"L'affaire" Euro-CRM : « On vient émarger, on joue aux cartes, on boit des cafés »
Le 26 juin dernier, les salariés d'Euro-CRM se rendant, comme tous les
jours, sur le centre d'appels de l'outsourcer au Kremlin-Bicêtre, constatent
que les portes sont non seulement fermées, mais confiées à la vigilance de
cerbères en uniforme. La veille même, on avait informé les quelque 200 salariés
de la cessation de leur travail au sein d'Euro-CRM, leur annonçant qu'ils
devaient se présenter, la semaine suivante, aux bons services de leurs nouveaux
employeurs, en l'occurrence Multilignes Conseil à Paris et Intracall Center à
Amiens. Virés, du jour au lendemain. Comment en arrive-t-on à des pratiques à
ce point indignes ? Sur le site du Kremlin, Euro-CRM gérait jusqu'à l'été
dernier, des opérations de télémarketing pour le compte de Noos, opérateur
câble et internet du groupe Suez. Or, au mois de mars, Noos a manifesté
l'intention de lancer un appel d'offres auprès des outsourcers. Appel d'offres
autour de trois lots : gestion des rendez-vous d'installation et de services
après vente, gestion des appels entrants sur le Numéro Vert, émission d'appels.
Neuf sociétés auraient répondu à cette procédure. A laquelle Euro-CRM n'a pas
souhaité souscrire (les relations entre le donneur d'ordres et le prestataire
n'étaient pas, semble-t-il, des plus sereines).
Le tribunal de Créteil donne raison aux syndicats
Le 1er juillet, l'activité
était effectivement prise en charge par les deux gagnants de l'appel d'offres,
ICC et Multilignes. La gestion des rendez-vous et des appels entrants étant
déportée sur Amiens et l'émission d'appels traitée dans le XVe arrondissement
de Paris. Seulement voilà, entre temps, pas d'avertissement officiel auprès du
comité d'entreprise, pas plus de discussion en vue de définir les modalités
d'un quelconque plan social, la direction d'Euro-CRM évoquant simplement, fin
juin, la suppression d'un peu plus de 80 emplois. Après deux manifestations
devant les sièges sociaux de Noos et d'Euro-CRM, le tribunal de grande instance
de Créteil, saisi par la CFDT et la CGT, a condamné le 18 juillet la direction
d'Euro-CRM à respecter la législation du travail. Exigeant de fait de
l'outsourcer de "convoquer son comité d'entreprise à une réunion d'information
et de consultation sur la perte de sous-traitance de Noos" et rappelant que la
direction d'Euro-CRM ne peut en aucun cas modifier ou rompre les contrats de
travail liés à la perte du contrat Noos avant que la procédure d'information et
de consultation ait été respectée, sous astreinte de 10 000 E par infraction
constatée. La menace semble efficace. Le 31 juillet, lors d'une rencontre entre
le CE et la direction - la première depuis le début de l'affaire -, il est
décidé de faire revenir le personnel au sein de l'entreprise, pour pointer. «
Depuis, on vient émarger, on joue aux cartes, on boit des cafés », commentait
fin août Juliette Alves, secrétaire adjointe au comité d'entreprise. Selon
cette dernière, sur les presque 200 personnes réellement concernées par cette
cessation d'activité (quelques téléconseillers travaillaient en délégation), on
ne comptait pas encore, fin août, de transferts effectifs vers ICC ou
Multilignes. Ce que confirme, pour sa partie, le P-dg d'Intracall Center. «
Nous avons ouvert un bureau, ainsi qu'un numéro d'appel et un numéro de fax.
Nous avons également rencontré en juillet, à Paris, des salariés d'Euro-CRM.
Nous sommes disposés à en accueillir », souligne Eric Dadian, qui explique
toutefois que l'évolution de cette affaire, en ce qui concerne sa société,
reste soumise à l'application ou non de l'article L 122-12 du code du travail.
Article prévoyant qu'en cas de transfert d'activité, les effectifs soient
repris par l'entreprise en héritant. « Quand il y a changement de prestataire,
et a fortiori lorsque ce changement fait suite à un appel d'offres, il n'y a
pas obligation d'appliquer les dispositions de l'article L 122-12 », précise
David Jonin, avocat à la cour spécialisé en droit social (cabinet Gide Loyrette
Nouel). A fortiori si l'activité externalisée n'est pas absolument la même que
la précédente. Ce qui, semble-t-il, n'est pas évident ici. Quoi qu'il en soit,
chez Intracall Center, l'activité de réception pour le compte de Noos a bien
démarré. Contactée, la direction de Multilignes Conseil n'a pas répondu à nos
sollicitations. Concernant l'avenir des salariés d'Euro-CRM, rien de bien sûr.
D'autant moins que, selon le comité d'entreprise, "la direction a parlé de
l'éventualité d'un recasement sur de nouvelles opérations ". Egalement
contactée, la direction d'Euro-CRM n'a pas répondu à nos demandes
d'information. Toujours est-il que, le 5 septembre dernier, les salariés
n'avaient pas reçu leur salaire et que la tension était à son comble, avec
dépéchage de forces de l'ordre devant les portes de l'outsourcer. Selon la CFDT
et la CGT, la direction aurait indiqué que les liquidités de la société étaient
insuffisantes...