Des chirurgiens au bout du fil
Haussmann Conseil Santé a été créée en septembre 1999 à l'initiative de la
MAAF. Mais sans lien d'affiliation avec la mutuelle, la Cnil (Commission
nationale de l'informatique et des libertés) imposant la séparation juridique
des activités d'assurance et de renseignement. Juridiquement, Haussmann Conseil
Santé est donc une SA, à vocation de prestation de services auprès des
adhérents de mutuelles et de sociétés d'assurance. « Nous avons délégation de
nos clients-partenaires pour renseigner leurs affiliés », résume Jean-Luc
Boisseaux, patron du centre d'appels. Parmi ces clients : MAAF, MMA, Malakoff,
Mieux-Etre, UNMI, Omnirep, Quatrem, Mederic. Tous seront facturés au tarif
annuel de 0,93 euro par bénéficiaire. Un tarif « nettement inférieur aux
pratiques de la concurrence », lâche le responsable. Une concurrence que l'on
retrouve au sein d'enseignes comme Axa, Groupama, AGF, CNP... Ouvert du lundi
au samedi, de 8 à 19 h, le centre d'appels doit pouvoir répondre à toutes les
questions des adhérents concernant l'optique et le dentaire. Ce, au travers de
quatre missions. Deux principales : l'analyse et la restitution des devis, le
renseignement autour des questions d'ordre technique. Deux annexes : le
renseignement sur les remboursements, la prise en charge du tiers payant. Mais
là n'est pas l'originalité du centre d'appels. Sa spécificité relève davantage
de son organisation et du poids fonctionnel de l'expertise sur le plateau. Pour
chapeauter son équipe de sept opérateurs, Haussmann Conseil Santé emploie
aujourd'hui quatre experts dentaires et optiques. Certes, il ne s'agit pas
véritablement d'un rapport encadrants/encadrés de 4/7 dans la mesure où ces
experts travaillent pour la plupart à temps partiel (voir encadré). Tout
praticiens qu'ils soient (une seule ne l'est pas), les experts ne sont pas
légalement habilités à proposer ce qui pourrait s'apparenter, même de loin, à
une consultation. En revanche, ils peuvent aider leurs interlocuteurs à
formuler les questions qu'ils pourront poser à leur praticien.
DES OPÉRATEURS NON SPÉCIALISTES
De leur côté, les opérateurs n'ont pas
de formation dentaire ou optique. Ils sont recrutés avec le concours de l'ANPE
qui procède à une présélection. Haussmann Conseil Santé se réservant les
entretiens de sélection. En moyenne, six candidats reçus pour un embauché. «
Nous avons pensé, dans un premier temps, recruter des assistantes dentaires.
Finalement, nous avons privilégié la qualité d'écoute et l'aptitude à la
reformulation », explique Jean-Luc Boisseaux. Peut-on raisonnablement espérer
apporter un service en termes de santé sans pour autant pouvoir se prévaloir de
la moindre formation solide en la matière ? Les garde-fous existent. Tout
d'abord, le rôle des opérateurs n'est pas d'apporter un conseil médical, si
anodin puisse-t-il paraître. Cela leur est même légalement interdit. Mais ce
postulat ne détruit pas toutes les interrogations. Entre le conseil et
l'interprétation, par exemple, la frontière est ténue. Or, justement, Haussmann
Conseil Santé a travaillé sur une base de connaissances et une arborescence
sensée empêcher toute interprétation de la part de l'opérateur. « Le canevas du
script a été conçu pour rendre impossible toute prise de liberté par rapport à
la question ou au problème soulevé. Lorsque la réponse à apporter sort du champ
de ses prérogatives, le système oriente le dossier vers l'expertise », explique
Jean-Luc Boisseaux. De facto, grâce au logiciel de support, à la base de
connaissances et au script, les opérateurs traitent néanmoins en direct 80 %
des appels. Une pareille approche n'exclut pas pour autant toute formation
"métier". Chaque opérateur, dès lors qu'il intègre le plateau d'Haussmann
Conseil Santé, doit suivre un passage obligé jalonné de visites chez les
fabricants, de séjours sur des salons professionnels, de séances d'observation
dans des laboratoires d'optique et de prothèse dentaire, d'excursions à la Cité
des Sciences. La formation initiale est planifiée pour le dentaire sur cinq
demi-journées doublées d'une semaine de séances de suivi individuel, pour
l'optique sur 15 jours au total. Chaque opérateur étant polyvalent (dentaire +
optique). La rémunération brute d'un opérateur entrant en fonction est de 1
524,50 euros mensuels, sur 12 mois, sans incentive et avec augmentation tous
les 18 mois. Ces faibles salaires expliquent peut-être le turn-over important
enregistré par Haussmann Conseil Santé. En une année, le plateau a vu partir
trois conseillers, soit près de 50 % des effectifs. Une désaffection que le
responsable de la plate-forme préfère expliquer par des raisons plus organiques
et notamment par la petite taille de l'entreprise, qui ne serait pas en soi un
facteur de motivation. Depuis le lancement de l'activité, les opérateurs, qui
sont individuellement en charge d'un portefeuille d'environ 300 000
bénéficiaires, constatent un accroissement du niveau de personnalisation des
contacts. Chacun étant responsable de son dossier, depuis le premier appel
jusqu'à la réception de la facture. Et les courriers adressés dans le cadre
d'un même dossier étant toujours signés de la même personne. « Certains
contacts durent un quart d'heure, relève Frédéric Despont, animateur de la
plate-forme. En optique, sur certains dossiers, il faut établir six, sept ou
huit devis différents et les expliquer. » Il faut préciser que plus de 10 % des
devis dentaires sont supérieurs à 3 049 euros. L'objectif de qualité de service
est fixé à 95 %. Une norme applicable à l'ensemble des clients puisque ceux-ci
bénéficient chez Haussmann Conseil Santé d'un ACD unique.
UN OPÉRATEUR TRAITE EN MOYENNE CINQ APPELS PAR HEURE
Le schéma
"classique" du process de traitement s'apparente à celui-ci. Le client affilié
à l'un des clients d'Haussmann Conseil Santé appelle et expose sa situation.
L'opérateur se propose de lui envoyer un ou plusieurs formulaires de devis que
le client pourra faire compléter par son opticien ou son dentiste. Si, après
quelques jours, le plateau n'a toujours pas enregistré de retour de courrier,
le téléconseiller rappellera le client afin de savoir s'il a besoin
d'information ou d'aide avant de renvoyer le devis. Une fois celui-ci reçu,
l'opérateur l'étudiera afin de procéder à une évaluation. Le plateau traite
environ 180 appels par jour. Ce qui se traduit par une moyenne de 5 appels par
heure et par opérateur. Une bonne partie du travail effectué se faisant hors
contact téléphonique, dans le travail de saisie des données et le travail sur
les devis. « Notre objectif n'est pas de faire baisser les factures. Il est
d'expliquer les devis », note Jean-Luc Boisseaux. L'ensemble des devis étant
enregistrés de manière anonyme dans une base de données. Ce qui permet
d'alimenter les statistiques et la base de connaissances. Quant aux appels
relevant de l'"après-vente" ou des réclamations, ils sont pris en charge par
l'animateur, recruté à ce poste au lancement de l'activité, avec un niveau bac
+ 2. L'animateur ne fait pas qu'animer. Il gère également les appels en
attente, les plannings, les stocks (importants sur un plateau où la relation
courrier est primordiale), veille à la répartition des charges, fait
l'interface avec les partenaires, définit et contrôle les procédures, chapeaute
l'informatique. Et, à l'occasion, travaille sur les statistiques. Car
Haussmann Conseil Santé mène régulièrement des études auprès des bénéficiaires.
Etudes qui traduisent une assez bonne pénétration du service. Ainsi, 4,5 % des
adhérents à MAAF Santé auraient déjà appelé le plateau et près de 8 % des
affiliés à la caisse Mederic (personnes âgées). « Nous connaissons assez bien
le seuil de montant du devis à partir duquel le bénéficiaire sera enclin à nous
solliciter. Nous savons quelle est la moyenne de l'écart entre les devis et les
factures ou encore quelles sont les différences saillantes selon des critères
géographiques », explique Jean-Luc Boisseaux. Bref, la base de données
d'Haussamnn Conseil Santé pourrait sans doute intéresser au plus haut point les
sociologues et analystes des pratiques médico-sanitaires en France. Les
développements à venir devraient notamment porter sur la création d'une cellule
audio-prothèse, inscrite au budget 2002, et pour laquelle la société entend
recruter un expert et former les opérateurs. Une offre déployée en réponse à
une demande latente. Haussmann Conseil Santé gère en effet la relation client
de nombre de retraités et personnes âgées, notamment pour le compte de Mederic
(150 000 retraités). De manière plus générale, l'un des objectifs majeurs de la
société est dans la création de prestations spécialisées : orthodontie,
implantologie... « Nous visons également une augmentation volumétrique du
portefeuille de bénéficiaires », précise Jean-Luc Boisseaux, qui voudrait
passer de 2,5 à 3 millions de bénéficiaires dans les prochains 18 mois.
Pour les experts, une autre approche de la pratique médicale
Mouna Kanoun est l'un des experts du plateau. Elle est également chirurgien dentiste, à mi-temps, en milieu hospitalier. L'intégration à une structure a priori plus commerciale n'a pas traduit chez elle une volonté d'abandonner la pratique médicale. Elle s'est, au contraire, inscrite dans une aspiration à "pratiquer" autrement. « J'ai quitté le libéral, il y a quatre-cinq ans parce qu'il n'était pas possible d'y exercer une chirurgie très pointue dans laquelle je me suis spécialisée, ni de prendre en compte toute la dimension sociale du métier. Travailler à mi-temps au sein d'une entité dont la vocation est d'apporter du service à des assurés, c'est garder un pied dans l'envers du métier, du côté de l'administratif et du social. Par ailleurs, mon expérience de praticien constitue en soi une source d'enrichissement potentiel pour l'activité de Haussmann Conseil Santé. Car un assureur n'est pas un spécialiste. » Si Haussmann Conseil Santé référence aujourd'hui 95 % des actes dentaires, c'est en partie le reflet de l'apport des experts. Pour Sophie Belhassen, la motivation est un peu différente. Recrutée par Haussmann Conseil Santé en qualité d'expert sur l'activité optique, elle est la seule à ce niveau de responsabilité à avoir abandonné la pratique. Après avoir travaillé 15 ans dans le libéral et enseigné l'optique durant deux ans, elle a renoncé à la gestion d'un magasin, à ses objectifs et ses contraintes strictement commerciaux. « Travailler sur une structure comme celle-ci, c'est faire plus de technique et plus de social. Et il y a toute cette dimension pédagogique qui m'intéresse. » Qui plus est, Sophie Belhassen a pu négocier un poste en quatre cinquièmes de temps, pour s'occuper de ses trois enfants. Pour sa mission d'expertise, elle touche un salaire de 1 829,40 euros net sur 12 mois. Ni plus, ni moins que ce qu'elle gagnait en magasin.