114 : prévention contre le racisme "ordinaire"
A l'occasion des Assises de la Citoyenneté et de la Lutte contre les discriminations, le Premier ministre a annoncé le 18 mars 2000 la création d'un numéro gratuit à disposition des personnes faisant l'objet ou étant témoins de discriminations à caractère racial. Le 114, traité dans un premier temps par Sida Info Service, et disponible depuis le 16 mai dernier, connaît un succès inquiétant.
Mis en place par l'Etat, le 114 a deux finalités : l'information des
appelants, victimes ou témoins de racisme, et le signalement des situations
discriminatoires auprès des pouvoirs publics. Le service, dont le rôle a été
défini par deux circulaires ministérielles, émanant des ministères de la
Justice et de l'Emploi et de la Solidarité, travaille en liaison avec les Codac
(Commissions Départementales d'Accès à la Citoyenneté), chargées des
traitements et suivis des situations signalées. Sida Info Service (SIS) a
remporté l'appel d'offres réalisé dans le cadre d'un marché public, et portant
sur la prise en charge, six mois durant, de la plate-forme téléphonique. La
gestion de celle-ci sera reprise à partir de janvier 2001 par le Groupe d'Etude
des Discriminations, groupement d'intérêt public. Le service emploie 19
salariés dont 13 écoutants et quatre chargés d'accueil, tous recrutés niveau
bac + 4 ou plus, avec des profils variés : psychologie, économie sociale,
juridique. Ils bénéficient d'une formation initiale d'une semaine, suivie de
points réguliers et d'une réunion hebdomadaire. Le service est équipé d'un
Autocom Alcatel 4 400 (ACD V2), avec 3 positions pour les appels de premier
niveau (accueil) et 7 positions pour les appels de second niveau (écoute). La
gestion des débordements est assurée par un disque d'attente.
Jusqu'à 80 % d'appels parasites
Quatre salariés sont
affectés à l'accueil, durant cinq heures et 30 minutes par jour. Il s'agit de
procéder à l'orientation des demandes et de filtrer des appels périphériques
qui peuvent atteindre 90 % du trafic total. Le deuxième niveau porte sur le
signalement des situations discriminatoires. Il est géré par 13 salariés, à
l'écoute six heures par jour. « Nous recevons en moyenne 5 000 appels par jour,
chiffre assez stable en dehors des périodes de rush liés aux passages TV,
explique Etienne Marty, coordinateur du 114. Environ 3 500 sont décrochés et à
peine 10 % passent en second niveau. Nous enregistrons de 30 à 70 signalements
de discriminations avérées par jour auprès des Codac. Un total de 2 200 a été
atteint entre le 15 mai et le 1er juillet. Je suis consterné par l'incivisme
révélé par la proportion d'appels parasites, qui représentent jusqu'à 80 % du
trafic. Contre 3 % en Belgique dans des services de téléphonie sociales chargés
de missions analogues. » 89 % des appels de premier niveau décrochés, le sont
en moins de 20 secondes, ainsi que 60 % en deuxième niveau. En cas de
saturation de la file d'attente de premier niveau (au-delà de cinq minutes), le
message d'accueil est suivi d'un message de dissuasion. La durée des appels
auprès des écoutants, dont le rôle est l'information, et non le traitement de
cas, est de huit minutes en moyenne. L'anonymat des appelants est garanti,
cependant il peut être levé dans un cas de figure : lorsque l'appel porte bien
sur un cas de discrimination, si l'appelant accepte d'être identifié et de voir
son cas traité sous l'égide de la Codac. Une fiche nominative est alors
établie, comportant des informations détaillées sur la nature des
discriminations et les coordonnées de l'appelant. Ce dernier recueille
l'engagement ferme d'une prise de contact sous deux semaines par la Codac. Il
est trop tôt pour analyser le traitement des dossiers pris en charge, mais la
démarche constitue une véritable nouveauté dans le cadre des services publics,
peu habitués à aller au-devant des administrés. Pour l'instant, les fiches de
signalement sont transmises aux Codac par fax sécurisé dans les 24 heures
suivant l'appel : aucune saisie informatique des données n'est assurée, mais
des démarches ont été engagées auprès de la Cnil afin de respecter les
dispositions de la loi Informatique et libertés. La communication auprès du
grand public a été assurée dans la presse écrite et depuis septembre des
affiches et des dépliants sont diffusés dans les lieux d'accueil relevant des
services publics : collectivités locales, agences pour l'emploi, hôpitaux...
Qui appelle et pourquoi ?
La ventilation des motifs de recours au 114 reflète des problèmes variés : 30 à 40 % des appels concernent l'accès à l'emploi ou à la vie professionnelle, 20 % l'accès au logement, 10 % les relations avec la police ou les forces de sécurité, 10 % les relations de voisinage, 6 à 7 % l'accès aux boîtes de nuit et aux restaurants. Les appels concernant l'Education Nationale font l'objet d'appels, mais en nombre assez réduit. Plus de 50 % des appelants sont âgés de 35 à 50 ans, soit une moyenne beaucoup plus élevée que dans la plupart des autres services de téléphonie sociale. 60 % d'entre eux sont des hommes, ce qui est également inhabituel. L'origine géographique des demandes reflète assez fidèlement les bassins démographiques de l'immigration en France, avec au premier rang l'Ile-de-France, suivie des départements du Nord, du Rhône et des Bouches-du-Rhône.