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Internet nouvelle frontière des centres d'appels

Fini, la concurrence ! Les centres d'appels et Internet découvrent aujourd'hui leur complémentarité. Car l'essor du commerce électronique nécessite de plus en plus d'assistance humaine. Grâce à la technologie, les sites Web marchands seront bientôt reliés aux plates-formes téléphoniques.

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Les deux années à venir seront marquées, selon toutes les prévisions, par un développement exponentiel du commerce électronique. En France, le volume des ventes sur Internet double tous les six mois, et cette tendance n'est pas prête de s'arrêter. Côté équipement, il s'est vendu l'an dernier 2,8 millions de micro-ordinateurs dans les circuits grand public, selon l'institut GfK, et ce chiffre devrait atteindre 3,2 millions en 1998. Plus de 2 millions de foyers français seront connectés à Internet d'ici à deux ans, d'après la même source. Tous ces chiffres démontrent une croissance en flèche du nouveau marché et laissent prévoir un développement important du commerce électronique. La France découvre ces vertus avec un certain retard. La promotion massive du Minitel, une invention qui a atteint ses limites techniques il y a bien longtemps, a freiné le développement d'Internet dans l'Hexagone. Mais ce frein se transforme aujourd'hui en un formidable accélérateur pour le commerce électronique : le Minitel a habitué la population française au contact homme-machine, l'a formée à la distribution automatique. Les Français, professionnels et parti-culiers, sont désormais prêts pour le business sur Internet. Dès le départ, Internet commercial a été considéré comme un canal de distribution indépendant et est apparu comme un concurrent des centres d'appels, se situant dans la logique du développement d'un service aux consommateurs : du courrier aux ventes par téléphone, du Minitel au Web. Ces pages Web offrent aux clients la possibilité de se connecter à tout moment et de n'importe quel pays, de visiter le magasin d'une grande marque, si ce n'est une galerie marchande virtuelle, et de passer sa commande en payant avec la carte bancaire. De plus, la mise en place d'un site Internet représente un investissement très faible comparé à celui d'une plate-forme téléphonique. Sa logique financière est basée sur des coûts fixes. La part la plus importante est consacrée au budget de création des pages Web sur l'écran d'un ordinateur. Elle dépasse rarement 1 million de francs.

Confrontation homme-machine


Ensuite, le fonctionnement du site est assuré par la machine, exactement comme pour le Minitel. Cette considération a provoqué un engouement pour des sites Internet marchands, surtout aux Etats-Unis. Des billets d'avion aux bouquets de fleurs, en passant par des livres et des ordinateurs, tout peut être acheté sur le Web et livré à domicile par les services des messageries rapides. Les consommateurs français sont de plus en plus nombreux à se connecter à ces services domiciliés outre-Atlantique. Mais aujourd'hui, les promoteurs du commerce électronique découvrent un nouveau problème : celui de la confrontation homme-machine. Plus l'offre sur Internet devient étoffée et plus le consommateur a besoin d'un conseil, d'un renseignement complémentaire, voire d'une assistance technique dans la manipulation des pages, avant de conclure la vente. Des conseils qu'aucune machine ne peut prodiguer. Conséquence : Internet ouvre une nouvelle voie aux centres d'appels. Le commerce électronique a, plus que jamais, besoin de ses opérateurs ! « Le problème du business grand public sur Internet aujourd'hui, c'est la gestion du contact entre l'automate et le client, explique ainsi Emmanuel Mignot, P-dg de Teletech International. L'entreprise délègue à la machine le soin d'agir en son nom, de faire des propositions au client. C'est une délégation des pouvoirs de présentation. Si les applications sont, techniquement parlant, déjà assez développées, leur fonctionnement n'atteint pas la finesse d'action d'un interlocuteur humain. La machine n'a pas une capacité suffisante d'adaptation au comportement du client. C'est l'enjeu du couplage Internet-centres d'appels : à tout moment, pouvoir mettre le client en contact avec un opérateur humain. » Tous les professionnels du Web-marketing sont aujourd'hui sensibilisés à cette question. En France, l'association professionnelle des télécommunications Ténor a créé une commission spécialisée Centres d'appels, chargée notamment de la promotion des applications pour Internet.

Une stratégie multisupport


De leur côté, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à élaborer des stratégies commerciales et marketing plurimédia faisant appel à Internet comme à un canal de communication parmi d'autres, et recherchent des centres d'appels capables d'assurer des prestations pour l'ensemble de ces supports. La question est aujourd'hui d'ordre technique : comment établir une communication téléphonique entre la plate-forme et le client, sans savoir où ce dernier se trouve ? La première réponse consistait jusqu'à présent à intégrer dans les pages Web un bouton "On va vous rappeler". Le client était invité à laisser ses coordonnées téléphoniques dans une boîte aux lettres électronique. Elles étaient transmises par e-mail à l'opérateur qui rappelait le consommateur sur sa ligne téléphonique classique. Mais en pratique, les clients hésitent souvent à donner leur numéro de téléphone, craignant une politique agressive du marketing téléphonique. Et pour ceux qui sautent le pas, cette démarche souffre encore d'un manque de célérité commerciale. Après avoir laissé ses coordonnées, le client infidèle a eu le temps de se connecter à un autre site, d'aller chercher le même produit sur un Web concurrent. Un rappel qui intervient plus tard, signifie déjà 30 ou 40 % de satisfaction en moins. Seule une communication instantanée avec l'opérateur peut éviter cette rupture. La technique a apporté la réponse. Aujourd'hui, on peut établir une connexion téléphonique vocale à partir d'une page Internet vers un autre ordinateur, sans couper la connexion ni décrocher son téléphone. Une technologie qui se nomme "la voix encapsulée" ou "téléphonie IP". Le microphone de l'ordinateur multimédia capte le son de votre voix, le numé- rise et le compresse, exactement comme le fait un téléphone mobile. En une parcelle de seconde, le signal compressé est envoyé par Internet vers l'ordinateur de votre interlocuteur, distant de plusieurs milliers de kilomètres. Ce dernier va décompresser le son et le restituer sur ses haut-parleurs intégrés. Le tout prend cent fois moins de temps qu'il ne vous en a fallu pour lire cette explication. La communication téléphonique IP s'intègre dans une connexion Internet normale et ne coûte pas un centime de plus ni à l'appelant ni à l'appelé, et ce, quelle que soit la distance. Les éditeurs de logiciels d'exploration d'Internet ont déjà intégré les passerelles de téléphonie dans leurs produits grand public, comme le Netcaster de Netscape et le Netmeeting de Microsoft.

Dialogue en temps réel


La création de ces passerelles téléphoniques est devenue l'une des grandes priorités pour le commerce électronique d'aujourd'hui et de demain. L'objectif est de développer la faculté de répondre au client en temps réel, en incluant dans chaque page un bouton "Si vous cliquez ici, nous allons pouvoir dialoguer !". Le client qui s'est perdu dans les pages Web, qui ne trouve pas l'information ou l'article qu'il recherchait, cliquera sur ce bouton et entendra la voix d'un agent dans les haut- parleurs de son ordinateur. L'opérateur verra alors affichée sur son écran la page où l'appelant se trouve, et pourra suivre, de façon synchronisée, le défilement des pages. Il sera plus en mesure de répondre aux questions et même de guider le client, pas à pas, vers la page qui contient les informations nécessaires. Certains sites Internet ont déjà mis en place la passerelle téléphonique vers une plate-forme d'appels. C'est notamment le cas du serveur de vente directe de Lucent Technologies (adresse www.lucentdirect.com). En bas de chaque page du catalogue, le bouton "Call Us" permet de se mettre en contact avec un opérateur d'Internet Call Center. D'un simple clic, le client voit s'ouvrir une nouvelle fenêtre qui explique les modalités de la connexion : la vitesse de modem requise, les logiciels nécessaires (Netmeeting de Microsoft), les heures d'ouverture du service. D'autres compagnies, comme la filiale belge de Sitel Corp, spécialiste des centres d'appels, s'apprêtent à tester la passerelle téléphonique sur leurs propres sites Internet, avant de proposer ce service aux clients. Mais avant que les nouvelles offres soient disponibles, il faut encore faire le travail d'adaptation : préparer les sites Web au fonctionnement en régime téléphonique et mettre les centres d'appels à l'heure d'Internet. Reste, sur ce chemin, quelques obstacles organisationnels, humains et techniques à franchir.

De nouvelles compétences pour les opérateurs


Les centres d'appels "branchés" auront ainsi besoin de nouvelles compétences. En premier lieu, former les agents à la navigation sur Internet. Ils seront de préférence polyglottes, car le commerce électronique ne connaît pas de frontières géographiques. Qu'un appel provienne de Patagonie ou d'Ukraine, la réponse doit être immédiate. Certains sites commerciaux à vocation européenne ou mondiale, envisagent d'avoir dans la même page Web plusieurs boutons d'appel : aide en anglais, en français, en espagnol, etc. Ces boutons aboutissant sur des opérateurs parlant la langue requise. Les opérateurs pourront être également identifiés selon leurs compétences : la technologie permettant d'identifier la page où l'appel a été généré, et de le router automatiquement, selon la référence de la page, vers l'agent spécialisé dans le domaine souhaité. « Un serveur hot-line sur Internet permet d'accueillir et de renseigner le client, de le guider à travers un parcours d'identification de la demande et seulement ensuite, le cas échéant, de le diriger vers l'opérateur spécialisé, explique Stéphane Aubin, directeur marketing de Natural MicroSystems. A ce moment, l'opérateur verra s'afficher sur son écran une fiche avec les renseignements déjà disponibles sur cette demande. Cela permettra de faire appel à des opérateurs plus qualifiés, voire à des ingénieurs. Ainsi, ce dernier ne perdra plus son temps à remplir la fiche du client, mais pourra se concentrer sur des questions pertinentes. »

Adapter le style de réponses


« Les centres d'appels doivent revoir leurs méthodes, renoncer à des stéréotypes, ajoute Emmanuel Mignot. Le couplage avec les Web commerciaux pose aussi le problème d'adéquation du style de réponse. Internet draine aujourd'hui une population relativement aisée, avec un niveau proche de bac + 5. Face à ces clients, on ne peut pas utiliser le même discours que face à une ménagère du Cantal. Le passage vers Internet impose un travail préalable sur le style des opérateurs. Et ce travail doit être fait conjointement avec les spécialistes de la communication qui ont conçu le site Web en question. » Parmi les problèmes spécifiques posés par le couplage Internet-centres d'appels, une autre inconnue subsiste encore. Au début de la connexion téléphonique, en effet, l'opérateur ne sait pas avec précision ce que le client a cherché sur le site. Si l'agent peut récupérer sur son ordinateur l'ensemble du chemin que le client a suivi sur le site Web, ainsi que la page où il se trouve actuellement, cette fonctionnalité n'est pas encore parfaite, car l'analyse de ces informations demande un certain temps. L'idéal serait de disposer sur l'écran d'un résumé, d'une fiche signalétique lisible très rapidement. Le développement des applications Internet-centres d'appels doit s'orienter vers le transfert immédiat du contexte de la requête. Ce qui nécessite une réflexion sur la manière de présenter ces informations afin de minimiser le temps de lecture pour l'opérateur.

Des solutions techniques sont déjà prêtes


Autre frein technologique au développement de ce couplage : la qualité de transmission vocale sur Internet. En théorie, la transmission numérique sur une ligne spécialisée entre le serveur Web et un centre d'appels permet une bonne qualité sonore. Mais en amont, dans la chaîne "client-prestataire Internet-serveur Web", la qualité de la transmission peut varier en fonction d'une multitude de critères - heure de la journée, encombrement des lignes téléphoniques, capacité de transfert chez le prestataire, etc. - entraînant une baisse de qualité sonore et une augmentation des temps de réponse. Pour Christophe Joubert, responsable chez Dialogic, société qui développe des solutions CTI (téléphonie assistée par ordinateur), l'intégration des liens vers Internet ne présente pas de difficultés majeures pour un centre d'appels. « Si la plate-forme téléphonique est déjà équipée avec un PABX et un réseau local, explique- t-il, nous n'allons rien casser dans ses structures. Une passerelle voie IP (Internet Protocol) sera rajoutée à côté du serveur CTI. Les opérateurs bénéficieront de fonctions identiques quant à la remontée des fiches identifiant l'appelant. Ce système devrait fonctionner quelque soit le logiciel de téléphonie utilisé car tous sont basés sur le même standard de codage de la voix. Sur une ligne Numéris de 64 Kbits, nous allons pouvoir passer jusqu'à six appels simultanément. Mais les variations de débit sur Internet restent le point faible de cette solution. Il ne sera pas facile d'assurer la même qualité de connexion à toute heure de la journée, mais en revanche, cette solution pré-sente l'avantage d'une mise en œuvre facile avec un coût bas. » Internet sera la nouvelle frontière pour les centres d'appels. « La capacité pour une plate-forme téléphonique de traiter les communications par Internet va devenir cruciale, conclut Stéphane Aubin. Bientôt, les entreprises choisiront leurs prestataires sur ce critère. »

Lucent Technologies : une offre bientôt disponible


Lucent Technologies, spécialiste des systèmes de communication d'entreprise, prépare une offre spécifique pour les centres d'appels orientés Internet. Elle sera disponible en France fin juin. « Nous nous attendons à une explosion rapide du commerce électronique, explique Anne Van Gaver, chef de ce produit. Il devient nécessaire d'assurer un lien entre les sites commerciaux et les centres d'appels, d'offrir un accès à l'assistance téléphonique en temps réel à partir des pages Internet. C'est un facteur de sécurisation psychologique pour la clientèle. » Selon Lucent, la mise en œuvre de nouvelles solutions centres d'appels-Internet ne nécessitera pas une modification des applications existantes, du serveur des statistiques et du CTI. La solution Internet Call Center viendra s'y greffer, avec ses deux composantes : la passerelle Internet Telephony Gateway capable d'acheminer jusqu'à quarante communications vers le centre d'appels, et l'applicatif "bouton d'appel" intégré dans les pages Internet. Lucent a aussi conclu avec la société Webline, un accord de co-marketing pour une interface synthétique qui affiche sur l'écran de l'opérateur, au moment de l'appel, toutes les informations concernant le client et son parcours sur le Web concerné. Le budget supplémentaire pour un centre d'appels déjà équipé d'un CTI et d'un serveur des statistiques, est estimé entre 150 000 et 300 000 F pour une passerelle de vingt communications (sans les services).

1998 : l'année où le commerce électronique explosera


Le marché du commerce électronique grand public en France devrait doubler tous les six mois pour atteindre 160 millions de francs à la fin de 1998, selon une étude présentée par le magazine "Stratégie Internet". En 1997, ce marché s'est chiffré à environ 40 millions de francs. L'étude révèle qu'il n'existe aujourd'hui en France qu'une centaine de sites permettant de commander en ligne les articles présentés. Le nombre de références dans leurs catalogues varie entre 5 et 60 000 produits. Ces sites commerciaux accueillent en moyenne 900 visiteurs par jour et reçoivent de 10 à 20 messages par jour. Ils enregistrent près de 200 commandes par mois et réalisent ainsi un chiffre d'affaires mensuel moyen de 100 000 francs, avec un panier moyen par client de 450 francs par mois. Le coût moyen de la création d'un site de ce type s'est élevé à 400 000 francs, dans une fourchette allant de 20 000 à 1 million de francs. Près d'un quart de ces sites ont été rentables en 1997, les autres sites estimant leur rentabilité à moyen terme.

ALEXIS NEKRASSOV

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