Frédéric Jousset, Olivier Duha (Webhelp) « Nous recherchons l'excellence opérationnelle »
En six ans, Webhelp a imposé son business model off-shore, désormais complété par une présence hexagonale, et connu une croissance exponentielle. Le fruit d'une démarche innovante et rigoureuse. Les explications de ses co-présidents.
Quelle a été la genèse de Webhelp ?
Frédéric Jousset : Après s'être rencontré chez Bain & Company, nous avons décidé de créer ensemble une société. Fin 1999, nous avons centré notre recherche autour d'Internet parce que c'était, à l'époque, le secteur le plus facile pour lever des fonds. Nous avons importé en Europe, par le biais d'un accord de licence, le concept d'une société américaine, Webhelp. com, qui était le premier portail à assistance humaine en temps réel sur le Net. Les Américains, dont les conseillers clientèle étaient implantés en Inde dans un objectif de rentabilité, nous avaient conseillé de trouver un pays où la maîtrise du français écrit était performante et avec des coûts inférieurs à ceux de la France. Après de nombreux voyages dans les pays francophones, nous avons ouvert en septembre 2000 un centre en Roumanie, avec un partenaire local. Si le succès d'audience a été très bon, les recettes publicitaires n'ont pas suivi. Trois mois après l'ouverture, nous avons donc lancé une offre entreprises, en proposant la technologie de chat aux portails internet qui étaient les plus demandeurs d'assistance en temps réel. Début 2001, notre offre corporate a commencé à bien prendre, d'autant plus que nous avions lancé le traitement d'e-mails. Et nous avons signé des références assez prestigieuses, entièrement de gré à gré. C'est ainsi que se sont constituées les prémices du business model off-shore de gestion de la relation client sur lequel nous avons développé la société.
Comment en êtes-vous arrivés à une implantation au Maroc ?
F. J : En discutant avec nos clients. Nous avons compris que, si le modèle off-shore fonctionnait, le mail et le chat étaient des canaux, à ce moment, un peu limités. D'où notre orientation vers la relation client téléphonique. La francophonie n'étant pas assez développée en Roumanie pour lancer une offre à grande échelle, nous avons choisi le Maroc. Où nous avons ouvert le premier centre d'appels début 2002, en profitant de nos relations avec nos clients Tiscali et Cdiscount qui ont accepté de nous suivre dans un test un peu avantgardiste à l'époque. Olivier Duha : A l'époque, nous avions la quasitotalité de la profession contre nous, qui disait que l'off-shore ne marcherait pas. Nous nous sommes donc placés tout de suite dans une démarche qualité extrêmement agressive, parce que nous ne voulions absolument pas tomber dans un piège du type “L'off-shore va capter les activités à très faible valeur ajoutée mais ne sera pas capable de lancer des opérations similaires à ce que l'on peut réaliser en France”. Nos process de recrutement, de formation, les outils, la technologie…, tout a été pensé dans une démarche qualité très forte. Ce qui nous a également aidés, et a confirmé l'intérêt et le potentiel de l'off-shore, c'est le lancement concomitant de Teleperformance en Tunisie. Mais nous avions beaucoup de choses à prouver. Il y a eu de longs mois d'évangélisation, d'éducation. F. J : A partir de 2002, nous avons connu une croissance exponentielle, en faisant croître nos activités à Rabat. Nous avions monté cette offre en partenariat avec une famille marocaine bien introduite dans le pays. En janvier 2004, nous avons constaté que nous étions tout à fait autonomes et fait une proposition de rachat, qui a été acceptée. Aujourd'hui, on voit d'ailleurs que les sociétés contrôlant 100 % de leurs filiales au Maghreb ont une meilleure maîtrise des process, de la réactivité, de la qualité, que celles en joint-venture. Nous avons suivi la même démarche, il y a quelques mois, en Roumanie.
Pour quelles raisons avoir ensuite ouvert un centre en France ?
F. J : En 2005, nous avons constaté que l'offshore était le segment le plus dynamique du marché, mais que la demande en France était également soutenue. Et des clients nous ont fait part de leurs souhaits d'avoir des prestations Webhelp en métropole, pour retrouver l'approche, les outils, les hommes…, pour des raisons de proximité, ou d'image, ou médiatiques, internes, syndicales… Il existait aussi une demande, dans des secteurs tels que l'Énergie, les services administratifs, la Santé… où les business models étaient moins concurrencés. Les secteurs étaient donc prêts à payer une surprime pour avoir des activités dans l'Hexagone. Notre but étant de couvrir tous les segments, nous avons alors cherché une localisation en France qui réponde à nos critères : moins de deux heures de Paris porte-à-porte, un bassin d'emploi suffisamment grand pour une unité d'au moins 500 personnes, afin d'être économiquement compétitifs, et un accompagnement, pas uniquement financier, des élus et des collectivités locales nous permettant d'aller vite dans l'immobilier et le recrutement. Après un appel d'offres, nous avons démarré nos opérations en France le 1er novembre 2005, à Caen.
Existe-t-il une différence entre le montage d'une activité en France et à l'off-shore ?
F. J : Monter un centre en France est beaucoup plus facile qu'en off-shore. En France, quand vous arrivez en région avec un projet de création de 300 à 500 emplois, les services de l'État sont très performants ; un guichet unique se mobilise pour que tous les acteurs concernés aillent très vite. Nous avons monté le centre de Caen en à peine trois mois. Tandis qu'à l'off-shore, il y a toute une logistique très lourde à mettre en place. Il n'y a pas de broker immobilier, pas d'antenne de recrutement, pas d'organisation comme l'ANPE…
Quels sont les résultats de ces six premières années ?
F. J : Aujourd'hui, nous avons un dispositif complet : off-shore et in-shore, canaux écrits et vocaux, émission et réception d'appels. Avec un modèle très cohérent : les définitions de postes, l'outil de travail, le contrôle qualité… sont les mêmes partout. Quant au chiffre d'affaires, nous sommes passés de 80 000 euros en 2000 à 500 000 euros en 2001, puis à 6 millions en 2003, 12 en 2004, 28 en 2005, 61 en 2006, avec une rentabilité nette d'environ 15 %. Pour 2007, nous sommes sur une tendance à 90-95 millions. La particularité de notre croissance est d'être à 100 % interne.
Avec quel type de clients travaillez-vous ?
F. J : Le driver de la décision de servir un client, c'est la taille du projet, assez souvent corrélée à celle de l'entreprise. Par construction, nous travaillons plutôt pour des sociétés de plus de 500 personnes, mais dans l'e-commerce, par exemple, il y a des sociétés qui ont encore de petits effectifs mais de forts besoins de relation client. Aujourd'hui, nous avons cinq clients du CAC 40. Nous devons gérer à peu près 80 programmes pour environ 40 sociétés, dont 30 dans le SBF 250.
Quel dispositif avez-vous aujourd'hui au Maroc ?
O. D : Nous avons six centres à Rabat. Nous avons ouvert à Fès l'an dernier. C'est un vrai succès même si nous avons pris un petit risque en nous implantant sur un bassin d'emploi qui n'était pas encore investi par les centres d'appels. Aujourd'hui, nous y avons une qualité de ressources humaines tout à fait prometteuse. Nous allons ouvrir un deuxième centre à Fès prochainement et un septième à Rabat à l'été 2007.
Pour quelles raisons avez-vous un développement concentré à Rabat et maintenant à Fès ?
O. D : Nous trouvons un réel intérêt à occuper une position de leader sur un bassin d'emploi. L'intérêt de la concentration repose essentiellement sur le recrutement, qui est l'étape la plus importante dans nos métiers et qui donne la possibilité ou non de pouvoir travailler dans de bonnes conditions. Dans l'esprit des Marocains, la notion de pérennité, de solidité, d'une entreprise est particulièrement importante. Webhelp a aujourd'hui une notoriété, une assise, à Rabat telles qu'un jeune diplômé qui souhaite entrer dans un centre d'appels veut travailler chez nous. Ce qui nous permet de récupérer une qualité de ressources humaines admirable. Aujourd'hui, on doit représenter 70 à 80 % de part de marché sur le bassin d'emploi de Rabat. A Fès, il est en train de se passer exactement la même chose.
Ne risquez-vous pas d'être confrontés à un problème de saturation ?
F. J : Les effets de saturation, nous ne les voyons pas à court terme. Et nous nous félicitons d'avoir fait le choix de Rabat et Fès parce que, sur les 100 à 120 centres d'appels au Maroc, environ 75 sont à Casablanca. O. D. : A Casablanca, le turn-over oscille entre 50 et 100 % sur un an. En étant archi leader sur un bassin, nous ne connaissons pas du tout le même phénomène, puisqu'il n'y a pas d'alternative possible aux salariés dans le même secteur. En 2006, nous étions en dessous de 20 % de turn-over, subi et provoqué. Ce qui peut paraître élevé, mais qui est très bien pour le marché de l'off-shore
Avez-vous également des projets sur la Roumanie ?
F. J : Tout à fait. Nous allons essayer d'en faire une base pour développer de nouveaux projets de relation client en Europe de l'Est. Il existe un véritable enjeu de développement de la voix en Roumanie et nous pensons être capables, avec de la formation, des laboratoires de langues… de convertir au vocal une partie des gens qui sont là depuis longtemps sur les activités écrites.
Allez-vous ouvrir de nouveaux centres en France ?
F. J : C'est probable. L'une des forces de Webhelp est de disposer d'équipes technique et immobilière nous permettant d'ouvrir très vite. Il nous faut trois mois pour bâtir un centre de 500 positions. Toute l'architecture télécom est centralisée, nous avons notre propre chaîne de fabrication de mobilier… et, dans toutes les villes où nous sommes présents, nous avons déjà identifié de nouvelles possibilités d'implantation.
Le prix est-il toujours le facteur déterminant en faveur de l'off-shore ?
F. J : C'est le facteur déclenchant de la réflexion. Ce n'est pas la seule raison, mais c'est la première et principale. L'économie est très forte. Par rapport à une situation où l'on a des salariés très privilégiés par les conventions collectives, qui sont plutôt à 32 heures que 35 ou, comme on le voit parfois, à 27 heures si l'on ajoute les temps de formation, elle peut être de 35 à 40 %. Sur des modèles plus concurrentiels, tout compris, une fois intégrés les coûts de gestion de projets, de déplacements…, elle est de 30 %. O. D : En deuxième position, vient la flexibilité. L'off-shore permet de beaucoup mieux gérer les variations de charge, l'ouverture de nuit, les jours fériés, le week-end… En France, la flexibilité est très coûteuse.
Selon vous, la part de l'off-shore va-t-elle encore se développer ?
F. J : Il suffit de regarder le marché américain où elle est de l'ordre de 10 - 12 %, un taux à peu près deux fois supérieur à celui du marché français. Dans notre histoire, la demande n'a jamais été aussi forte. Forcément, à un moment, elle va “s'asymptoter”. Mais, imaginer que l'activité off-shore se stabilise entre 20 et 30 % de la production est tout à fait logique et rationnel.
Vous évoquiez l'approche Webhelp, qui a incité vos clients à vous demander des prestations en France. Comment la définiriez-vous ?
O. D : Dès le départ, nous avons cherché à comprendre ce que les clients n'aimaient pas dans leurs rapports avec le monde de l'outsourcing, dont ni Frédéric ni moi ne venions. Des notions de manque de flexibilité, d'empathie, de compréhension, de réactivité, de créativité… sont revenues assez systématiquement. Nous nous sommes donc dit que nous devions avoir une image complètement différente de ce dont on entendait parler, être une société très innovante, créative, réactive, proche de ses clients. Le succès de Webhelp, indépendamment de son positionnement pionnier sur l'off-shore, s'est aussi joué sur notre capacité à traiter les clients de manière différente avec une notion très VIP et une organisation nous permettant de le faire. Autre vrai point de différenciation : au niveau du recrutement, de la formation, des outils…, nous nous demandons ce qui va permettre au conseiller client de délivrer une qualité de prestation, de discours, au-dessus de la moyenne du marché. C'est que nous appelons la recherche de l'excellence opérationnelle. F. J : Nous sommes rentrés très tôt dans la logique de l'ISO. Et, il y a deux ans, nous avons obtenu de l'Afaq une certification pour l'ensemble de nos sites de production. O. D : Nous avons aussi considéré très tôt que la satisfaction du téléconseiller et sa bonne humeur étaient des éléments totalement déterminants dans la qualité de son discours. Nous avons mis en place un outil, Satsa (satisfaction salariés), un véritable baromètre de satisfaction interne avec lequel on peut mesurer, à une fréquence trimestrielle et sur 25 critères, le degré de motivation et de satisfaction de nos salariés. Il est devenu un véritable outil de management. F. J : Nous nous attachons à prendre en compte tous les éléments qui peuvent impacter la qualité de la prestation, à les modéliser, les mesurer pour qu'ils s'améliorent. La satisfaction des salariés en est un, celle des clients finaux aussi. Nous avons été les premiers à mettre en place un outil, Satcli (Satisfaction clients), pour nos donneurs d'ordres disposant d'une base d'adresses e-mails. En fin d'appel, un e-mail qui mesure la satisfaction de l'appelant est automatiquement généré.
Quelle est votre politique en matière d'outils et d'infrastructures ?
F. J : En 2006, nous avons investi environ 10 millions d'euros dans l'outil de production. Les technologies sont déployées sur l'intégralité des centres et des positions. Par exemple, tous les centres ont des écrans plats 17 pouces, nous sommes en VoIP partout, nous avons des technologies d'enregistrement Nice avec capture d'écran, la solution de planification Invision… Nous avons en cours de déploiement, pour la fin du premier semestre, un projet appelé Webhelp TV. C'est un réseau d'écrans plasma qui vont donner les informations de production mais aussi permettre de relayer des messages en communication interne et diffuser l'information de manière plus interactive et plus Rich Media que sur un Intranet.
Et en termes de ressources humaines ?
F. J : Quand nous avons pensé la différence Webhelp, nous nous sommes dit que la meilleure solution était de ne pas reproduire les schémas classiques mais d'offrir une différence perceptible, consistant à prendre les meilleurs dans chaque secteur. Sur Paris, nous avons un sourcing de candidats qui permet d'enrichir cette différence. Pour les équipes des centres, nous avons une politique de formation très poussée, avec un institut de formation interne, la Webhelp University, sur lequel nous investissons 7 % de la masse salariale. Elle offre en moyenne 200 heures de formation par an par collaborateur, soit un total de 500 000 heures en 2006. Nous sommes aussi les seuls en France à former au titre de CSCD, conseiller service client à distance, niveau IV, reconnu par le ministère du Travail et qui implique 450 heures de formation.
Qu'en est-il de vos pratiques au niveau social ?
F. J : Au Maroc, au-delà du salaire fixe et du variable, qui peut atteindre 20 % du fixe, nous avons une approche globale au niveau d'un package. Avec des avantages tels que la restauration collective, la prise en charge du transport en dehors des heures d'ouverture des transports en commun, une crèche d'entreprise, l'organisation tous les mois d'un week-end de tourisme dans le pays… Nous sommes signataires de la Charte de la Diversité dans l'entreprise de l'Institut Montaigne et nous sommes très vigilants quant aux problèmes de discrimination sexuelle, raciale…
Outre les ouvertures, quels sont vos projets de développement ?
F. J : Pour 2007, nous travaillons sur le développement du home-shoring. Il s'agit de la réplication d'une pratique qui fonctionne bien aux États-Unis. Le retour d'expérience nous indique qu'il s'agit d'un modèle gagnant pour tout le monde : pour l'outsourceur, le télétravailleur et le client. Nous sommes en train de mettre au point une offre que nous allons proposer à nos clients et que nous généraliserons ensuite au marché. Dans un premier temps, nous allons tester le modèle avec nos salariés de Caen, puis nous élargirons le test en recrutant dans un rayon de 100 kilomètres autour de la ville, pour un déploiement national fin 2007. Parmi nos autres projets, figure l'obtention de la norme NF. Et nous venons de signer les statuts de la Fondation d'entreprise Webhelp, dotée d'un million d'euros, destinée à investir, avec un engagement sur cinq ans, dans des actions humanitaires. Ce que nous faisions précédemment, mais de manière ponctuelle. Nous développons également le mécénat de compétences, en participant, par exemple, depuis deux ans au Sidaction.
Songez-vous à une entrée en Bourse ?
F. J : C'est un objectif à l'horizon 2008-2009. C'est la suite logique de notre évolution.
Biographie
DOlivier Duha 37 ans. Débute sa carrière en 1992 chez LEK Consulting, cabinet de conseil en stratégie et fusions/ acquisitions. Basé successivement à Londres, Paris et Sydney. MBA à l'Insead en 1998. Rejoint le groupe de conseil Bain & Company où il intègre la practice “E-Business”. Co-fondateur de Webhelp en 2000.
Biographie
DFrédéric Jousset 36 ans. HEC. Débute sa carrière chez L'Oréal à des responsabilités marketing. Rachète en 1998 l'éditeur de logiciels Dialog qu'il fusionne avec son concurrent Ikosoft. Intègre Bain & Company en 1999 au sein de la practice “private equity”. Co-fondateur de Webhelp en 2000.
Webhelp
DCréation en juin 2000. DCapital : fonds de private equity, 50 % ; management et salariés, 50 %. DImplantations : 7 centres au Maroc (6 à Rabat, 1 à Fès) ; 2 en Roumanie (Bucarest et Galati), 1 en France (Caen). Plus de 3 500 personnes employées : 2 600 au Maroc, 400 en Roumanie, 500 à Caen, 50 au siège parisien. DChiffre d'affaires 2006 : 61ME (+ 114 %). Prévisions 2007 : 90 - 95 ME. DRépartition du CA : Médias, Télécommunications, FAI, 50 % ; VPC, VAD, e-commerce, 20 % ; secteurs financiers et assurances, 10 % ; divers, 20 %. DRépartition de l'activité : 70 % relation client par téléphone ; 20 % relation client électronique (e-mail, chat, courrier numérisé…) ; 10 % conseil et technologies. 1 million d'appels entrants par mois, 250 000 appels sortants, 250 000 mails, 100 000 courriers. DClients : L'Oréal, La Redoute, Meetic… DCertifié ISO 9001-2000, labellisé Anvar.