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Denis Akriche (Armatis) « Privilégier les régions plutôt que partir à l'off-shore »

En l'espace de trois ans, l'outsourceur a totalement redéployé ses activités, passant d'un total de cinq sites en région parisienne à un seul dans cette région et quatre en province. Une stratégie délibérée qui porte ses fruits, ainsi que l'explique son président- directeur général.

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Vous avez déjà évoqué dans les colonnes de Centres d'Appels votre stratégie « antidélocalisation ». Que recouvre exactement ce terme ?

Denis Akriche : Cela a été un choix, à la fois personnel et de l'entreprise, par rapport à notre métier, qui consiste à dire : nous ne croyons pas à l'off-shore en phase industrielle. L'off-shore en phase laboratoire, expérimentale, qui consistait à avoir quelques centaines de personnes, très fortement diplômées, parfaitement francophones, a fonctionné. En revanche, en mode industriel, quand il s'agit de déployer des milliers de personnes - notre secteur d'activité étant encore appelé à se développer fortement dans les années à venir -, je n'ai pas le sentiment que, compte tenu du faible nombre de pays francophones, de leurs faibles populations, on puisse construire à l'off-shore une réponse avec le niveau de qualité que nous avons en France. Pour offrir ce niveau de qualité, il faut engager des moyens importants. Et il n'est pas du tout certain que, compte tenu de ces moyens, on recrée un écart de prix significatif par rapport à une solution relativement serrée en termes d'exploitation en France. J'ai donc préféré privilégier les régions françaises plutôt que de partir dans une stratégie offshore. Par ailleurs, au niveau d'Armatis même, nous avions besoin de réduire notre voilure en région parisienne et d'avoir un dispositif en régions. Ce que nous avons trouvé dans les régions françaises a parfaitement répondu à nos prérequis stratégiques : des bassins d'emploi abondants, des populations de qualité, impliquées dans leur travail, une stabilité du personnel. Nous avons donc pu fournir à nos clients une prestation de qualité à un prix mesuré. Sachant également que, dans notre structure d'activité - environ deux tiers en appels sortants et un tiers en appels entrants -, nous avons peu de problématiques de coûts relatifs au travail de nuit ou le dimanche. Pour nous, la situation est donc moins aiguë que pour ceux qui ont une part d'activité de ce type importante et donc des surcoûts où la différence est quand même très significative entre l'off-shore et la France.

Pourquoi aviez besoin de réduire la voilure en région parisienne ?

D. A : Les coûts d'exploitation en région parisienne sont trop importants. Les coûts de recrutement sont infiniment plus bas en province et l'on n'y rencontre pas le turn-over que l'on connaît sur Paris. Moins de turnover, cela veut dire des équipes plus expertes et donc des niveaux de qualité et de productivité obligatoirement plus élevés.

Le fait de traiter majoritairement des appels sortants est-il un choix de l'entreprise ?

D. A : Il est vrai que nous sommes dans la situation inverse du marché, qui est plutôt deux tiers d'entrants et un tiers de sortants, mais ce n'est pas un choix stratégique. Nous avons la réputation d'être plutôt bons en télévente et les clients ont tendance à concentrer leurs budgets de télévente chez nous. Et, comme nous arrivons à avoir des résultats intéressants en télévente, nous en dégageons une profitabilité qui fait que nous ne refusons pas ces opérations. Cela dit, récemment, nous avons gagné plusieurs appels d'offres sur des services clients en appels entrants assez significatifs.

Votre stratégie vous a-t-elle porté préjudice en termes de new business, compte tenu de la pression actuelle des donneurs d'ordres sur les prix ?

D. A : Je vais vous répondre avec des chiffres. La progression de notre chiffre d'affaires en 2005 a été de 53 %. Et, pour 2006, nous sommes sur un trend d'environ 25 % de croissance. Il y a des appels d'offres purement off-shore auxquels nous ne répondons pas, mais je n'ai pas la prétention de couvrir l'intégralité des prestations du marché. Nous ne sommes pas des spécialistes de l'off-shore,nous sommes des spécialistes d'autres choses et nous arrivons à assurer croissance et rentabilité - la rentabilité nette d'Armatis en 2005 a été une rentabilité à deux chiffres - avec les secteurs sur lesquels nous sommes. Nous ne sommes pas le leader du marché, nous n'avons pas pour prétention de répondre à 100 % à ce que les clients peuvent demander. En tout cas, ce que nous faisons, nous le faisons bien. Nous avons un turn-over extraordinairement faible sur notre parc clients et nous n'avons cessé de développer la plupart de nos gros clients.

Vous travaillez essentiellement avec des grands comptes. Est-ce une volonté ?

D. A : Complètement. Nous avons déployé un outil de production et organisé l'entreprise en mode industriel. Nous savons faire de gros volumes, avec de la qualité. Nous sommes de moins en moins armés pour faire de petites opérations ponctuelles. Nous les traitons en fait principalement sur le site que nous avons conservé en région parisienne ; nos sites de province traitant eux les opérations à caractère permanent et d'un certaine taille.

Comment organisez-vous vos activités entre vos différents sites ?

D. A : Nous avons des règles. La première, c'est de ne pas avoir de clients concurrents sur le même site car, eu égard à notre taille, nous travaillons avec des clients qui sont forcément concurrents. La deuxième : je suis très soucieux de la dépendance RH. Je ne veux pas avoir trop de concentration d'un même client sur un même site. C'est un élément important dans notre gestion.

Le fait d'avoir ouvert un centre par an en région est-il un hasard ou le fruit d'une démarche délibérée ?

D. A : C'est clairement le résultat de la croissance. Au départ, l'implantation à Calais, c'est un peu les “hasards de la vie”. Danone, un client Convergys, est venu me trouver en me demandant si je n'avais pas l'intention d'ouvrir un centre d'appels en province. Après avoir vu des implantations du côté de Bourges, chemin faisant, nous nous sommes engagés sur un gros centre de 400 positions à Calais. Nous avons repris une partie d'une usine Lu pour la transformer en centre d'appels. Nous avons ouvert le 1er septembre 2003 et nous pensions être à 50-60 collaborateurs fin 2003, 150 fin 2004, et ainsi de suite. La qualité de ce que nos clients ont trouvé sur place était telle qu'au 1er octobre 2003, nous avions déjà 300 collaborateurs. Nous avons rempli ce site non pas en trois ans comme nous l'avions prévu, mais en trois-quatre mois. Dès le mois de décembre 2003, je signais pour ouvrir à Boulogne-sur-Mer, qui est à 30 km de Calais, de manière à pouvoir mutualiser l'encadrement parce que nous n'avions pas le temps de reconstruire tout un encadrement. Ce centre de 400 positions s'est, lui aussi, rempli relativement vite. Puis, compte tenu d'un carnet de commandes très important sur le dernier quadrimestre, que nous ne pouvions traiter avec simplement Calais et Boulogne-sur-Mer, nous avons ouvert, en octobre 2005, 300 positions à Châteauroux, dans un bâtiment qui était pratiquement prêt à l'emploi. En deux mois, ce centre était rempli aux deux tiers. La croissance du chiffre d'affaires étant là, il nous fallait encore un autre centre pour accompagner notre développement commercial. C'est pour cela que nous avons signé, à Caen, fin 2005 pour une ouverture début septembre 2006, d'un centre de 550 positions.

Outre les “hasards de la vie”, quels sont les critères que vous utilisez pour choisir une ville d'implantation ?

D. A : Le premier critère est un critère d'éloignement : je ne choisis que des villes qui sont au maximum à deux heures de Paris par les transports en commun. Si l'on veut offrir à nos clients un confort suffisant, il faut qu'ils puissent faire l'aller et retour dans la journée sans fatigue excessive. A Paris, un déplacement peut prendre une heure ou une heure et quart ; faire une heure vingt-cinq de TGV pour aller à Calais reste tout à fait équivalent. Le deuxième critère est la structure du bassin d'emploi. Nous regardons les niveaux de chômage et notamment dans les populations qui nous intéressent : bac, bac + 2, entre 20 et 30 ans, plutôt des profils tertiaires. Le troisième critère, c'est l'offre immobilière. Chez Armatis, nous préférons faire des gros centres que des petits. Nous essayons d'avoir de jolis bâtiments à des conditions locatives très tirées. Cela rentre dans notre compte d'exploitation, dans nos prix de revient et, si l'on veut être performant sur le marché et avoir une offre de prix compétitive, chaque poste dont celui-ci est important.

Est-ce que les différentes aides potentielles constituent un critère important de choix ?

D. A : Ce n'est pas un critère de choix entre les villes parce que ces aides, ces subventions, entrent dans le cadre de règles qui sont fixées par Bruxelles et qui sont les mêmes pour tout le monde. Et, si les aides sont, d'une manière générale, agréables à recevoir, elles ne sont absolument pas déterminantes dans le compte d'exploitation. Quand, par exemple, on reçoit pour les salariés une prime de 2 000 euros d'aide à l'aménagement du territoire, cela représente un mois, un mois et demi de salaire. C'est-à-dire rien. D'autant plus que, comme nous nous installons dans des régions où nous recrutons des populations qui n'ont jamais pratiqué ce métier, nous faisons nousmêmes un investissement. Et les subventions à la création d'emploi sont totalement dérisoires par rapport à ce que coûte une suppression d'emploi. Qui plus est, il ne faut pas oublier les règles. On signe un convention avec l'Etat dans laquelle est prévu un délai - en général de trois ans - pour atteindre un objectif en termes de nombre d'emplois. Quand cet objectif est atteint, la convention est fermée. Et, à partir de là, nous devons conserver cet effectif pendant cinq années supplémentaires, faute de quoi nous devons restituer les aides. Donc, ceux qui pensent que nous injectons cet argent dans l'exploitation pour avoir des prix de revient plus bas font une grave erreur d'analyse. Pour moi, c'est de l'argent qui sert à financer des investissements mais qu'en aucun cas nous ne présentons dans le compte d'exploitation comme une minoration de nos coûts de revient. Cela reste un produit exceptionnel que nous ne sommes pas totalement certains de conserver. C'est agréable, mais de plus, cela n'a rien de spécifique à notre secteur ; cela fait partie des règles françaises. On est au bon endroit, on en bénéficie, mais ce n'est pas le critère déterminant dans notre choix d'implantation.

Quelle démarche utilisez-vous pour recruter en régions ?

D. A : Nous aimons bien recruter avec la méthode par habileté. Ce qui est très confortable dans les régions, c'est que nous avons un partenaire public qui est l'ANPE, dont les agences connaissent bien leur tissu économique. Nous expliquons aux conseillers de l'ANPE de quelle manière nous recrutons et ils font un premier travail de sélection très appréciable. Ils nous fournissent des candidats en assez grand nombre, puis nos équipes de recrutement n'ont plus qu'à effectuer une validation finale.

Quel type de contrat offrez-vous ?

D. A : Nous sommes environ à 90 % en CDI. Mais c'est la règle en province : les gens sont à la recherche de CDI. Si l'on veut de la stabilité, parce que c'est avec la stabilité du personnel que l'on fait de la qualité, on ne peut pas échapper au CDI. Dès l'instant où l'on gèrer un grand volant de CDD, on instaure l'instabilité dans l'entreprise. Et, quand vous êtes dans des villes de moins de 100 000 habitants, les réputations s'établissent vite. Là où nous sommes, nous avons la réputation d'une entreprise sérieuse. Le Label de Responsabilité Sociale que nous avons obtenu est aussi là pour garantir nos pratiques sociales.

Quelle importance accordez-vous à ce Label ?

D. A : Une très grande importance. Parce que l'on oublie facilement que les entreprises de notre secteur sont en fait des PME avec des effectifs de grands groupes. Nous faisons quelques dizaines de millions de chiffre d'affaires avec quelques milliers de salariés. La problématique sociale doit donc être au coeur de la stratégie de l'entreprise. Si nous voulons avoir des salariés qui travaillent avec enthousiasme, dévouement, longtemps pour nous…, il faut qu'ils soient en sécurité dans l'entreprise. Il faut que les règles du jeu soient claires. C'est dans ce sens d'ailleurs que notre politique de non-délocalisation est confortable au plan social. Cette politique, nous l'avons affirmée, nous la tenons et nos salariés ne risquent pas de voir demain une opération délocalisée au Maroc parce que c'est moins cher de produire dans ce pays. Nous, nous ne supprimons pas d'emploi en France pour les transférer off-shore. Le fait de pouvoir tenir ce discours et de donner des garanties là-dessus à nos partenaires sociaux est un élément de confort dans notre gestion sociale. Le social est d'autant plus important que les niveaux de rémunération pratiqués dans les centres d'appels, auxquels nous sommes contraints du fait des prix de vente sur le marché et de la concurrence off-shore, font que les gens doivent avoir d'autres éléments de satisfaction.

Pensez-vous continuer sur votre trend d'une ouverture par an ?

D. A : Il y a peu de chances que nous ouvrions un nouveau centre en 2007. Pour l'instant, nous avons une visibilité sur 20 - 25 % du centre de Caen ; ce qui laisse encore la place pour monter en charge. Mais je n'exclue pas que les choses aillent relativement vite. Le secteur de l'énergie, par exemple, risque d'apporter de grosses opportunités.

A une époque, vous aviez annoncé que vous alliez « regarder du côté de l'Europe ». Etes-vous toujours dans cette optique ?

D. A : La réflexion vaut toujours. Parce que, quand on arrive à une certaine taille, il convient de gérer ses risques et la diversification en termes de marché est un élément qui contribue à réduire le risque. Un développement international constituera assurément la prochaine étape significative dans le développement du groupe. Mais il est beaucoup trop tôt pour dire à quelle échéance. Nous avons encore du travail à faire en France. Quand on veut aller à l'international, il faut déjà avoir une base très solide en France : une base clients, une base de compétences et aussi une base financière. Aller à l'international, c'est beaucoup d'argent. Il faut mobiliser des capitaux parce que l'on fait toujours des erreurs et qu'il faut pouvoir les payer. Et, si l'on y va, ce n'est pas pour avoir un centre de 50 ou 80 positions… L'international, compte tenu de notre taille, cela veut dire faire de la croissance externe, acheter des entreprises d'une assez grande taille, avoir des équipes de management et créer une direction internationale avec tous les moyens nécessaires. Sous l'angle de la répartition du risque, c'est pertinent. En termes purement de business, je suis plus réservé. On ne voit quasiment pas d'appels d'offres européens.

Envisagez-vous de nouveau une croissance externe en France ?

D. A : Par principe, je n'y suis pas opposé. Mais je ne suis intéressé que par des dossiers de qualité, c'est-à-dire des entreprises qui ont d'excellents fondamentaux, qui sont rentables. Je préfère payer cher une entreprise qui gagne de l'argent que payer 1 euro une entreprise qui en perd, parce que l'on ne sait jamais jusqu'à quand on va en perdre. Il faut aussi que ce soit des entreprises complémentaires d'Armatis. J'ai vu des dossiers de qualité mais avec des portefeuilles clients qui recoupaient en grande partie le nôtre. Et je sais pertinemment que ces clients chercheront d'autres prestataires si nous reprenons ce type d'entreprise. Racheter une part de marché que l'on sait relativement précaire n'est pas une bonne chose. Tous les dossiers que j'ai pu voir cette année ne répondaient pas à ces critères.

L'existence de ces dossiers prouve que le marché n'a pas fini sa concentration…

D. A : Tout le monde sait qu'il y a encore trop d'acteurs. Que chez bon nombre d'entre eux, la préoccupation financière ne fait pas toujours partie des premières préoccupations. Qu'il y a un vrai déséquilibre de rapport de force entre les donneurs d'ordres et les outsourceurs. C'est un marché qui a déjà réalisé en partie seulement sa concentration. Et qui va continuer à se concentrer, de manière relativement naturelle dans le cadre de son développement. Les grands groupes vont régler de plus en plus leurs problèmes de flexibilité, non pas par des accords d'entreprise, mais par la sous-traitance.

Biographie

De formation Essec (76), Denis Akriche débute sa carrière chez PSA (Peugeot, Citroën Automobiles), où il exerce des fonctions commerciales avant d'assumer la direction générale de filiales. Il prend ensuite la vice-présidence de Phone Marketing pendant deux ans puis crée Stefi Conseil en 1989, société spécialisée en marketing direct et opérationnel, qui s'oriente vers les métiers des centres d'appels dès 1997. En 2001, Stefi Conseil est devenue Armatis.

Armatis

1989 : Création de Stefi Conseil. 2000 : Prise de participation majoritaire du FCP Industrie et Finances. 2001 : Stefi Conseil devient Armatis. 2002 : Acquisition de LFC (Le Fil Conducteur) et de Convergys France. 2003 : Ouverture d'un centre à Calais (400 positions). 2004 : Ouverture à Boulogne-sur-Mer (400 positions). 2005 : Ouverture à Châteauroux (300 positions). 2006 : Ouverture en septembre à Caen (550 positions). Capacité de production à terme : 1 900 postes de travail ; effectif global à terme : 2 500 salariés dont 2 000 en province et 500 en région parisienne. SA au capital de 2,8 ME. CA 2005 : 43 ME (+ 53 % / 2004). Principaux clients : France Télécom, Neuf Cegetel, Télé 2, GDF, EDF, Toshiba, Thomson, Konica-Minolta, Schneider, Canal Plus, Sofinco, BNP…

François Rouffiac

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