Eric Dadian (AFRC) « Se tourner vers l'innovation dans la relation client »
Réélu à la présidence de l'Association française de la relation client, qu'il a cofondée en 1998, Eric Dadian tire le bilan de huit années de travail tournées vers la professionnalisation du secteur. Et donne les orientations de la nouvelle “AFRC 2.0”.
Lors de la création de l'AFRC, en 1998, quels en étaient les objectifs fondateurs ?
Eric Dadian : L'objectif clairement affiché était de défendre, de promouvoir les métiers de la relation client et de structurer ce secteur. Nous voulions aussi le professionnaliser, apporter des méthodologies, des process, des idées sur la formation…
L'AFRC était-elle déjà une association multiacteur ?
E. D : Au départ, les quatre sociétés fondatrices (Chronopost, Quelle, Bouygues Telecom et Intra Call Center) représentaient essentiellement les centres d'appels intégrés, sachant que j'étais le seul outsourceur. Nous avons décidé d'ouvrir petit à petit l'association à d'autres membres parce que toutes les problématiques que nous traitions, au niveau de la relation client et de la défense de ses métiers, concernaient aussi bien les Télécommunications, les offreurs de solutions, l'offre d'implantation, de formation, de conseil… Ce que nous surveillons, c'est qu'il existe un pourcentage majoritaire, qui est respecté, de centres internes.
Comment est structurée l'AFRC ?
E. D : Nous avons un conseil d'administration, élu pour deux ans, et un bureau. Le conseil est composé depuis cette année de huit membres : les quatre fondateurs (Laurent Biojoux et Corinne Caffin – Bouygues Telecom –, Christophe Nepveux –The Phone House – et moi-même) et quatre nouveaux membres : Françoise Leroy (Crédit du Nord), Thierry Chamouton (Groupe Canal +), Paul Andrei (Groupe Accor Monde) et Martial Lehiress (Ikea). Nous sommes ainsi représentatifs en termes de secteurs d'activité. Ce conseil d'administration fixe la stratégie de l'association et vérifie que, quand il y a un souci d'actualité – comme, par exemple, le projet d'arrêté de Nicolas Sarkozy ou la gratuité du temps d'attente –, on puisse réagir avec un consensus de tous les membres. Le conseil nomme un bureau, élu aussi pour deux ans, avec un président, un délégué général et des viceprésidents. Nous avons également des rapporteurs des différentes commissions de travail.
Quelles grandes actions avez-vous menées en huit ans ?
E. D : Nous avons participé à la reconnaissance de ce secteur. Promouvoir un métier, c'est aussi le faire connaître auprès des pouvoirs publics, des organisations syndicales, de la presse et de la population pour intéresser les jeunes recrues à venir travailler dans notre secteur, pour créer de l'emploi. Aujourd'hui, l'AFRC est reconnue dans les ministères de l'Emploi, de l'Industrie, de l'Education nationale, comme un acteur de lobbying qui est présent. Le Medef nous a aussi reconnus, puisque nous appartenons au Groupement des professions de services où nous siégeons depuis 2005 avec une dizaine d'autres fédérations et associations de services. De nous-mêmes, nous sommes allés montrer auprès de la Cnil notre déontologie, notre volonté de structurer ce marché, de gommer l'image déplorable de l'époque. En 2001, nous avons ainsi créé un code de déontologie et, en 2006, nous avons écrit un nouveau code compte tenu des nouveautés de la loi Informatique et Liberté, des nouveaux supports, e-mail, SMS… Au niveau formation, lors de la création de l'Association française de la relation client, le diplôme le plus utilisé dans les centres d'appels était le BTS action commerciale. Nous avons voulu élargir le champ et avons obtenu des diplômes du ministère de l'Education nationale : un bac pro relation client, un Deust, une licence pro Téléservices pour les superviseurs. Un master est en cours d'élaboration avec l'université de Picardie et nous avons le projet de créer un bac. Nous avons également mis en place des études (cartographie avec le Cesmo, partenariat avec Dimension Data sur les indicateurs de la profession…), participé à la création des trophées des Casques d'Or, pour que la profession se mesure tous les ans sur des critères de qualité, participé à celle de l'association européenne Eccco, en 2002, pour une structuration du marché au niveau européen. Nous avons lancé la Journée nationale des métiers de la relation client qui, de 2003 à 2005, s'est déroulée dans une vingtaine de villes ; notre objectif étant, pour 2007, de faire un tour de France à destination des petites et moyennes entreprises en s'appuyant sur les clubs régionaux. Toujours dans le cadre de la professionnalisation, nous avons récemment signé une convention avec le CNML et nous demandons à nos membres de s'engager, aux côtés de six grandes entreprises françaises, pour recruter des jeunes provenant des Missions locales. Pour la première année, nous prévoyons le recrutement de mille jeunes dans les métiers de la relation client. L'AFRC s'engage pour développer l'emploi en France.
Vous avez également participé à la mise au point de deux outils : norme et certification Afaq-Afnor et Label de Responsabilité Sociale. Quels en sont les objectifs ?
E. D : Ces outils constituent le socle de la professionnalisation. Le Label de Responsabilité Sociale peut être critiqué, mais aujourd'hui il a une vraie fonction vis-à-vis des salariés. Lors de notre assemblée générale de septembre dernier, nous l'avons remis à cinq nouvelles entreprises*. Un troisième vague de labellisation va démarrer fin 2006 et une quatrième en 2007. Ce Label est important, parce qu'il règle les relations entre les donneurs d'ordres et les prestataires et entre les centres et leurs salariés. Son objectif est, au-delà de la loi, d'améliorer les relations et conditions de travail. Et, si les salariés sont gagnants, le public sera gagnant, et les prestataires et donneurs d'ordres aussi. Avec le Label, le donneur d'ordres qui veut sélectionner autrement que par le prix a le choix. C'est d'ailleurs ce que vient de faire EDF pour choisir ses prestataires, sachant que le Label peut être un des critères de choix pour les services publics. Et j'espère que la norme Afnor deviendra également un des critères au sein des appels d'offres. Sachant que cette norme est, elle aussi, importante parce qu'elle régularise les rapports entre un consommateur et une marque
Depuis 2005, six entreprises seulement ont été certifiées NF Service Centre de Relation Client **. Est-ce satisfaisant ?
E. D : Non. Mais nous en espérons une dizaine supplémentaire sur 2006-2007. Il est vrai que la démarche n'est pas simple et que, même si elle n'est pas très coûteuse, elle demande un engagement fort de la part de l'entreprise. Nous allons commencer, avec l'Afnor, une campagne de promotion plus importante que jusqu'à présent. Il faut, là aussi, faire un tour de France, aller prêcher la bonne parole.
Au final, quel bilan tirez-vous de ces huit années ?
E. D : Certes, il reste encore beaucoup de choses à faire, mais nous avons réussi à obtenir ces deux outils, norme et Label, et nous avons atteint l'objectif, qui était dans l'objet même de l'association, de faire reconnaître et professionnaliser ce secteur. Et nous avons réussi à constituer une association forte aujourd'hui de 400 membres. On nous reproche parfois notre côté “auberge espagnole”, “ratatouille”, mais c'est grâce à cette diversité que nous pouvons être un lieu d'échanges, de benchmark, où les gens viennent chercher de l'air, de la réflexion, peuvent se tourner vers l'avenir… Tous nos membres ont la même déontologie, la même envie de créer une certaine éthique pour continuer à développer les métiers de la relation client en France. Sachant que notre pays est très en retard par rapport au marché européen. La France emploie 250 000 personnes dans ce secteur, l'Allemagne 400 000, la Grande-Bretagne un million… L'Italie nous rattrape avec plus de 220 000 personnes.
Le fait d'être une association, et non un syndicat, n'est-il pas gênant pour faire avancer les choses ?
E. D : L'inconvénient, c'est que nous sommes limités en termes de moyens, par rapport à un syndicat professionnel. Nous ne fonctionnons qu'avec nos cotisations. Mais l'avantage, c'est que ce statut associatif nous offre une vue d'ensemble de tous les problèmes du secteur et nous donne une certaine indépendance pour traiter tous les sujets. Nous avons une force de lobbying qui peut être transverse à tous les secteurs. Nous pouvons parler des collectivités locales, des solutions technologiques, des process de formation…
Quel est le budget de fonctionnement de l'AFRC ?
E. D : 100 000 euros par an. Alors que l'on sait que des think tanks, des organisations professionnelles… peuvent avoir des budgets de plusieurs millions d'euros…
L'association va-t-elle évoluer au niveau de la composition de ses membres ?
E. D : Aujourd'hui, nous avons un peu plus de cinquante pour cent de centres internes et le reste représentant les autres métiers. Notre objectif est d'aller vers un pourcentage de centres internes correspondant à celui du marché, c'est-à-dire environ quatre-vingts pour cent et donc vingt pour cent pour les autres acteurs. Par ailleurs, nous avons toujours voulu garder notre indépendance visà- vis des fournisseurs. Nous sommes obligés à une vraie neutralité ; nos membres centres internes étant suffisamment chassés par ailleurs par tous les offreurs de solutions… Personne ne vient faire ouvertement du commerce pendant les réunions de l'AFRC. Lorsque nous organisons des événements, nous avons des sponsors ponctuels, mais dans un cadre bien défini.
Quelles orientations allez-vous prendre pour les deux années à venir ?
E. D : Nous allons vers une “AFRC 2.0”. Nous voulons faire prendre à l'association le virage de l'innovation dans la relation client. En faisant réfléchir nos membres sur toutes les évolutions, sur toutes les bonnes idées qui existent dans notre secteur et dans d'autres, et en les mettant en commun. Parce que demain, c'est le client lui-même qui va décider de ce qu'il veut voir dans la relation client, de la façon dont il veut être cocooné, être compris… Les entreprises françaises adorent dire “Il faut mettre le client au centre du 360°”, mais ont-elles vraiment pris conscience de l'évolution du consommateur ? Quelle va être l'attitude d'un consommateur qui vient de créer sa page 2.0, son blog… face à la relation client ? Comment va-t-il influer sur les centres d'appels ? Comment la marque va-t-elle se mettre à sa portée ? On voit apparaître des concepts ou des technologies, tels que le Web 2.0, le wid jet, le mash up, les puces RFID, la télévision sur Internet, etc. Est-ce que demain, un téléconseiller travaillera encore au téléphone ? Comment apportera-t-il une valeur différente avec des médias différents ? Sera-t-il un “pilote dans l'avion” ayant à sa disposition une palette d'outils ? Comment va-t-on interagir avec les clients ? Beaucoup de questions se posent à notre secteur. L'AFRC milite pour que la France aille vers le très haut débit. Mais quel impact aura cette révolution par rapport aux usages, aux nouveaux services et à la vie quotidienne des Français ? Nous sommes des “intermédiaires” et nous avons un rôle important à jouer, et qui va l'être de plus en plus. Mais il va sûrement nous falloir revoir nos process, nos organisations, la formation de nos téléconseillers…
Concrètement, comment allez-vous prendre ce virage de l'innovation ?
E. D : Nous allons organiser des voyages d'études, aller voir ce qui se passe à l'étranger ; sortir de nos problématiques sociales, offshore… Nous avons désormais une commission R&D Innovation pour laquelle Jean-Michel Billaut, le créateur de l'Atelier, nous a rejoint. Avec lui, nous allons pouvoir rencontrer des intervenants ayant travaillé sur toutes ces nouvelles technologies, faire de la veille… Mais, au-delà de cette commission spécifique, c'est l'ensemble des commissions qui vont chercher des idées dans ce sens et les approfondir. Nous nous sommes également rapprochés du Pôle de Compétitivité Industries du Commerce lancé par la région Nord.
Abandonnez-vous pour autant vos fondamentaux ?
E. D : Bien sûr que non. Mais nous aborderons de nouveaux thèmes. Nous continuons également à réaliser des études. Notre partenariat avec Dimension Data dans le cadre de son benchmarking se poursuit, avec une dimension mondiale sur tous les indicateurs. Nous allons essayer de refaire une cartographie des centres d'appels, de remonter un nouveau benchmark annuel sur les indicateurs propres à l'AFRC. Avec VediorBis, nous avons créé un Baromètre social annuel sur la satisfaction des salariés à travailler dans le secteur de la relation client. Nous participerons également au prochain SeCA dans le cadre des conférences. Un “Club” AFRC des dirigeants de la relation client est aussi en train de se créer, animé par Thierry Paterkiewicz (TP Inc.) Et nous venons de mettre en ligne notre nouveau site.
N'avez-vous pas l'impression d'avoir mené un combat un peu d'arrière-garde contre l'off-shore ?
E. D : C'est un sujet sur lequel on a du mal à avoir un consensus. Mais, nous n'aurions jamais dû entrer dans ce débat. Ce qui nous intéresse, c'est de trouver de nouvelles formes d'exercice de nos métiers, où qu'ils soient. Si les entreprises choisissent d'avoir recours à l'off-shore, cela les regarde. D'ailleurs, en Grande-Bretagne, en Allemagne, la question ne se pose même pas. En fait, ce n'est pas un sujet sur lequel nous devons travailler. Nous devons réfléchir à la manière de tirer le marché vers le haut en termes de qualité perçue, réfléchir à ce que veut le consommateur. Car la vraie question est bien celle de la qualité du service, quel que soit l'endroit où nos métiers sont exercés. Mais on peut être amené à penser que la proximité intellectuelle et physique est un atout dans le sens de la qualité.
Par rapport à l'image “déplorable” de la fin des années 90, comment se situe aujourd'hui la relation client à distance ?
E. D : Là où il y a eu progrès, c'est au niveau des différentes reconnaissances que j'évoquais précédemment et de la professionnalisation du secteur. Là où il y a régression, c'est au niveau de la qualité perçue par le consommateur. Depuis qu'il a été “réveillé”, le consommateur parle, il est encore plus exigeant et l'impression de se faire avoir peut entraîner des effets boomerang auxquels on ne s'attendait pas. Cette mauvaise image vue du consommateur est d'autant plus importante que, demain, la différence viendra du service. Le service est devenu une partie intégrante du produit. On n'achète plus un produit, mais on achète un service. Les marques et entreprises qui investissent dans le service seront celles qui seront pérennes. Certaines entreprises qui ont des problèmes financiers font des coupes à ce niveau. Mais, même si je n'ai pas à juger de leurs choix, je pense que ce n'est pas une stratégie à long terme. Car le consommateur se tournera vers celles qui seront capables de lui apporter un service de qualité.
Comment voyez-vous l'évolution du marché de l'outsourcing ?
E. D : Depuis deux trois ans, ce métier a subi la pression que l'on connaît. Il a besoin de faire la preuve qu'il est capable d'apporter la qualité et la flexibilité demandées par le marché. Mais, à cause de sa réglementation du travail, la France ne dispose pas de la souplesse qui existe dans d'autres pays européens. La profession va encore souffrir car, aujourd'hui, le facteur prix reste important et les acteurs vont forcément devoir trouver des solutions à bas coûts, type off-shore.
Etes-vous “président à vie” de l'Association française de la relation client ?
E. D : Je suis passionné par ce secteur, par ses métiers. Tant que je pourrai être utile, tant que je pourrai contribuer à apporter des idées, tant que la passion sera là, je m'investirai. Mais peut-être qu'un jour, je ne serai plus utile… Pour l'instant, je suis réélu pour deux ans. Après, on verra.
Biographie
Eric Dadian 48 ans, marié, deux enfants. MSG Dauphine, 1982. Directeur des systèmes d'information et directeur du développement du groupe SVP pendant dix ans. Crée Intra Call Center, centre de contacts multicompétence, à Amiens en 1997 (aujourd'hui, trois sites, mille personnes employées, CA prévisionnel 2006 de 28 ME) . Président de l'AFRC depuis 1998. Ancien président de l'association européenne Eccco. Membre du conseil exécutif du Groupement des professions de services du Medef. Coauteur du livre “Les Centres d'Appels”, éditions L'Harmattan.
L'AFRC
Créée en 1998. 400 membres. Composition du bureau. Président Eric Dadian (Intra Call Center). Délégué général : Laurent Biojoux (Bouygues Télécom). Vice-présidents en charge : des relations avec le SP2C, Laurent Uberti (Acticall) ; des actions régionales, Dominique Lemoine (Adear) ; R&D Innovation, Jean-Michel Billaut ; du programme pédagogique et des formations, Philippe Riveron (Learning CRM) ; des études et du programme des commissions, Sophie Duval (Adiantal). Chargée de mission : Bérénice Carrillo. Commissions : Ressources humaines, Observatoire de la relation client, Collectivités locales, Observatoire de la formation… Dwww.afrc.org