Appels sortants : vers l'appel prédictif
Encore peu utilisé en France, et malgré une image relativement dépréciée par des pratiques abusives, l'appel sortant se développe. Plus compliqué et plus cher à mettre en place qu'une cellule d'appels entrants, il nécessite aussi des compétences humaines plus fortes. Mais sa rentabilité est vite assurée.
«En 1988, lorsque les logiciels destinés à gérer des appels sortants sont
apparus, les banques ont été les premières à s'en emparer, déclare Claude
Biton, P-dg de CBC Développement. Leur marché était stagnant et, pour se
développer, ce secteur n'avait pas beaucoup de choix. La solution passait soit
par le rachat d'un réseau, soit par l'attaque concurrentielle en jouant sur la
baisse des taux - notamment sur les prêts immobiliers -, soit encore par le
verrouillage de la clientèle. » Toutes opérations possibles en utilisant un
centre d'appels sortants. Pourtant, quand on parle d'appels sortants, on pense
surtout à des sociétés pratiquant un télémarketing agressif. Pour David
Magidas, directeur de clientèle chez Vocalcom, « récemment encore, les appels
sortants étaient la partie la moins fréquentable du télémarketing, sans doute à
cause des cuisinistes. » Ceux-ci, en effet, ont usé et abusé de ce type de
média, harcelant leurs prospects à partir de serveurs vocaux. « On leur
reprochait surtout de trop renouveler leurs appels vers les mêmes personnes »,
poursuit David Magidas. Des pratiques discutables qui hypothéqueraient le
marché des appels sortants. Pour preuve, l'Allemagne, où les appels sortants
vers les particuliers sont interdits. Et, le 21 novembre 1995, une proposition
de la Commission européenne visait à interdire totalement les appels sortants.
La profession a dû réagir. Chez le cuisiniste Spacial, par exemple, les appels
sortants ne passent plus par des automates. « Le service est plus humain,
ajoute David Magidas. Et, si ce sont toujours des automates qui composent les
appels, la communication passe par des opérateurs, disposant d'un écran où
s'inscrit le nom de la personne. »
Recréer du trafic
Aujourd'hui, la majorité des centres d'appels est équipée pour répondre à des
appels entrants. Pour Claude Biton, « le marché n'est pas encore mûr, et la
norme, c'est encore la réception. Un opérateur en émission d'appels est
beaucoup plus pointu qu'en réception, où le personnel tient plutôt de la chair
à canon. » Dans le secteur bancaire, où les centres d'appels sont généralement
traités en interne, le personnel est la plupart du temps issu de reclassements.
Et, si les banques ont été les premières à pratiquer l'appel sortant, c'est
aussi parce que, après avoir installé un très grand nombre de DAB/GAB
permettant d'automatiser des démarches administratives, elles ont, par voie de
conséquence, vu la fréquentation de leurs agences se raréfier. Comment
fidéliser et recréer du trafic ? « Les agences ont mis à profit la baisse des
charges administratives pour augmenter l'activité commerciale », précise Claude
Biton.
Synergie télémarketing et face à face
Pouvoir
déléguer une partie des activités des forces de vente sur le terrain à un pool
de téléacteurs, l'idée est séduisante. « Il faut, cependant, bien réfléchir à
la mise en place de ce type de solution », affirme Frédéric Questroy,
responsable du marketing chez Datapoint. Il faut que les relations entre les
forces de vente et le télémarketing ne soient pas conflictuelles, mais
partenariales. « Il est très important de créer une synergie impliquant le chef
des ventes ou le directeur commercial, afin de définir précisément les
objectifs, prospecter de nouveaux contacts ou mener des actions sur un parc de
clients », note encore Frédéric Questroy. Le risque, c'est que les forces de
vente se sentent dépossédées de leurs secteurs. « Les équipes de vente
craignent que l'activité prospection ne dérape vers le télémarketing, souligne
Marc Rémusat, directeur associé de CPM France, un groupe spécialisé dans les
opérations terrain, dont le télémarketing avec Prise Directe. Une crainte
exagérée, car le téléphone ne remplace pas l'entretien en face à face. De plus,
il est rare que la prospection téléphonique aille jusqu'à la vente du produit.
En B to B, par exemple, une commande déclenche la visite d'un commercial. » Le
but, c'est de répartir télémarketing et face à face en les alternant ou en les
cumulant. « Offrir le maximum de services en répartissant les médias. Un client
"quatre étoiles" sera visité toutes les trois semaines. En revanche, un "trois
étoiles" sera contacté par téléphone une fois par semaine, mais visité toutes
les trois semaines et ainsi de suite selon sa valeur », précise Marc Rémusat.
La prise de rendez-vous par centre d'appels implique pour les forces de vente,
soit de réserver des plages de travail aux rendez-vous susceptibles d'être
obtenus par les téléopérateurs, soit de laisser son agenda ouvert en
permanence. Cette notion d'agenda unique, d'agenda de groupe, met en cause le
système d'information de l'entreprise. En effet, une réelle synchronisation des
agendas nécessite des ressources informatiques très performantes, tant
logicielles que techniques, pour éviter de trop longs temps d'accès au
réseau.
Le recours à la sous-traitance
« Les
entreprises préfèrent souvent investir dans un centre d'appels entrants car un
centre en émission est un investissement lourd, et l'on n'en voit pas tout de
suite le résultat, note Frédéric Questroy. C'est pourquoi, souvent, cette
fonction est externalisée. » Les opérateurs de téléphonie mobile, dont les
ventes ont explosé, doivent faire face à de nombreux appels vers leur service
clientèle. « Mais 10 à 15 % de ces contacts se traduisent par un appel sortant,
émis pour rassurer le client lors d'un dysfonctionnement à la réception ou pour
tester une ligne », ajoute Didier Suzanne, directeur adjoint de l'entité Centre
d'Appels d'Experian. Si ces compagnies cherchent en général à traiter en
interne le service clientèle, elles sous-traitent souvent des parties
non-stratégiques de leur activité commerciale. L'administration des ventes
indirectes, par exemple. Experian gère ainsi l'administration des ventes
indirectes d'un opérateur téléphonique. « Nous recevons par fax les demandes
préalables d'abonnement. Celles-ci sont numérisées et l'opérateur saisit
directement sur écran les coordonnées du client. Il affecte, en fonction du
code postal, les dossiers aux agences de rattachement. Il reroute le fax vers
celles-ci, puis il s'assure par téléphone du raccordement du client au réseau.
Et ferme son dossier. » Une application multimédia impliquant réception de fax,
appel entrant et appel sortant. « A terme, ajoute Didier Suzanne, nous pourrons
accueillir des e-mails. »
Trois types d'appels automatiques
En appel sortant, la productivité à outrance n'est
pas de mise, mais c'est sur les bons choix technologiques que l'on arrivera à
rentabiliser l'investissement. L'opérateur doit pouvoir disposer de tous les
éléments dont il a besoin le plus vite possible. « C'est un acte de conquête,
et le conseiller doit travailler dans un bon environnement », note Frédéric
Questroy. Pas de téléphone, mais un casque relié à son poste de travail, afin
de bien entendre sans gêner les autres. Des bureaux bien agencés et une
informatisation assez poussée pour permettre la montée de fiche en même temps
que la communication s'engage. L'appel automatique du correspondant est
indispensable dans la majorité des cas. Les machines permettent aujourd'hui
trois types de numérotation. Le "preview dialing", qui permet au téléopérateur
de lancer la numérotation lorsqu'il dispose d'informations sur son
interlocuteur, le "progressive dialing", où l'appel est lancé sans que
l'opérateur ne sache quel numéro a été composé, et le "predictive dialing", une
solution qui remporte de plus en plus de suffrages et qui repose sur un
algorithme tenant compte du taux d'aboutissement moyen des appels, du nombre
d'opérateurs dans la cellule et du temps moyen de communication en fonction de
l'activité des opérateurs. « La configuration la plus courante, c'est l'appel
progressif, où un même nombre d'appels que de téléopérateurs est lancé, ajoute
Frédéric Questroy. La machine détecte les faux numéros, les répondeurs et les
fax. Elle rappelle les numéros occupés et, comme elle reconnaît les faux
numéros, elle peut aussi apurer la base de données. » Mais ce qui permet de
rentabiliser le mieux la cellule d'appels, c'est l'appel prédictif. Il permet
de supprimer les faux numéros, les abonnés absents, les fax, mais aussi de
planifier les relances. « Avec ce système, on passe de 25 minutes argumentées à
50 par heure, sans que l'opérateur en souffre, au contraire », précise David
Magidas. En effet, un opérateur travaillant en manuel passera une partie de son
temps à composer des numéros et à se retrouver face à un signal occupé ou,
pire, au son stridant d'une porteuse de fax. « En prédictif, il est beaucoup
moins stressé, puisque ne lui arrivent que les appels utiles, et il sera deux
fois plus profitable. De plus, avec un standard Numéris, la connexion au numéro
est quasiment instantanée », affirme David Magidas.
Prédictif : pour les particuliers et le B to B ?
Certains pensent que l'appel
prédictif ne se justifie pas en émission d'appels B to B, un appel vers une
entreprise aux heures ouvrables ayant de grandes chances d'aboutir. D'autres,
comme Marc Rémusat, estiment qu'il se justifie. « Un appel sur quatre vers une
entreprise n'aboutit pas dans les temps voulus. Le standard des entreprises est
souvent saturé, ou alors un serveur vocal vous fait patienter, ou, autre cas de
figure, vous êtes redirigé vers une boîte vocale. Avec le prédictif, la machine
raccrochera et rappelera plus tard, d'où un net gain de productivité. » Un
bémol cependant pour le prédictif vers les particuliers. « Il faut que la
profession se mette d'accord pour aboutir à 0 % d'abandons d'appels. En
moyenne, un Français reçoit un appel par an à vocation commerciale ; aux
Etats-Unis, c'est une fois par jour. Si l'on ne veut pas que les particuliers,
qui sont souvent équipés de répondeurs, choisissent de ne pas décrocher à
l'appel, il faut nous ressaisir », précise Marc Rémusat. Rien de plus
désagréable en effet, que de décrocher son téléphone pour rien. Ce qui se
produit lorsque la machine a lancé trop d'appels et qu'il n'y a plus
d'opérateur disponible.
Anticiper les désirs du client
« Une autre application liée aux appels sortants devrait
prendre prochainement de l'ampleur. Elle sera liée à l'anticipation des désirs
du client. » Pour Didier Suzanne, « les outils de datamining associés au
datawarehouse devraient pouvoir déclencher des alertes préventives. » Certaines
banques sont déjà équipées de programmes qui leur permettent, en intégrant les
mouvements sur le compte, de s'apercevoir que le client va bientôt être à
découvert. Un appel sortant permettra de prendre contact avec le client et de
lui proposer un contrat pour un crédit revolving. Ou encore, lorsque les
mouvements indiquent que le client va déménager, on pourra l'appeler pour lui
indiquer où se trouve l'agence la plus proche de son futur domicile. En
attendant, les enquêtes de satisfaction menées par téléphone représentent un
excellent investissement. « Le gain de temps par rapport au mailing est très
important, estime Claude Biton. Pas besoin de corriger l'échantillon, il est
automatiquement validé. Pas de NPAI. Les remontées sont nettement meilleures.
»
Gestion de crise
Cette instantanéité de l'appel
sortant permet d'envisager toutes les situations où le temps de réponse importe
le plus. La gestion de crise, notamment. Tel constructeur automobile devant
rappeler une série de véhicules dont une pièce vitale est défectueuse. Les
opérateurs de téléphonie mobile également, dont les taux d'attrition - le
non-renouvellement des contrats - augmentent et qui font face à une saturation
de leur réseau. Ils pourront savoir en temps réel quel est leur taux de
satisfaction. D'autres marchés devraient s'ouvrir. Ceux des opérateurs de
chaînes par satellite ou les câblo-opérateurs. Ces études leur permettront de
négocier le référencement de leurs fournisseurs pour les programmes de
téléachat. Ou encore serviront d'argumentaires afin de recruter des insertions
publicitaires pour les nouvelles chaînes.
Voix sur IP
« Nous recommandons à nos clients de regrouper appels sortants et entrants,
explique Philippe Adrover, directeur régional Europe du Sud de Point
Information Systems. Cela permet de rebondir sur une situation et de modéliser
le meilleur moment pour faire une proposition. » En fait, le centre d'appels du
futur sera sans doute multimédia. Appels entrants et sortants seront
indissociables. Mais ce seront aussi bien des appels vocaux que des fax, des
e-mails, des commandes par le Web ou même du courrier qui seront réceptionnés.
En sortie, ce seront aussi ces mêmes canaux qui seront employés. Pour preuve,
les internautes peuvent déjà, sur certains sites de vente électronique, appuyer
sur un bouton et notifier l'heure et le jour auxquels on peut les rappeler. Et
très bientôt, lorsque la bande passante de l'Internet le permettra et que la
téléphonie sur Internet et Intranet - la voix sur IP- sera totalement au point,
il sera possible de prendre contact par la voix avec les consommateurs de
commerce électronique.
Bayard Presse : le prédictif pour fidéliser
« Interligne aura 20 ans en 1999 : c'est le service de marketing téléphonique du groupe Bayard Presse. Nous traitons environ 500 000 appels sortants par an. Nos activités : la vente, la fidélisation et la prospection, pour le compte du groupe ou d'autres titres. » Pour Caroline Plaignaud, directrice d'Interligne, le téléphone est un média qui permet d'aller à la rencontre des clients. Ce centre d'appels, équipé de la solution Hermes Pro de Vocalcom, emploie 100 personnes et réalise un chiffre d'affaires de 20 millions de francs. Et, si environ 35 % de son activité est destinée à des opérations externes pour la presse et l'édition, il sert surtout, au travers d'études et de prétests de primes, à écouter les suggestions des lecteurs de la presse Bayard. « Nos titres se vendent surtout sur abonnement ; c'est pourquoi nous avons voulu créer un réseau qui nous permette de mieux sentir les réactions de nos lecteurs, vis-à-vis des aménagements de nos journaux », ajoute-t-elle. Des études qui ne servent pas qu'aux services marketing ou commerciaux : « Une fois par mois, les résultats de nos études sont remontés vers les journalistes. » Pour améliorer la productivité, le recours aux appels prédictifs est couramment utilisé. Pour chiffrer son apport, Caroline Plaignaud prend en compte le nombre de ventes payées par rapport aux fichier d'adresses de départ. « Sur les opérations vers les particuliers, le prédictif permet d'améliorer le rythme des ventes de 30 à 50 %. » Et d'ajouter : « Il faut environ deux mois pour apprendre à gérer le prédictif. Au début, nous avions beaucoup d'appels non-aboutis, mais comme nous voulons fidéliser, les prospects que nous n'avons pu joindre sont relancées le mois suivant ; il s'agit d'exploiter au mieux le fichier. »
Le B to B en émission chez Schneider
Chez Schneider Electrique, société spécialisée dans la distribution électrique et le contrôle industriel, le service commercial est organisé en fonction du type de clientèle : artisans, installateurs, grands comptes, PME/PMI, réseaux de distributeurs. Depuis cinq ans, un centre d'appels de 6 à 8 personnes est chargé de la qualification des fichiers marketing, de la détection de projets et de la création de trafic sur des manifestations. « Nous faisons beaucoup de qualification de fichier, explique France Assal, responsable du télémarketing. Nous vérifions les raisons sociales, l'identité des interlocuteurs, nous en profitons pour faire un inventaire du parc des clients ou prospects afin d'en découvrir le potentiel. » Un moyen aussi de détecter des projets en faisant parler l'interlocuteur sur son métier ou son secteur d'activité. « La saisie de ces informations se fait en ligne grâce au logiciel Marketic One de Marketic Conseil », précise France Assal. Ces informations - nature du parc, projets de créations de site... - sont immédiatement intégrées dans la base de données marketing. En matière de création de trafic, le recours aux appels sortants se justifie pleinement. « Les retours sont bien meilleurs qu'avec un mailing. Sur un mailing de 800 adresses, nous pouvons tabler sur 70 coupons récupérés en une semaine. Avec le phoning nous validons 100 réponses positives en 4 jours. Un mailing, on le met de côté, il se perd ou ne touche pas le bon interlocuteur. Au téléphone, la réponse est immédiate. L'interlocuteur apprécie la personnalisation du message. On sait pourquoi il vient à la manifestation. » Et, si la réponse est négative, la base de données s'en trouve également enrichie. France Assal apprécie l'ergonomie de Marketic One en matière de scripting. « Quelquefois, les interviewés répondent aux questions avant qu'on ne les pose ! Il faut alors pouvoir se retrouver rapidement dans l'arborescence du questionnaire. La navigation dans le logiciel est très souple. » Prochaine étape de ce centre d'appels : la réception d'appels. « Nous viendrons en appui du réseau, pour être plus proches de nos clients. Car Schneider semble parfois un peu inaccessible », conclut France Assal.
Dun & Bradstreet : relance et recouvrement par téléphone
Depuis quatre ans, Dun & Bradstreet traite ses opérations de relance et de recouvrement pour le compte de ses clients entreprises au sein de sa société Collectel. « Nous intervenons en amont, peu de temps après l'échéance de la facture, voire avant. Les relances se font plutôt à l'amiable », explique Christian Manzanero, responsable du service de gestion des relances chez Collectel. Le centre d'appels dédié à ces opérations, doté de huit positions, est équipé de PhoneFrame Explorer de Melita International, une solution client serveur sous OS/2. Concrètement, les entreprises clientes de Collectel fournissent leurs fichiers de clients à relancer avec un planning préalable des appels. Un automate prédictif gère les fichiers, numérote l'appel, vérifie qu'il a abouti. La connection CTI permet la montée de la fiche client vers le téléopérateur. Un service rentable ? Sans doute, car sa tarification est basée sur le nombre d'appels argumentés : bonne personne contactée et facture contrôlée. « La plupart de nos clients - des clients habituels de Dun & Bradstreet ayant de gros volumes de factures à traiter - sont récurrents. Pourtant, notre intervention se borne à solliciter un règlement chez eux. Elle s'inscrit dans une démarche visant à réduire le déficit client. Nous ne procédons pas au recouvrement en lui-même », ajoute Christian Manzanero. Pour les entreprises clientes de Collectel, internaliser ce type de service impose de forts investissements tant en hommes qu'en matériel et son externalisation se justifie pleinement.