JULIETTE DELCOURT, FRANÇAISE DES JEUX. LE PARI DU MULTICANAL
Directrice client de la Française des Jeux. Depuis un peu plus d'un an, la Française des Jeux a réuni ses différents pôles dédiés aux clients sous une direction unique. Chapeautée par Juliette Delcourt, celle-ci permet de répondre à la stratégie multicanal de la marque.
En 2010, la crise a-t-elle eu un impact sur votre chiffre d'affaires?
Juliette Delcourt: Pas exactement... Nous avons franchi la barre mythique des 10 milliards d'euros de mises en 2010. 95 % de cette somme sont reversés aux joueurs et aux pouvoirs publics. La redistribution des gains a augmenté de 5,6 % entre 2009 et 2010. Il faut savoir que notre activité est particulière: notre rôle de service public consiste à générer des mises pour que les joueurs gagnent, tout en fonctionnant selon un modèle raisonné et responsable. En parallèle, nous apportons un financement à l'Etat et au sport français. Le reste de nos bénéfices couvre notre budget de fonctionnement, dont la rentabilité est maîtrisée. Nous avons choisi un modèle de jeu extensif: nous préférons augmenter notre bassin de joueurs, quitte à ce qu'ils demeurent occasionnels, plutôt que de miser sur une poignée de gros clients.
Juliette Delcourt, Française des Jeux
La dépendance au jeu est un sujet sérieux, qu'il faut néanmoins traiter en faisant preuve de tact. Les clients n'acceptent pas d'être infantilisés.
Vous avez crée une direction client il y a un an et demi. Pourquoi?
En fait, la relation client existait déjà mais elle ciblait la clientèle d'internautes. Elle dépendait, d'ailleurs, de la direction multimédia. La direction du réseau des points de vente fonctionnait à part. Aujourd'hui, la direction client regroupe l'ensemble des pôles de la relation client: développement de la notoriété de la marque FDJ, accompagnement des clients tout au long de leur parcours, marketing relationnel pour conquérir, retenir et satisfaire le consommateur et service client téléphonique. Nous possédons également une équipe dédiée au programme de fidélisation. Auparavant, nous avions une logique dualiste Web et réseau, avec un service pour chaque canal. Ces deux pôles fonctionnaient avec deux équipes, deux numéros de téléphone et deux adresses distincts. La qualité du service n'était pas la même. Nous avons décidé d'unifier les process pour apporter à tous nos interlocuteurs des réponses aussi pertinentes. Cette approche multicanal est l'un des symboles de notre nouvelle direction client.
@ Marc Bertrand
PARCOURS
Diplômée de l'ESCP, Juliette Delcourt, 41 ans, a débuté sa carrière chez Yves Saint-Laurent Parfums, au service marketing international. Elle a ensuite intégré le service marketing opérationnel de Sony, avant de devenir directrice marketing de Gaumont Columbia Tristar Home Vidéo. En 2001, elle a rejoint Bouygues Telecom, où elle a occupé différents postes: responsable marketing produits, responsable marketing clients, responsable stratégie internet, puis iPhone business manager. Juliette Delcourt est devenue directrice client de la Française des Jeux en mars 2010.
Qui sont les joueurs de la Française
Les 28 millions de clients qui s'adonnent à cette pratique au moins une fois par an sont représentatifs de la diversité de la population française. Depuis quelques années, notre clientèle tend à se féminiser, même s'il nous reste du travail pour faire venir les femmes sur Internet et dans notre réseau. La segmentation s'effectue en fonction du thème du jeu et du prix, mais nous sommes en train de travailler sur une logique transversale, en prenant en compte les habitudes des joueurs. A la manière de la grande distribution, nous souhaitons analyser le potentiel des différentes zones géographiques, des attentes et des usages des clients pour mieux adapter notre réseau.
Quels canaux sont utilisés par les clients
Pour l'heure, 96 % du chiffre d'affaires sont générés par notre réseau de 35 800 points de vente. Les paris sportifs, qui se pratiquent à 90 % via ce réseau de vente, ont enregistré une croissance de 46 % en 2010, année de l'ouverture du marché. Quant à Internet, il représente 4 % du CA global. Notre objectif est d'atteindre 10 % à l'horizon 2015. Sur le Web, les deux tiers des joueurs fréquentent aussi le réseau physique.
Comment avez-vous établi une complémentarité entre le point de vente et le site marchand?
La complémentarité de nos canaux est mise au service de nos clients. Nos sites internet deviennent des points de contact, qui offrent une autre expérience de la FDJ et de son offre: il est possible d'y jouer de manière sécurisée, à n'importe quelle heure et de chercher des statistiques.
Les joueurs peuvent utiliser les applications smartphones, qui leur proposent des services tels que le calcul de gains ou la géolocalisation. Internet renforce la proximité avec nos clients.
Ce canal est au service de la notoriété des détaillants et augmente le trafic dans les points de vente.
Nous prenons notre temps pour nous installer sur l'ensemble des réseaux sociaux. Les sites communautaires sont un formidable levier, mais nous devons maîtriser les interactions avec les consommateurs.
Quel potentiel voyez-vous dans l'e-commerce?
Les «curieux», qui viennent visiter notre site sans y effectuer de transaction, représentent un levier important: sur nos 4 à 5 millions de visiteurs uniques mensuels, 90 % viennent seulement consulter les résultats du Loto et de l'Euromillions. A nous de leur donner envie de jouer! Cependant, l'inscription sur Internet représente un frein, car le parcours est très sécurisé. Au même titre que les banques, nous demandons aux clients de nous envoyer une pièce d'identité et un RIB, ce qui conduit certains internautes à abandonner le processus avant la fin.
Quelles solutions comptez-vous mettre en place pour remédier à ce problème?
Nous accompagnons le client jusqu'au bout de l'inscription: nous le contactons par téléphone et nous lui rappelons d'envoyer l'ensemble des pièces nécessaire pour récupérer ses gains. Nous travaillons également sur la numérisation des documents, pour en faciliter l'envoi. En outre, nous avons mis en place des bonus de bienvenue pour inviter les joueurs à s'inscrire: une grille est offerte à chaque nouveau client du site.
Comment abordez-vous le risque de dépendance au jeu?
Notre démarche a toujours été guidée par ces questions de responsabilité. Depuis longtemps, le message de prévention «Restez maître du jeu. Fixez vos limites.» est présent sur tous nos dispositifs de communication. Nous sensibilisons également nos détaillants et nos conseillers à cette problématique. Etant une entreprise de service public, nous finançons des études sur le jeu excessif, mais aussi des associations, que les clients peuvent solliciter en cas de dépendance. C'est un sujet sérieux, mais qu'il faut traiter en faisant preuve de tact. Les clients n'acceptent pas d'être infantilisés. Pour le lancement des paris en ligne, nous avons augmenté le nombre de modérateurs et continué de mettre en place PlayScan, outil suédois d'aide à la modération, qui fonctionne de manière très simple: en fonction des habitudes de jeu et des estimations réalisées par un client, le module fait apparaître un feu vert, orange ou rouge. Nous n'interdisons à personne de jouer mais nous donnons au client les moyens de s'autolimiter.
Les personnes qui décrochent le jackpot ont-elles droit à un traitement de faveur?
Ce n'est pas le service clients mais la direction de la communication corporate qui se charge des heureux gagnants, car la Française des Jeux prévoit de s'engager auprès d'eux, au-delà du jeu et de façon durable. Très souvent, ces personnes veulent rester discrètes vis-à-vis de leur entourage et pourtant, elles ont besoin de se confer. Ce service très particulier permet de les accompagner si elles le souhaitent. Un joueur est considéré comme un grand gagnant dès lors qu'il empoche 1 million d'euros. Une fois qu'il a gagné, il dispose de deux mois pour se manifester en appelant un numéro dédié, ouvert 24 h / 24. Il est ensuite dirigé vers le service «relation gagnants». Après vérification, nous nous déplaçons chez lui pour lui remettre la somme.
A partir de 15 millions d'euros, nous offrons à nos grands gagnants un service premium, en les invitant dans des palaces, des grands restaurants et en leur faisant découvrir les adresses de prestige des beaux quartiers parisiens. De cette façon, ils prennent conscience que leur niveau de vie va changer. Par la suite, nous leur proposons un programme d'accompagnement: apprentissage des transactions boursières, offres de placements, etc. Nous réunissons aussi, de temps à autre, nos grands gagnants pour qu'ils puissent échanger sur leurs expériences.
Envisagez-vous de faire témoigner vos grands gagnants dans vos campagnes de communication?
En effet, lorsqu'un Français gagne une grosse somme à l'Euromillions, par exemple, nous envisageons de le mettre en scène sur Internet, avec le détaillant qui lui aura vendu son bulletin gagnant. Nous réaliserons une web-série ou des tchats, dans lesquels l'heureux gagnant livrera de manière anonyme ses «manies» de joueur: jouait-il la date de naissance de ses enfants, fréquentait-il toujours le même point de vente? Les gens ont envie que nous leur racontions une aventure humaine et non que nous nous contentions de leur vendre un produit.
Quel bilan dressez-vous de votre présence sur les réseaux sociaux?
Nous avons créé notre page Facebook en décembre dernier. Quatre mois après sa création, elle rassemble plus de 10 000 fans. Nous pouvons désormais offrir un contenu dynamique et apporter des réponses aux internautes lorsqu'ils interviennent. Bien que la Française des Jeux demeure une entreprise publique très cadrée et sécurisée, nous évoluons avec nos clients, en restant totalement ouverts aux critiques et aux avis des internautes sur notre site. En revanche, nous prenons notre temps pour nous installer sur l'ensemble des réseaux sociaux. Les sites communautaires sont un formidable levier, mais nous devons maîtriser les interactions avec les consommateurs.
Cela fait aussi partie de la relation client: discuter en ligne avec les joueurs et les suivre dans leurs nouveaux modes de consommation, afin de privilégier la proximité et d'établir une relation durable avec eux.
Les chiffres-clés de la Française des Jeux
- Troisième loterie du monde après l'Italie et la Chine.
- 28 millions de clients sur le marché hexagonal.
- 10 milliards de mises en 2010.
- Mise hebdomadaire d'environ six euros par personne, soit 25 % de moins que la moyenne européenne.
- 365 800 détaillants.
- 12 téléconseillers de niveau 2 en interne.
- 50 téléconseillers de niveau 1 en centre d'appels externe.
- La gamme de jeux de grattage enregistre 4 290 millions d'euros de vente, avec 10,6 % de croissance.
- Les jeux de tirage restent la référence, avec 3 490 millions d'euros de ventes.
- En 2010, 92 joueurs sont devenus millionnaires.
- Le record de gain est de 42 millions d'euros à l'Euromillions, dans le Maine-et-Loire.