L'industrialisation du virtuel
Resinter est devenu fin 1998 Accor Reservation Service. Que signifie ce changement de nom ?
Benoit Bourla. Tous les groupes
hôteliers disposent d'une réservation centrale. Resinter existait depuis une
dizaine d'années. Le changement de nom traduit un souci de recadrer l'image,
mais est également symptomatique d'une volonté de placer la relation client au
coeur de la stratégie de développement du groupe Accor.
Comment cette stratégie de développement va-t-elle se traduire dans l'organisation du centre d'appels d'Accor Reservation Services ?
Nous avons
l'intention de tripler notre volume d'activité dans les deux-trois ans. Cette
ambition se reportera à tous les niveaux de la réservation. En fait, nous
entamons chez Accor Reservation services un important travail d'optimisation de
la productivité et de la qualité de service que je qualifierais de phase
d'industrialisation. La deuxième au sein du groupe : après l'industrialisation
des produits, on peut véritablement parler dune industrialisation des services.
Celle-ci va nécessairement avoir une incidence sur l'organisation de nos
centres d'appels. Mais en même temps, nous sommes obligés de tenir compte de
notre existant. D'autant que celui-ci est éclaté un peu partout dans le
monde.
Quelle est pour l'heure l'organisation d'Accor Reservation Service ?
Nous avons découpé notre couverture géographique en
trois grandes zones : l'Amérique, l'Europe, l'Asie-Océanie. Pour occuper ses
trois zones, nous disposons de huit centres d'appels, qui se sont constitués au
fil du développement du groupe à l'échelle internationale. Il y a au sein
d'Accor une culture très forte des opérations et de la proximité. Le groupe
s'est construit sur la capacité entrepreneuriale dont on missionnait les gens
de terrain, bien plus que sur une culture centralisatrice. Ce qui explique
l'atomisation des centres de réservation. Cette configuration présente
l'avantage de la proximité culturelle et linguistique. Elle rend aussi plus
difficile la recherche de la taille critique, problématique bien connue des
responsables de centres d'appels.
Ces huit call centers ont-ils la même activité ?
En terme de nature d'activité, oui. En ce qui
concerne le volume d'activité, le centre d'Evry, en France, est de loin le plus
important. Il emploie 80 personnes, contre 40 pour celui de Perth en Australie,
30 à New-York et à Londres, 20 à Francfort 15 à Madrid et à Milan. Il faut dire
que la France est la première destination touristique au monde. Sur nos centres
d'appels hors Evry, plus de 50 % de l'activité recouvre les réservations
passées pour la France, et principalement pour la région parisienne.
Les différents centres sont-ils connectés ?
Pas encore.
Le seul point de connexion, actuellement, c'est l'outil informatique de
réservation. Nous allons justement investir dans des options technologiques, ce
sera l'occasion de remplacer un matériel souvent obsolète, mais aussi de créer
les bases nécessaires à l'industrialisation du service. Nous nous trouvons ici
face à une alternative : faut-il choisir un ACD commun aux différents sites, ou
bien conserver l'infrastructure existante au niveau des ACD ? Cette dernière
solution implique que l'on investisse dans un CTI, afin de faire le lien entre
l'ensemble des briques propres à tout centre d'appels de la nouvelle génération
: les ACD bien sûr, mais aussi le web, la supervision, la statistique, la
planification du personnel et, élément capital, le routage intelligent. Dans ce
cas de figure, le dispatching se ferait via le système de routage et non via
l'ACD. Ce qui présente l'avantage d'intégrer toute la dimension base de données
de clientèle. J'ai tendance à privilégier cette solution. Si l'on faisait à
l'inverse le choix de l'ACD unique, il nous faudrait procéder à une
réharmonisation à chaque absorption par Accor Reservation Services d'un centre
d'appels extérieur. Or, cette hypothèse de croissance externe n'est jamais à
rejeter dès lorsque l'on manifeste une volonté de multiplication de ses
activités.
Des acquisitions sont-elles à l'ordre du jour ?
Il nous faut engager un processus de forte industrialisation
pour atteindre les tailles critiques, mais aussi accepter dans notre système
les petits centres d'appels à vocation d'accompagnement de note réseau
international de force de vente. Autrement dit des petits call centers qui
seraient autant d'arguments de vente pour les commerciaux d'Accor. Nous devrons
ainsi adopter deux modes de fonctionnement complémentaires. Cela dit, il est
encore trop tôt pour dresser un schéma de développement précis en termes de
nombre de centres d'appels à ouvrir ou au contraire à concentrer. En revanche,
dès lors que l'on tient à respecter les contraintes de l'existant et à tenir
compte des environnements locaux, on peut déjà définir un cadre précis de
configuration du système.
Quel est-il ?
Prenons
l'Europe. Il y a trois cultures dominantes sur notre continent : une culture
nord-Européenne et anglo-saxonne, une culture propre à l'Europe centrale, une
culture latine. Or, en Europe, pour satisfaire la clientèle, il est
inconcevable de ne pas avoir affaire à des interlocuteurs natifs. Au pire,
s'ils sont bilingues, ils doivent avoir avec la langue un rapport vivant et
quotidien et pas seulement une maîtrise grammaticale, si bonne fût-elle. Pour
ces raisons, et pour tenir compte de notre existant, nous sommes obligés
d'avoir en Europe trois centres d'appels, l'un en Grande-Bretagne, l'autre en
Allemagne et le troisième en France.
Vous ne croyez donc pas à la viabilité du centre d'appels pan-européen ?
Les seuls lieux
d'implantation pour un centre d'appels pan-européen, compte tenu des réalités
culturelles, sont Londres ou Paris. Etant donné les charges induites, si l'on
fait un choix de ce type, on assèche immédiatement les économies imputables à
la concentration. Cette concentration n'est donc absolument pas privilégiée en
ce qui me concerne. D'ailleurs, il semble qu'à l'exception de cas rares, les
entreprises ayant fait ce choix en reviennent. En outre, la division constitue
encore la meilleure solution de secours en cas de dysfonctionnement. Accor
Reservation Service se trouve donc face à une option incontournable : par-delà
les décisions que nous pourrons prendre à terme concernant les centres d'appels
existants en Italie et en Espagne, par-delà celles que nous pourrons arrêter
concernant l'ouverture d'autres call centers en Europe, nous sommes obligés
d'avoir trois sites à Londres, Francfort et Paris. Ces trois centres (et ceux
qui les rejoindront éventuellement), je veux qu'ils fonctionnent comme un
centre d'appels virtuel. Tant pour la qualité que pour la rationalisation du
service. Actuellement, à Evry, j'ai des conseillers qui parlent allemand et
anglais. A Heathrow, d'autres qui parlent français et allemand. A francfort,
d'autres encore qui parlent anglais et français. Et tous ces talents, je ne les
exploite pas. Il va donc nous falloir traiter de façon unique les
multicompétences et la gestion des plannings.
Et en ce qui concerne l'Amérique et l'Asie-Pacifique ?
Il nous faut un petit centre
d'appels en Amérique du Nord et un autre en Amérique du Sud. Nous sommes en
train d'en ouvrir un à Sao-Paulo. Pour l'Asie, nous compléterons notre présence
en Australie par une plate-forme en Asie du Sud-Est. Voilà en tous cas pour la
vision minimaliste de ce que l'on va mettre en place.
Le centre d'appels virtuel est-il valable à échelle internationale ?
Il nous
faut pouvoir fonctionner en entraide d'un centre à l'autre et ce sur l'ensemble
des zones couvertes. Je privilégie un chaînage des opérations suivant la corse
du soleil. L'ouverture des plateaux 24 heures sur 24 coûte trop cher et pose
des problèmes d'organisation. En Europe, les appels émis après 22 heures sont
suffisamment peu nombreux pour faire supporter à l'entreprise le surcoût
télécom que représente le routage vers un autre site. Surcoût inférieur à celui
que représenterait la mise en place d'équipes de nuit.
Par-delà la dimension financière, la multiplicité des sites n'est-elle pas un obstacle dans la mise en place de la taille critique ?
La taille critique, c'est
la problématique par excellence des centres d'appels. Mais il faut faire
attention à ne pas en faire une pure théorie. Encore une fois, il faut tenir
compte des réalités locales. Les référents ne sont pas les mêmes d'un pays à un
autre. Dans l'absolu, je pense que la taille optimale d'un call center, c'est
entre 150 et 200 positions. A partir de 200 positions, on voit poindre les
difficultés. A plus de 300, les effets pervers prennent le pas sur les gains de
productivité.
Entre 150 et 200 positions, c'est déjà un gros centre d'appels...
Le service et la production se maîtrisent mieux
sur un grand plateau. D'un point de vue quantitatif, plus la taille est
importante, mieux on linéarise l'activité, plus on dimensionne au plus près et
plus on limite les risques. D'un point de vue qualitatif, plus on a de volume
et plus on peut investir dans des process comme le monitoring ou le contrôle
qualité. En deçà de 50 positions, on ne peut pas optimiser la qualité. Mais
attention encore une fois, il s'agit de règles valables dans l'absolu.
La taille critique, c'est l'aboutissement de la recherche en productivité. Quelles sont vos pratiques en la matière ?
Lorsque
l'on parle de productivité, on parle souvent du taux d'appels traités. Lorsque
j'entends parler de taux de décroché de 99 %, je doute. Le ratio communément
avancé se situe entre 90 % et 95 %. Ce qui m'intéresse, c'est davantage le taux
d'appels traités dans un délai donné. Mon objectif, je l'ai fixé à 80 % des
appels traités en moins de dix secondes, c'est à dire trois sonneries.
Vous en êtes loin ?
Je considère que la qualité du
service que nous délivrons est plutôt bonne. 80 % en moins de 10 secondes, cela
veut dire au moins 95 % d'appels traités dans l'absolu. Actuellement, si l'on
fait une moyenne sur nos huit centres, nous en sommes à un peu plus de 88 %. En
France, nous atteignons les 90 %. En Espagne, nous les dépassons, ce qui n'est
pas forcément bien : cela signifie plutôt que nous sommes sur-staffés. A Perth,
les taux enregistrés sont nettement inférieurs.
Que faites-vous des appels qui ne seront pas traités ?
C'est toute la question :
Comment traiter les appels que l'on maltraite ? Le SVI n'est pas toujours la
bonne solution. En fait, il faut pouvoir adapter à chaque type de clientèle et
à chaque type de demande un traitement spécial. Il faut donc identifier
l'origine des appels pour les orienter vers le bon canal de traitement ou
d'attente. L'unité centrale de management d'un centre d'appels, c'est la
seconde. Mais je n'ai pas de raison de traiter une demande X avec le même
nombre d'unités qu'un appel Y. Un homme d'affaires qui appelle de son bureau
pour réserver une nuitée à Paris dans la semaine et un mari qui veut offrir un
séjour à venise à sa femme ne souhaiteront pas qu'on leur impose le même temps
ni le même type de traitement. La difficulté, c'est que cet homme d'affaires et
cet époux, ça peut être la même personne.
Mais l'industrialisation n'est pas envisageable sans règles précises de productivité...
En
Europe, lorsque nous tournerons en régime de croisière, et dans une situation
de trafic nettoyé de toute pollution d'appels, nous devrions pouvoir afficher
une durée moyenne de trois minutes, avec un taux de conversion d'au moins un
tiers.
Où en êtes-vous actuellement ?
A Evry, pour la
réservation, la moyenne actuelle est d'un peu moins de 3 minutes et 30
secondes. Aux Etats-Unis, elle est à plus de six minutes. Ceci s'explique par
le fait qu'une grande partie des appels arrivant sur le centre de New-York
concernent des demandes pour des séjours en France. Or, à un Américain, il faut
expliquer ce qu'est la France, ce qu'est Paris, où se trouvera son hôtel à
Paris, ce qui se cache derrière les marques Sofitel ou Mercure... C'est bien
pourquoi il est difficile de définir des règles universelles. A fortiori dans
la mesure où nous avons différents types de clientèles, d'appelants, qui n'ont
pas des exigences de même nature.
A quels types de clientèle devez-vous répondre ?
Nous établissons quatre catégories : les
individuels, les entreprises, les agences de voyage et les tour operators. Les
deux dernières catégories exigent une rapidité optimale dans le traitement des
demandes. Trois minutes, c'est trop. L'idéal serait 120 secondes. C'est aussi
avec ces deux dernières catégories de clientèle que le taux de conversion est
le plus fort. Durée de traitement minimale, taux de conversion important :
notre intérêt c'est d'orienter au maximum ce type d'appels, à savoir ceux
émannat de la clientèle professionnelle, vers des automates et les GDS, Global
distribution systems, outils de réservation des compagnies aériennes du type
Amadeux, Sabre ou Galilée. Ce, afin de pouvoir concentrer l'activité des
centres d'appels sur les demandes des particuliers et des entreprises. Mais là
encore, nous ne partons pas des mêmes bases d'un pays à l'autre. En espagne,
les agences de voyage représentent 80 % des appels contre 20 à 25 % aux
Etats-Unis. En France, 40 % des demandes émanent de particuliers et ce ratio
devrait dépasser les 50 % en 2000.
Quels sont vos objectifs pour les trois ans qui viennent ?
Nous nous inscrivons encore une fois
dans une logique de taille critique. D'ici deux à trois ans, nous nous serons
posé la question de l'opportunité ou non d'un deuxième centre d'appels en
France. Nous sommes également en train de mettre en place un contrôle qualité
permanent. Pour ce faire, nous avons recours à des appels mystères par des
sociétés extérieures, à un suivi dans le monitoring et à des enquêtes de
satisfaction clients. A cet effet, je viens de créer une direction marketing
opérationnel et contrôle qualité. Par ailleurs, nous comptons optimiser le
service sur un spectre d'activité large, qui va de la prise de réservation
jusqu'à la vente de produits complexes, en passant par la fidélisation et la
gestion des programmes de cartes privatives. Nous sommes en train de passer
d'une culture de prise d'ordre à une culture de vente.
Biographie
Benoit Bourla, 40 ans, est diplômé de HEC. Il débute sa carrière en tant que consultant, et se spécialise vite vers le conseil auprès des entreprises dans la gestion de leur relation clients. Il entre ensuite chez Canal+, où il est nommé responsable du centre d'appels, avant d'intégrer Disneyland Paris pour occuper des fonctions similaires. C'est avec cette expérience de cinq années passées à la tête de centres de relations clients à distance qu'il rejoint, en janvier 1999, le groupe Accor comme directeur d'Accor Reservation Services.
Accor Reservation Services
En devenant fin 1998 Accor Reservation Services, le centre de réservation du groupe Accor, jusqu'alors connu sous la marque Resinter, n'a pas seulement changé de nom : il a amorcé un processus stratégique de repositionnement, de la prise de réservation jusqu'à la vente et la relation client à distance. Et ce à échelle internationale. Accor Reservation Services est le centre de relation clients pour quatre marques du groupe Accor : Sofitel, Novotel, Mercure et Ibis. Soit 50 % des 3 000 hôtels du groupe dans le monde. Accor Reservation Services emploie 320 personnes et compte huit centres d'appels dans le monde : New-York (pour l'Amérique du Nord), Perth (pour l'Asie-Pacifique), Evry, Heathrow, Francfort, Amsterdam, Madrid, Milan pour l'Europe). Les plates-formes européennes sont accessibles 6 jours / 7 de 8 h à 20 h (En Italie et en Espagne : 5 jours / 7). Le plateau de New-York est ouvert 7 jours / 7 de 8 h à 24 h et celui de Perth 7 jours sur 7 de 4 h à 24 h. Ces deux derniers centres d'appels sont des sites multilingues (trois langues pour N-Y et 10 pour Perth). En février 1998, Accor Reservation Services a traité en février 88,3 % des appels. En 1998, 2,4 millions d'appels ont été traités dans le monde pour 1,6 millions de réservations (3,8 nuitées).