ERIC FALQUE BEARINGPOINT
Senior Vice President, Global CRM Leader Continue, digitale, éditorialisée, basée sur des services fidélisants... La relation client de demain n'aura sans doute que peu de choses en commun avec celle que l'on connaît aujourd'hui. De son poste d'observation privilégié chez BearingPoint, Eric Falque décrit les tendances et enjeux des années à venir.
Compte tenu des évolutions technologiques, comment peut-on aujourd'hui définir le territoire de la relation client?
Il couvre toutes les interactions entre une entreprise et ses clients et prospects. Mais nous sommes en train de passer d'interactions point à point, d'une relation quelque peu discontinue, à une relation de plus en plus continue. C'est l'un des impacts majeurs de la révolution digitale qui va engendrer des évolutions considérables. Par exemple, il sera possible de proposer un niveau d'information, ou d'alerte, totalement personnalisé, répondant aux besoins des clients quand ils le souhaitent et de la manière dont ils le souhaitent. Les démarches de ce type restent à inventer, mais il faut déjà réfléchir aux conséquences du passage d'une relation «événementielle» à une relation continue. Sachant qu'aujourd'hui, on est encore dans un environnement où l'enjeu consiste à homogénéiser, à avoir un traitement de la relation qui apparaît naturel, fluide, simple, et ce dans un environnement de plus en plus complexe et multicanal.
De quelles natures sont ces interactions?
Les entreprises doivent appréhender trois dimensions: transactionnelle, relationnelle et expérientielle. La dimension transactionnelle recouvre toutes les formes d'achat, de demande d'informations... ; tout ce qui amène un service délivré de la manière la plus efficace possible avec, avant tout, un enjeu de productivité. La dimension relationnelle - celle dont on a jusqu'à présent le plus parlé dans le cadre de la gestion de la relation client - concerne les relations développées avec une entreprise à travers les centres de contacts, le Web et, demain, les communautés, les blogs... mais aussi les relations développées entre clients de la même communauté ou ayant le même centre d'intérêt. Enfin, la dimension expérientielle, traditionnellement traitée par les services marketing, de design ou de merchandising, mais peu par les cabinets de conseil, est en train de devenir fondamentale. Elle fournit l' opportunité d'adhérer aux valeurs d'une marque, de s'en imprégner. Nous explorons beaucoup ce champ, par définition «non marchand», séparé des aspects transactionnel et relationnel, parce que tous les développements digitaux constituent une formidable opportunité de découvrir des univers de manière différente.
On pourrait imaginer que l'expérientiel s'arrête aux lieux de vente, aux concept stores...
En fait, pas du tout. La notion d'expérientiel est très liée, par exemple, à l'univers de l'image, de la vidéo... Cette dimension va amener les entreprises à mettre en place une relation avec leurs clients de plus en plus éditorialisée. Non seulement elles vont devoir fournir du contenu, mais aussi lui donner du sens, le mettre en perspective, l'animer régulièrement. Ce qui est un changement fondamental en termes de systèmes, de process et de modes de fonctionnement. Nous disons à nos clients: «Préparez-vous à devenir une entreprise de média». Les entreprises vont devoir s'intéresser à la gestion des droits d'image, intégrer des acheteurs d'art, etc.
@ Marc Bertrand
PARCOURS
Eric Falque, 51 ans, est diplômé d'Euromed Marseille et titulaire d'un MBA de York/ Laval (Canada). Après avoir été directeur commercial de Mattel France, Eric Falque entre en 1991 chez PriceWaterhouseCoopers. Il y prend la tête des activités de gestion de la relation client (CRM) en France, puis en Europe. En 2002, il rejoint BearingPoint France où il est aujourd'hui associé, en charge de la relation client, sur le plan mondial, ainsi que de l'ensemble des solutions du cabinet.
Quelle est la maturité des entreprises par rapport à ces trois dimensions?
Beaucoup commencent à appréhender la complétude du domaine ; comprendre qu'il ne s'agit pas de sujets différents, que ces dimensions ont besoin d'être intégrées et que l'un des moteurs d'intégration est le site web. Elles commencent aussi à comprendre que, globalement, le digital est une opportunité de différenciation fondamentale. Mais, légitimement, les entreprises sont encore en phase d'écoute, d'expérimentation, de veille... Elles cherchent à se définir une posture.
Compte tenu de ces trois dimensions, qui, dans l'entreprise, doit piloter la relation client?
On voit de plus en plus de postes de directeur de la relation client ; ce qui est manifestement un progrès car il n'existait pas il y a quelques années. Dans de grandes entreprises, il forme fréquemment un binôme avec la direction marketing avec, pour des raisons souvent historiques, une répartition des rôles: le marketing travaille sur des sujets types gestion de campagnes ou Web, la relation client plus sur des médias type centres de contacts. Dans d'autres entreprises, le marketing va se repositionner sur des sujets plus stratégiques (segments de clients, développement produits... ). On voit aussi se développer des directions digitales, chargées de l'intégration de l'univers digital dans l'entreprise et qui jouent le rôle d'éditorialiste. En fait, il n'existe pas d'organisation type. Tout dépend du profil de l'entreprise, de sa nature, de son histoire... L'important est que quelqu'un joue un rôle d'animateur transverse de la relation client et en porte la responsabilité auprès de la direction générale.
la notion de multicanal est-elle toujours d actualité?
Oui, dans le sens où l'enjeu aujourd'hui est de créer une expérience cohérente, consistante, à travers tous les canaux de contacts. Sachant que ces canaux n'ont pas les mêmes attributs intrinsèques mais des spécificités qu'il faut comprendre, une logique qu'il faut respecter. Si l'on a une organisation uniquement par canal, on répond peut-être à un enjeu sur chaque canal, mais on ne répond pas à cet enjeu d'homogénéité d'expérience. Néanmoins, avec le développement du mobile - il y a maintenant autant de pages web vues sur le mobile que sur les sites -, la notion de canal va un peu s'émousser.
Les travaux sur les comportements seront l'avenir de la gestion de la relation client?
Le multicanal et le Web en particulier sont générateurs de données. Comment va évoluer la connaissance client?
Traditionnellement, dans le passé, pour gérer la relation client, il fallait savoir beaucoup de choses sur ses clients, dépenser beaucoup d'argent pour constituer des bases de données. Et ceci dans un univers multicanal, global. Ce qui a entraîné des projets assez pharaoniques dont les taux de réussite ont été très divers. Aujourd'hui, un monde plus digital amène à se poser des questions telles que: «Ai-je vraiment besoin d'avoir toutes ces informations sur tout le monde?», «Ne ferais-je pas mieux de concentrer ma réflexion, mon attention et mes investissements sur les 5 à 1 0 % de clients qui représentent une part très significative de ma marge?», «Et, pour les autres, sur lesquels il est plus difficile de collecter de la donnée et de capitaliser, ne ferais-je pas mieux de chercher à comprendre leurs comportements et personnaliser la relation à partir de la connaissance de ces comportements?» L'univers digital permet de connaître et d'analyser les comportements, en s'affranchissant des problématiques et des coûts d'acquisition et de maintenance des données. S'appuyer sur les comportements permettra probablement un traitement de la relation client assez radicalement différent de ce que l'on a fait jusqu'à maintenant. J'y vois un très grand enjeu de développement.
La notion de valeur client ne reste-t-elle pas un élément important pour différencier les traitements?
comme chez EDF, Orange... Mais beaucoup d'industries n'ont pas cette information et sont donc obligées soit de dépenser beaucoup d'argent pour l'acquérir, soit de trouver des solutions alternatives aussi effcaces. De plus, il y a des informations que le consommateur va vouloir de moins en moins partager. Plutôt que de dépenser des fortunes pour essayer de déterminer sa valeur potentielle, il vaut mieux faire des déductions à partir de la façon dont il se comporte. Je crois que, dans la relation client, on est encore beaucoup trop axé sur la valeur et pas assez sur les comportements. Cette dimension, difficile à attraper, à mettre dans des systèmes, a été insuffisamment traitée. Je suis convaincu que, dans le futur, les travaux sur les comportements seront l'avenir de la gestion de la relation client.
Quels sont aujourd'hui les grands sujets de préoccupation des clients
Sur la partie B to C, nous conduisons beaucoup de travaux autour de la stratégie digitale, pour des entreprises qui, à l'aube de la refonte de la 2e ou 3e génération de leur site web, se rendent compte que leur réflexion doit englober les magasins, le mobile, l'iPhone, la communauté... Ensuite, nous traitons des sujets liés aux stratégies relationnelles, à l'évolution des programmes de fidélisation, qui étaient très transactionnels et qui évoluent vers la reconnaissance, le développement de services. Un troisième grand sujet, qui se développe fortement, notamment en raison de la crise, est celui de la dématérialisation. Un très grand enjeu dont l'impact peut être majeur sur la façon de se comporter des clients. Car, en cas de satisfaction, il peut y avoir un effet de contagion.
BearingPoint
Cabinet de conseil indépendant dont le coeur de métier est le Business Consulting, BearingPoint s'appuie sur la double compétence de ses consultants en management et en technologie. Il compte 900 consultants en France et 3 200 en Europe qui interviennent aux côtés de leurs clients, de la définition de la stratégie jusqu'à la mise en oeuvre opérationnelle des projets de transformation.
Et sur la partie B to B?
Il existe une forte demande pour des programmes qui doivent être faciles et rapides à déployer sur une base mondiale. Il faut, par exemple, mettre en place une gestion de grands comptes performante sur 150 pays en un an, alors qu'il fallait avant plusieurs années. On assiste aussi au développement de notions auparavant propres au B to C ; le marketing devient plus ciblé, plus pointu ; des réflexions apparaissent sur les communautés, l'e-réputation... Autre axe de réflexion: le traitement des clients professionnels, qui se situent entre le B to B et le B to C.
Les indicateurs utilisés actuellement vont-il évoluer?
Le domaine de la relation client s'est beaucoup construit autour de standards de l'industrie. C'est, pour certains, une manière de faire monter le niveau de qualité global en se comparant à leurs pairs. Cela dit, est-ce que les choses changeraient radicalement si le taux de décrochés passait de 3 0 à 45 secondes? Ce type de question n'est jamais posé et pourtant, les enjeux liés à la surqualité sont considérables. En fait, il existe un indicateur vraiment prépondérant et plus important que tous les autres, celui que les Anglo-saxons nomment «Once & done».
Par ailleurs, dans notre environnement multicanal très complexe, il existe un risque mécaniste fort d'avoir des indicateurs dans tous les sens. En fait, ce qui compte, c'est ce que pense réellement le client. Traditionnellement, on mesure la satisfaction, mais ce n'est pas un indicateur de fidélité future. Les nouveaux concepts comme les scores de recommandation sont de meilleurs indicateurs en la matière. Le véritable enjeu va être de comprendre intimement comment est fabriqué un promoteur ou un détracteur de la marque. Peu d'entreprises le font. Elles ne prennent pas ce recul. Dans les années à venir, on devrait voir des développements dans ce domaine. S'il n'y en a pas plus aujourd'hui, c'est parce que cette réflexion amène à remettre en cause des systèmes assez sophistiqués, bien établis, de mesure de la satisfaction. Les bouleverser est un peu compliqué ; mais fondamentalement nécessaire.
Les entreprises souhaitent, d un côté, réduire leurs coûts, et de l autre, améliorer la qualité de la relation client. Comment résoudre l 'équation?
Les deux ne sont pas antinomiques. La dématérialisation, par exemple, est une bonne opportunité de réduire le coût tout en augmentant la qualité et la profondeur du service. En revanche, cela passe par des investissements d'éducation, d'accompagnement des clients. Le meilleur exemple est le cas d'Air France qui a «éduqué» ses clients à l'utilisation de bornes dont le taux de satisfaction est maintenant très élevé.
Quelle est votre vision de l avenir de la relation client?
Ce n'est pas l'aspect technologique qui est impressionnant. C'est davantage le fait que l'on va pouvoir fidéliser par des services. A l'image de ce que fait aujourd'hui l'iPhone avec ses applications. Demain, l'enjeu pour les entreprises va être de développer ces services qui, d'une certaine manière, feront passer leurs produits au second rang. Et d'appliquer ces concepts dans un environnement digitalisé. Un monde s'ouvre parce que, les attentes sociales se développant, ces nouveaux services devront avoir une dimension sociale forte. C'est le fait d'apporter cette dimension qui va les rendre fidélisants. Certains services seront supportés par de la technologie, d' autres non.