L'e-mail gagne du terrain
Apparu début 1999, l'e-mail s'est fortement développé durant les années
2000 et 2001, époque au cours de laquelle les ouvertures de sites web se sont
multipliées. Submergées par les flux de ces messages électroniques, les
entreprises ne parvenaient pas à répondre aux internautes dans des délais
corrects. « Depuis, la situation s'est améliorée chez certaines, mais toujours
pas chez d'autres », estime Olivier Savouret, responsable CRM chez Valoris.
Pour optimiser ce service, les entreprises s'équipent d'outils logiciels qui
récupèrent mails et formulaires web sur des serveurs de messagerie, avant de
les transmettre aux opérateurs compétents. Ces programmes travaillent en mode
indépendant ou sont reliés aux infrastructures téléphoniques via des liens CTI.
Certains logiciels proposent des analyses lexicales, des suggestions
automatiques (liste de réponses possibles triées par pertinence) ou des
possibilités de routage par compétence. « Les bibliothèques de réponses sont
importantes car elles permettent de gagner du temps de saisie. Correcteur
d'orthographe et outil de reporting sont également nécessaires », affirme
Olivier Savouret. Ces derniers modules offrent au superviseur une information
sur les délais de réponse et les temps de traitement. La fonction
échantillonnage permet de faire passer certains mails sur le poste du
superviseur, qui peut valider la réponse en temps réel. Autre fonction
intéressante : l'archivage, qui offre la possibilité de rattacher un mail à une
suite de messages précédents. Valoris classe les fournisseurs de logiciels de
gestion des mails en trois catégories (voir encadré p. 30) : les spécialistes,
qui ne font que ça ; les suites CRM, dont un module prend en charge les mails ;
les suites centres d'appels, qui offrent aussi d'autres outils de web call
center (chat, sessions collaboratives, call back). La première catégorie cible
les cellules de réponse aux mails. Ces logiciels sont déconnectés de
l'environnement téléphonique. Pour le consultant, ils sont faciles à mettre en
place (plug and play), ne nécessitent pas beaucoup de paramétrage et pas
d'intégration. Les suites CRM proposent souvent la gestion des mails comme une
option. Avantage : la réception d'un mail crée une "activité" dans la suite
CRM. Mais le coût élevé de tels progiciels doit faire réfléchir ceux qui
veulent uniquement gérer leurs mails. Les suites centres d'appels représentent
un choix cohérent si les entreprises possèdent déjà un équipement de leur
fournisseur.
S'ÉQUIPER EN FONCTION DU VOLUME
« Il
faut d'abord évaluer ses besoins en termes de volume et de types de flux, puis
regarder sa technologie existante (téléphonie, base de données) avant de faire
un choix », conseille Olivier Savouret. L'e-mail reste une demande
complémentaire aux appels téléphoniques, qui représentent toujours environ 90 %
des flux. Pour Laurent Dumontet, directeur de projets CRM chez HelpLine, le
besoin d'un tel outil se fait sentir dans les centres de contacts lorsque le
volume reçu commence à augmenter. Si le flux est de quelques mails par jour, un
outil de messagerie simple comme Outlook de Microsoft suffit. Mais, quand le
rythme s'accélère, mieux vaut opter pour un programme spécialisé. « France
Loisirs reçoit environ 3 000 mails par semaine. Quand ils étaient sous Outlook,
ils en traitaient cinq à sept à l'heure. Avec la solution Genesys Internet
Suite, ils ont doublé ce chiffre en six mois. Ce gain est imputable à l'outil
en lui-même. Dix-huit mois plus tard, les téléconseillers gèrent une quinzaine
de mails à l'heure. Ce bénéfice supplémentaire provient de l'expertise des
opérateurs vis-à-vis du logiciel », analyse Laurent Dumontet. Le
raccourcissement du délai de réponse, de J + 3 avec Outlook à J + 0,7 dans le
cas de France Loisirs, permet de dégager un retour sur investissement rapide.
Mais la gestion des mails en centre d'appels n'est pas seulement affaire de
technologie. L'organisation du travail est primordiale pour le succès d'un tel
service. Les call centers ont le choix entre dédier une cellule aux traitement
des mails ou les transmettre aux téléopérateurs entre deux appels téléphoniques
- ce que l'on appelle aussi "media blending". Apparemment, la plupart des
entreprises ont choisi la voie des équipes dédiées, souvent issues des services
correspondance chez les vépécistes, comme chez Vert Baudet ou France Loisirs. «
On a mis 25 ans à bien répondre au téléphone ! Je crois à la création de
centres de réception des mails », lâche David Magidas, directeur marketing de
Vocalcom. Olivier Njamfa, P-dg d'Eptica, pense que l'organisation est une des
principales difficultés : « La moitié de nos clients ont des groupes dédiés.
Ils sont plus créatifs et aussi plus productifs. » Mais le media blending gagne
du terrain, certains téléconseillers étant volontaires pour passer à la gestion
des mails. « C'est valorisant et responsabilisant pour les téléopérateurs. Et
c'est également un outil d'animation et de management », estime le directeur de
projets CRM de HelpLine.
PAUVRETÉ FONCTIONNELLE
Pour
Carine Ziol, chef de produit chez NetCentrex, les compétences ne sont pas
identiques pour les deux médias : « Pour répondre au téléphone, il faut bien
s'exprimer. Dans le cas du mail, c'est une bonne orthographe qui est
nécessaire. Ce n'est pas tout à fait la même démarche intellectuelle. » Même
si l'aspect technique n'est pas prépondérant, les solutions ne sont pas toutes
égales devant le mail. Selon Laurent Dumontet, les équipementiers comme
Alcatel, Avaya ou Nortel ont upgradé leurs modules pour passer au multimédia. «
Mais les fournisseurs ont pris le train en marche par rapport aux PCBX et IPBX.
D'ailleurs, certains de ces modules ne fonctionnent pas », estime-t-il. Ce
dernier reproche aussi une certaine pauvreté fonctionnelle à des solutions qui
seraient plus axées sur l'aspect technique que sur certaines fonctions, comme
l'analyse sémantique, les propositions de réponse, les correcteurs
grammaticaux. De plus, aux dires de ce spécialiste, les interfaces sont souvent
pauvres. Enfin, ces logiciels ne seraient pas aussi intégrés que le prétendent
les fabricants. « Les modules multimédia sont souvent issus du rachat d'une
autre technologie, SWCP chez Nortel ou Genesys pour Alcatel », remarque Laurent
Dumontet. Les progiciels CRM sont, eux, souvent totalement compatibles avec
les outils bureautiques de Microsoft. Mais, si le centre d'appels est équipé
d'une autre messagerie, comme Lotus Notes (IBM) par exemple, il peut y avoir un
problème d'interfaçage. Ils seraient aussi limités dans leur capacité de
routage des mails vers les bonnes compétences. Reste la solution de l'ASP. Des
sociétés comme Linkeo, Frontcall ou Webhelp proposent ce type de solution,
intéressante pour les faibles volumes, selon HelpLine, et qui ne nécessitent
pas d'investissements énormes. L'arrivée annoncée d'infrastructures "full IP"
devrait permettre de résoudre les éventuels problèmes d'intégration de
logiciels de gestion des mails avec les équipements de téléphonie, tandis que
les fournisseurs vont certainement enrichir leurs produits en termes de
fonctionnalités. Parmi les éditeurs de suites pour centres d'appels, Vocalcom
(qui a récemment racheté Com 6), propose le module Hermès Pro Interactive, pour
lequel il a conclu un partenariat avec la société Semantica afin de lui
adjoindre un moteur d'analyse sémantique. « Le traitement d'un mail est
différent de celui d'un appel entrant. Il s'agit de texte, plus éventuellement
divers documents attachés. Il faut organiser des scripts », explique David
Magidas.
UNE COMMUNICATION ASYNCHRONE
Autre éditeur
d'une suite téléphonique, NetCentrex a adopté une stratégie multimédia avec
file d'attente universelle qui route appels et mails en même temps ou de
manière dissociée. Le module Saga 800 Contact Center est capable de
différencier la nature de l'appel : téléphone, fax, mail, chat. Son interface
Media Manager lui permet de communiquer avec d'autres outils comme Lotus Notes
ou Akio. Mais Carine Ziol reconnaît que le concept de file d'attente
universelle est d'abord d'ordre marketing. « Il nous faut encore améliorer
notre modèle », concède-t-elle. Divine, classé chez les éditeurs de suites
téléphoniques par Valoris (voir encadré en p. 30), est le fruit du
rapprochement de plusieurs sociétés, dont eShare et, plus récemment, Delano,
spécialiste canadien de l'e-mail marketing. Pour David Guillard, ingénieur
avant-vente, le vrai problème de la gestion des mails vient du routage : « Il
faut que cela soit fait de manière automatique, avec une analyse du contenu des
mails. » L'environnement doit être le plus convivial possible, et la qualité de
service élevée pour faciliter le travail du superviseur. Côté technologie,
David Guillard estime qu'une intégration CTI ne se justifie pas
obligatoirement, la communication par mails étant asynchrone, « mais elle
permet d'aller plus loin dans la gestion des files d'attente, en définissant
des règles de priorité ». Avec son produit NetAgent, Divine propose un outil
complet de web call center, avec un module mail et deux autres pour le call
back et le cobrowsing. Néanmoins, les centres d'appels peuvent acquérir l'un ou
l'autre des modules de manière séparée. Intégré aux middlewares CTI (Cisco et
Dialogic), ce logiciel précurseur (la première version date de 1998...)
intéresse les outsourceurs, comme Webhelp qui s'en sert pour ses propres
clients. L'éditeur Eptica se présente, lui, comme spécialiste de la gestion
des mails entrants. Olivier Njamfa distingue trois segments dans l'offre
technique. D'abord les logiciels de messagerie classiques, comme Outlook ou
Lotus, « mais ils ne possèdent pas de workflow et sont dépassés au-dessus de
100 mails par jour ». Ensuite, les modules e-mail des suites logicielles pour
centres d'appels, plus sophistiqués, avec workflow, historique, routage. Et
enfin les produits dédiés, comme Eptica, Akio ou les solutions éditées par les
Américains eGain et Kana. « Mais attention, il ne s'agit pas de centre de
contacts tout Internet. Les entreprises ont été échaudées par les projets
globaux », avertit Olivier Njamfa. Le logiciel MWeb Touch d'Eptica peut être
connecté aux applications CRM via des API (interfaces), qu'il s'agisse de
progiciels du marché ou de développements "maison". « Nous avons conçu le
produit, dès le départ, de manière ouverte. Traiter les e-mails, c'est une
application en soi, mais elle devait pouvoir s'intégrer aux autres composants
de l'architecture technique », détaille le P-dg d'Eptica. L'éditeur croit dans
le potentiel de ce segment, estimant que seuls 10 % des 3 000 grands comptes
français seraient équipés d'une solution ad hoc pour la gestion des mails
entrants.
AKIO, RESCAPÉ DE LA BULLE INTERNET
Autre
éditeur d'un logiciel spécialisé, Akio est lui aussi confiant dans la
croissance de cette technique. L'éditeur français propose deux solutions, AMC
(Akio Mail Center) pour les mails entrants, et ADE (Akio Direct Email) pour les
e-mails sortants. Aujourd'hui opérationnelle sur ce marché, la société a dû
néanmoins surmonter l'explosion de la bulle internet, qui a failli lui être
fatale. « Entre mars 2000 et novembre 2001, Akio Solutions a réussi à lever 73
millions de francs. Puis, les investissements ont cessé net, ce qui nous a
conduit à la liquidation judiciaire », explique Olivier Durier, directeur
commercial. Mais la SSII Objective, spécialisée dans les réseaux, a repris
l'éditeur, qui se nomme aujourd'hui Akio Software. « La reprise est effective
depuis le 25 janvier 2002, les équipes de développement ont été remises à
niveau et l'activité commerciale a redémarré depuis mai 2002 », détaille le
directeur commercial. Depuis, l'éditeur a conclu un contrat avec France Télécom
pour son service ASP Qualimail, qui fonctionne avec Akio Mail Center. Akio
Software annonce une version 3 pour juillet prochain et avance comme objectif
de prouver aux centres d'appels que l'application est intéressante, « avec un
outil simple à déployer et à utiliser », selon Olivier Durier, qui juge que
l'intégration d'un tel outil de gestion des mails avec la téléphonie n'a pas de
raison d'être. En revanche, il estime que l'une des demandes principales des
centres d'appels concerne les statistiques que « le superviseur doit pouvoir
consulter en temps réel ». D'après Olivier Durier, le paramétrage de l'outil
dure quatre jours, la formation des utilisateurs étant d'une demi-journée pour
les opérateurs et de deux jours pour l'administrateur. Persuadé que la demande
dans les centres d'appels existe pour ce type d'application, Olivier Durier
anticipe une forte croissance et « une explosion de l'ASP ».
L'e-mail plus cher que le téléphone ?
Gérer ses e-mails en centre d'appels a un prix. Celui des outils logiciels nécessaires à ce traitement, qu'Olivier Savouret (Valoris) chiffre à environ 1 500 euros par position. Chez Eptica, on avance un prix de 50 000 euros pour quinze utilisateurs. Akio Software évoque un prix de licence de 39 000 euros, pour deux accès simultanés, et 2 000 euros par accès supplémentaire. Et 150 euros par mois pour une location en mode ASP. Chez Divine, il faut compter entre 24 000 et 36 000 euros par serveur, selon les modules choisis plus de 2 à 4 000 euros par station de travail. Autre expert, Laurent Dumontet (HelpLine) lance un pavé dans la mare. Selon lui, l'e-mail serait plus cher que l'appel téléphonique ! Or, on croyait acquis l'inverse, à savoir que la gestion d'un mail était plus économique que celle d'un appel. « Nous avons effectué un benchmark des coûts de traitement par média, et la conclusion qui s'impose, c'est que l'e-mail est plus coûteux que le téléphone », affirme le directeur de projets CRM d'HelpLine. Explication : un téléconseiller répond à environ 20 appels par heure, contre 15 mails, à problématique identique. Une affirmation qui risque de faire du bruit dans le petit monde des centres de contacts.
L'offre logicielle selon Valoris
Le cabinet Valoris a dégagé trois catégories de fournisseurs : les spécialisés, les suites CRM et les suites centres d'appels. Dans la première, il place Akio Software, eGain, Eptica et Kana. La deuxième rassemble Coheris, Chordiant, Firepond, PeopleSoft, Point, Satis, Siebel et Telisma. Dans la troisième, on trouve Altitude Software, Avaya, Cisco, Divine, Genesys, Interactive Intelligence, Nortel et Vocalcom.