. Ce recadrage est inhérent à l'off-shore dont on doit accepter les atouts, mais aussi les limites.
La révolution tunisienne a-t-elle nui à vos activités?
Pour nous, les conséquences en Tunisie ont été très mineures. Nos centres on cessé leur activité pendant trois jours. Mais cela a eu un impact très faible, car nous avons transféré les appels vers nos centres internes et marocains. Les salariés ont souhaité reprendre très vite le travail pour ne pas perdre trop de pouvoir d'achat. Enfin, nous avions pris en compte le risque politique. C'est pourquoi nous avons réparti notre activité dans trois pays: la Tunisie, le Maroc et le Sénégal.