Cultiver le mystère pour améliorer les performances
Parfois considérée, à tort, comme un outil de « fic age », l'enquête mystère est un levier de management qui permet d'évaluer et d'améliorer les performances du service clients. complémentaire au questionnaire de satisfaction, elle apporte un éclairage pertinent.
« Nous ne sommes pas missionnés pour prendre quiconque à défaut. Nous proposons un outil pédagogique afin d'optimiser les prestations d'un service », martèle Olivier Cenille, directeur du développement du groupe A2S Communication, prestataire spécialisé dans les études au service du client, et notamment dans les enquêtes mystères. La précision est utile, tant les freins subsistent. Les idées reçues ayant la peau dure, de nombreux collaborateurs redoutent la venue d'un client mystère. Il s'agit pourtant d'un simple outil de management, complémentaire aux questionnaires de satisfaction. « La grosse différence entre les deux est qu'avec un questionnaire de satisfaction, on mesure la perception des clients, alors qu'avec une enquête mystère, on vérifie que les standards définis par l'entreprise sont correctement appliqués », précise Christine Marty, directrice adjointe de BVA. Les deux sources d'informations s'alimentent l'une l'autre et ne donnent pas toujours les mêmes résultats. Par exemple, il arrive que les clients se déclarent plutôt satisfaits, alors que la visite mystère révèle des manquements.
Un scénario crédible
Deux types de tests cohabitent. D'une part, les tests récurrents permettent de mesurer des questions de base, comme la qualité de l'accueil par exemple. D'autre part, les tests atypiques servent à vérifier que certains items particuliers, définis par la direction commerciale de l'entreprise, sont respectés: les chauffeurs de bus acceptent-ils de rendre la monnaie lorsqu'ils vendent des billets? Les caissières pensent-elles à proposer la carte de fidélité aux clients? Chaque cas est unique. Aussi, des réunions préalables sont exigées pour une présentation détaillée de l'entreprise et de son organisation au prestataire. Pour que le mystère reste entier, la direction de l'entreprise ne rencontre que les superviseurs des enquêtes, chargés de former leurs équipes terrain. Un brief est établi, qui mentionne les objectifs (s'il y a eu préalablement constat de dysfonctionnements par exemple ou s'il s'agit de dresser un simple état de l'art). « L'implication du client doit être forte, souligne Olivier Cenille (A2S Communication) . Nous avons besoin de sa coopération active pour la mise au point des scénarios afin de tester des process pertinents. » « Toute la difficulté réside dans la préparation de l'opération, indique Ludovic Nodier, président de Viseo Conseil, conseil en stratégie de relation client. Pour que l'enquête fonctionne, il faut raconter une histoire crédible, en phase avec la réalité quotidienne de l'entreprise. » Concrètement, les enquêteurs mystères incarnent un personnage, tels de véritables comédiens. Le casting est donc primordial: rien de tel qu'une mère de famille pour tester l'accueil dans une enseigne de prêt-à-porter pour enfants!
D'ailleurs, des tests, dont les résultats ne sont pas exploités, sont généralement pratiqués pour «caler» le scénario.
Des enquêtes multicanal
Un scénario qui peut concerner tous les canaux: téléphone, point de vente, e-mail, Web, courrier postal... évidemment, selon le canal choisi, les critères d'évaluation diffèrent, même s'il existe toujours un tronc commun. Par exemple, un test sur l'accueil téléphonique mesure le temps d'attente avant le décrochage, la qualité de la présentation du télé conseiller, la qualité de son langage, sa capacité à renseigner le client ou à l'orienter vers le bon service, le ton général de la conversation et la prise de congés à la fin de l'appel. En situation de visite mystère, on se concentrera plutôt sur le temps d'attente avant la prise en charge, le port d'un badge ou la tenue vestimentaire, l'allure générale de l'hôtesse ou de la vendeuse, le sourire, la courtoisie, la disponibilité, etc.
Reste que pour être vraiment efficace, une enquête mystère doit être suivie d'un débriefing: prestataire et client se réunissent pour faire le point et commenter les résultats. Dans les campagnes au long cours, le prestataire envoie un reporting mensuel et rencontre son client chaque trimestre. Il lui fournit des tableaux de bord, outils de management qui lui serviront à infléchir son plan de formation ou le contenu de sa convention, à réorganiser certains process, etc. Et, pour vérifier les retombées, rien ne vaut l'organisation d'une seconde campagne! Véronique Méot
«COMBIEN CA COUTE?»
Les prestataires en enquêtes mystères se rémunèrent en fonction du nombre de critères évalués, de la durée des visites et du canal testé (téléphone, visites physiques, traitement des mails entrants...). Selon les prestataires, les tarifs oscillent entre 50 et 150 Euros HT pour une visite mystère en point de vente et entre 10 et 30 Euros HT pour un appel téléphonique. Ces tarifs n'incluent pas les prestations de débriefing ni d'accompagnement des équipes. Evidemment, ils sont dégressifs.
VENTE EN LIGNE Vente-privée teste ses process
Le spécialiste de la vente événementielle en ligne organise des campagnes d'appels, e-mails et courriers mystères afin d'améliorer la qualité des prestations de son service clients.
Lorsqu'un client espagnol de Vente-privée demande où est son colis, la réponse qu'il reçoit par e-mail n'est pas assez précise. C'est l'une des révélations de la récente enquête mystère menée par Vente-privée sur le marché espagnol. « Nous avons identifié plusieurs axes d'amélioration de nos process. Nous devons, par exemple, travailler sur la gestion des réclamations clients », commente Laurent Tupin, directeur du service des relations membres du site marchand. « Nous nous sommes aperçu que nous proposions parfois le retour du produit, alors que les membres souhaitent le conserver », indique Laurent Tupin. Cette pratique, révélée par la première vague d'enquête menée en France par BVA en 2009, a depuis été corrigée.
Depuis quelques années, le site a orchestré différentes vagues d'appels mystères téléphoniques, destinées à évaluer les conseillers internes et le personnel de ses quatre outsourceurs. Ces études ont révélé un temps d'attente trop long pour les appels routés vers une f le d'attente chez l'un des prestataires. Problème aussitôt rectifié. De même, une enquête a démontré que les internautes avaient du mal à trouver l'adresse postale de l'entreprise sur le site Internet. Désormais, l'adresse est clairement indiquée à la fois dans les conditions générales de ventes et dans la rubrique «Qui sommes-nous?».
Trois vagues par an
Convaincu du bienfait de ces enquêtes, Vente-privée s'offre, aujourd'hui, trois vagues d'appels par an, d'une durée d'un mois chacune. La société ne connaît pas ses clients mystères, dont l'identité est gardée secrète. En revanche, Laurent Tupin accorde la plus grande attention à la préparation des campagnes. « Nous demandons à ce que les clients mystères achètent. Ainsi, il nous font part d'une véritable expérience client », précise-t-il. Les collaborateurs de Vente-privée sont toujours prévenus de la tenue d'une enquête. « La démarche est plutôt bien acceptée. Nos collaborateurs, en règle générale, comprennent que l'objectif n'est pas de les sanctionner mais de les aider à progresser. » A l'issue de chaque enquête, le prestataire présente les résultats au service Formation-qualité de Vente-privée. Chaque point est scrupuleusement analysé. Puis les formateurs organisent eux-mêmes des réunions de débriefing avec les responsables d'équipes, qui, à leur tour, répercutent les résultats et donnent de nouvelles consignes à leurs collaborateurs. « Certains problèmes, techniques par exemple, sont corrigés sur le champ, d'autres nécessitent un temps de réflexion. » Satisfait de l'efficacité de ses enquêtes, Vente-privée envisage, désormais, d'en mener dans d'autres pays (Belgique, Allemagne et Autriche, Italie, Royaume-Uni) d'ici à 201 2.V. M.
Vente-privée, spécialiste des ventes en ligne de surstocks, entend mener des enquêtes mystères dans de nombreux pays.
DISTRIBUTION La franchise easy Cash peaufine l'accueil dans ses points de vente
Le réseau de franchises d'achat-vente de produits d'occasion utilise les visites et appels mystères pour faire progresser l'accueil dans les points de vente.
« La force d'un réseau, c'est de permettre aux moins bons de progresser, par comparaison avec les meilleurs. » Partant de ce postulat, Jérôme Taufflieb, président d'Easy Cash, décide, en 2010, de lancer un programme d'enquêtes mystères, décliné en visites et appels téléphoniques. Les franchisés ne sont pas pris en traîtres: le projet leur est présenté lors de la convention annuelle du réseau, en septembre 2009. L'objectif d'Easy Cash est de les rassurer. « Certains avaient vécu des expériences malheureuses et craignaient le «flicage» », confie le président du réseau. Pour les convaincre, la tête de réseau leur propose de participer à la définition des critères à évaluer.
Des campagnes multicanal
Désormais, le réseau organise trois vagues par an. Easy Cash fait appel à la société Présence, qui réalise des appels (destinés à tester l'accueil téléphonique) et des visites physiques (visant à évaluer l'accueil d'un client venu vendre et celui d'un client venu acheter) . Un scénario ad hoc est mis au point pour chaque nouvelle enquête.
Grâce à cette démarche, le franchiseur a, par exemple, homogénéisé son accueil téléphonique. Un argumentaire simple (formule de politesse, présentation du réseau par une phrase type) a été distribué aux 60 magasins. Un autre test a montré que le programme de f délité n'était pas toujours proposé au client lors de son passage en caisse. Là aussi, Easy Cash a rectifié le tir.
L'enseigne bénéficie, en outre, de données sur le secteur de la distribution spécialisée: « Cela nous permet de nous « benchmarker » par rapport à d'autres enseignes », indique Jérôme Tauffieb. Mais l'outil présente aussi des limites. « L'enquête mystère offre une photographie à un instant T, qui ne rend pas tout à fait compte de la réalité », reconnaît Jérôme Tauffieb. Et puis, dans un réseau constitué de chefs d'entreprise indépendants, il appartient aux franchisés Easy Cash de prendre des initiatives pour améliorer les performances de leur magasin. Pour les y inciter, l'enseigne leur présente les résultats des enquêtes lors des réunions régionales, puis opère des piqûres de rappel lors de visites. « Mais la décision finale appartient au franchisé », conclut le président du réseau. V. M.
Easy Cash réunit régulièrement ses franchisés en conventions régionales.
COFFRETS-CADEAUX Smartbox valide sa politique de qualité
C'est pour s'assurer que ses partenaires respectent leurs engagements de qualité de prestation que smartbox a recours aux visites mystères.
Certaines idées reçues ont la peau dure... Pour beaucoup de consommateurs, par exemple, un client porteur d'un coffret-cadeau risque d'être moins bien reçu qu'un client lambda. C'est pour lutter contre ce cliché que Smartbox a décidé de déclencher des campagnes de visites mystères. Le principe est simple. Dès qu'elle reçoit deux ou trois plaintes de clients qui considèrent avoir été «mal reçus» ou que les questionnaires de satisfaction sont inférieurs à 85 %, la marque déclenche une visite mystère chez le partenaire concerné. Les 8 000 partenaires Smartbox (hôteliers, restaurateurs, centres de bien-être, etc.) savent donc qu'ils sont susceptibles de recevoir un jour la visite d'un client mystère...
Des clients comme les autres
C'est à Ref et Client qu' Erwan Corre, directeur des opérations de Smartbox, a fait appel pour ces enquêtes. Ref et Client évalue la qualité des prestations en général et la qualité de l'accueil réservé aux clients Smartbox en particulier. Le scénario est simple. Un client, détenteur d'un coffret Smartbox, effectue une réservation et se présente le jour dit. De l'accueil téléphonique au service rendu, il évalue toutes les étapes de la prestation: courtoisie au téléphone, propreté de l'établissement, esthétique de l'endroit et - pour un hôtel - qualité de la literie, isolation phonique des chambres... En outre, le client mystère tâche de comparer le traitement qui lui est réservé avec celui que l'établissement offre aux autres clients. Puis, il note les points de vigilance dans un texte libre.
Lors du débriefing, Ref et Client présente les résultats aux chargés de compte, qui les transmettent ensuite aux différents partenaires. « Nous représentons pour eux un important levier de business: en moyenne, nous leur apportons un client sur cinq, déclare Erwan Corre. C'est pourquoi ceux qui jouent le jeu acceptent naturellement l'outil des enquêtes mystères et nous demandent même de nous séparer des établissements les moins coopératifs. » V. M.