« Amorcer des changements au sein du groupe »
Vous avez été appelé en 2001 pour créer et développer le service clients de l'activité courrier. Quel est le cahier des charges qui préside à ce chantier ?
Il y a 12 grands projets à La Poste. La
création du service clients en est un, à la fois énorme et complexe. Il s'est
agi de rationaliser le service, de procéder à un changement d'équipe interne,
de créer l'organisation de projet, de choisir l'assistance à maîtrise
d'ouvrage, de bâtir un schéma directeur, d'ouvrir la réflexion vers d'autres
sphères que la réclamation - comment gérer une crise, comment polluer le moins
possible le client, comment s'engager auprès du client - et pourquoi pas vers
des chantiers qui puissent améliorer le processus.
Aujourd'hui, qu'est-ce qui existe au sein de l'activité courrier en matière de relation client ?
Le projet auquel nous réfléchissons part de ce qu'on
appelle ici les "entités récurrentes". La plus importante d'entre elles est
celle de Libourne, qui emploie entre 150 et 160 personnes et dont la fonction
principale est de traiter les objets non distribués et des lettres non
acheminées pour la clientèle des particuliers - avec une prestation entreprises
en deuxième niveau de traitement. Il n'y a pas de centre d'appels à Libourne,
on y travaille uniquement en back-office. Nous avons ensuite créé une fonction
service clients entreprises, avec un centre d'appels ouvert en novembre 2001 à
Champs- sur-Marne, qui fonctionne en expérimentation. Il emploie aujourd'hui 19
téléopérateurs, deux chefs d'équipe et un responsable que je viens de recruter
à l'extérieur, à la Propreté de Paris. Enfin, nous sommes en train de monter un
troisième centre, plutôt orienté entreprises, à Saint-Dié dans les Vosges, qui
ouvrira en avril avec une vingtaine de téléopérateurs et va employer à terme 50
personnes. Au total, le service clients compte 224 positions de travail.
Quels sont aujourd'hui les numéros d'appels mis à disposition des particuliers et des entreprises ?
Le 0820 80 8001 (Indigo) pour
les entreprises, qui arrive aujourd'hui en premier niveau sur le centre de
Champs-sur-Marne. Les particuliers peuvent quant à eux appeler leur bureau de
Poste ou les "cellules Azur", c'est-à-dire en fait huit ou neuf centres
d'appels, de dimensions très variables, éclatés dans les régions. Je crois
qu'elles traitent 1 600 appels par jour.
Quelle est la teneur du projet auquel vous travaillez ?
Nous partons du "récurrent".
L'objectif est d'arriver à un système réunissant trois sous-plaques
complètement interchangeables et invisibles pour le client, Libourne, Champs et
Saint-Dié. Nous aurions un seul centre d'appels virtuel entreprises-grand
public, dédié au contact client et au suivi courrier. Avec un ou deux numéros,
nous n'avons pas encore arrêté notre choix. Aujourd'hui, nous sommes sur trois
niveaux de délai pour le traitement des réclamations courrier : 48 heures pour
les bureaux de Poste, 21 jours pour Libourne, et deux semaines de plus pour le
médiateur. Dans la future configuration, nous écraserions ces différents
niveaux de traitement : tout serait traité entre 12 et 15 jours, en consacrant
plus de temps aux entreprises et en gérant le grand public de manière
industrielle. Tout cela va impliquer un changement au niveau de Libourne, qui
deviendra une plaque à la fois back-office et front-office. Et l'on
transférerait une partie de la compétence back-office de Libourne à
Champs-sur-Marne et à Saint-Dié. Ce que nous devons faire maintenant, c'est
créer un centre d'appels à Saint-Dié, et faire monter en puissance le centre de
Champs.
Quelle est aujourd'hui l'activité sur le site de Champs-sur-Marne ?
Les chiffres sur le trafic entrant ne sont
absolument pas représentatifs dans la mesure où nous sommes en phase
d'expérimentation. Nous recevons 800 appels par jour, contre 600 au lancement.
C'est encore très peu. Le potentiel est beaucoup, beaucoup plus important. Il y
a à La Poste plus de 2 000 vendeurs qui sont, tous les jours, en contact avec
la majorité des entreprises. Et, normalement, le premier réflexe d'une
entreprise, c'est encore d'appeler son conseiller commercial. L'objectif du
centre d'appels, c'est d'éviter cela. Le centre d'appels doit être le point
d'entrée. Mais sans jamais être une entité suffisante à la relation client. Ce
que l'on veut, c'est garder une latitude pour que le commercial, à partir d'un
premier contact en appel entrant, puisse se déplacer chez les grands clients.
Avez-vous imposé des règles de productivité ?
On n'en
est pas là. On est plutôt dans l'effet inverse, avec un sous-dimensionnement
des appels. Aujourd'hui, dans un milieu industriel classique, on pourrait
doubler le nombre moyen d'appels traités par les téléopérateurs de
Champs-sur-Marne. Il est de 80 appels par jour. Je crois que l'on peut aller
jusqu'à 130. 96 % des appels sont décrochés en moins de 15 secondes. La durée
moyenne de traitement est de 3 minutes. Et le taux d'appels suivis supérieur ou
égal à 98 %.
Quelle sera la finalité de ce futur service clients en réseau ?
A La Poste, nous partons de l'aval, autrement dit des
réclamations. Ce qui rend les choses plus difficiles pour monter un service
clients parce qu'il faut remonter le fleuve à contre-courant, et le courant est
parfois fort. Un service clients ne peut pas traiter que les réclamations. Ce
n'est pas parce que l'on dira au client que l'on a perdu sa lettre qu'il sera
content. La réclamation, elle vient trop tard. Il faudrait pouvoir influer plus
sur l'amont et sur les process. Peut-être la nouvelle organisation courrier au
sein de La Poste, qui pourrait s'organiser davantage vers une différenciation
par business units, par exemple par grandes gammes de produits, nous aidera en
ce qu'elle mettra davantage les process sous contrôle. Ma philosophie en
matière de service clients, c'est de déclencher le moins de bruit possible sur
le client. Et ce, aussi, en rationalisant les zones d'émission de bruit, par un
meilleur contrôle de nos produits. Aujourd'hui, à Champs-sur-Marne, 92 % des
demandes sont des demandes d'information. Dans une société complexe comme La
Poste, avec sa multiplicité de produits, ses différents niveaux d'information,
ça n'est pas une surprise. Il y a toujours quelque chose qui change et la mise
à niveau de l'information du client est nécessaire. Et ça veut bien dire que le
premier but du centre d'appels, ça n'est pas de traiter la réclamation.
Et sur ce site de Champs, la phase d'expérimentation correspond-elle à ce que vous aviez prévu ?
Non, ça ne se passe pas comme nous
l'avions imaginé. Les réclamations existent, mais elles ne sont pas simples à
capter. Nous sommes une entreprise complexe où les points de contact avec le
client sont nombreux. On a pris l'habitude de gérer les réclamations en direct
avec les clients. A Champs-sur-Marne, nous avons de ce fait un petit problème
de remontée d'information sur les réclamations. Mais ça commence à décoller.
138 réclamations ont été enregistrées en traitement depuis novembre. Et, même
si on s'oriente vers des plaques en réseau, on sait très bien qu'il y aura
toujours de l'autorégulation sur le terrain. On sait aussi que dans les univers
complexes, on ne peut pas tout centraliser. S'il y a quelques réclamations qui
continuent d'être traitées sur le terrain, ce n'est pas grave. Je dirais
peut-être même au contraire. Que c'est peut-être ici une de nos forces :
arriver à traiter les réclamations en les autorégulant. En voulant monter un
modèle complètement rationaliste, on peut aussi tout casser. La réclamation,
c'est peut-être un vecteur de discussion. En fait, on a beaucoup de mal
aujourd'hui à connaître le comportement, la relation à la réclamation.
Et les appels sortants, la vente ?
Nous irons
peut-être, à terme, vers un rapprochement entre ces centres de contacts et la
télévente. En fait, nous nous sommes aperçu - mais nous ne sommes pas les seuls
- que l'acte de traitement de la réclamation est proche de l'acte de vente.
Quand on résout un problème, on peut vendre quelque chose. A Champs, nous
réalisons quelque chose comme 2,3 millions d'euros par an et sans l'avoir
organisé, de manière "naturelle", en vente au rebond. Mais nous n'avons, par
exemple, jamais exploité l'appel sortant dans les creux d'activité. Il y aurait
ici toute une organisation à mettre en place.
Comptez-vous aller vers la polyvalence ou la spécialisation des équipes ?
Le
regroupement va nous permettre de faire des économies d'échelle et de traiter
différentes cibles en réorganisant les niveaux de compétence des téléopérateurs
afin de créer une chaîne d'évolution des carrières. En sachant qu'à La Poste,
nous ne sommes pas dans les niveaux de turn-over de 25 à 30 % comme ailleurs.
Nous sommes largement en dessous de 5 %, ce qui n'est pas forcément une bonne
chose. L'encadrement vient de La Poste, mais les téléopérateurs ont été
recrutés à l'extérieur. Plus on ira dans le quantitatif, plus on pourra créer
des différenciations dans la définition des compétences et des spécialisations
sur les centres de contacts. Sans aller dans la spécialisation des plaques, ce
qui serait dangereux.
A quelle échéance le service clients en réseau verra-t-il le jour ?
Dans deux ans, beaucoup de choses
seront faites. Mais il m'est très difficile de donner une échéance. C'est à la
fois un projet très prioritaire pour le président et le directeur général de La
Poste, et très complexe, avec peu de moyens en ce qui nous concerne. A
Champs-sur-Marne, nous avons d'abord mené l'expérimentation pour les
Hauts-de-Seine. Nous voudrions, en deuxième phase, l'étendre à plusieurs
départements : les autres départements de l'Ile-de-France, la Haute-Garonne, le
Rhône, le Nord, la Loire-Atlantique, un peu partout où le tissu d'entreprises
est dense. L'expérimentation grand public-entreprises commencera pour sa part
en septembre sur la délégation Est.
Quel est le degré d'information au sein du groupe quant à ce projet de service clients ?
Les
personnes les plus informées de l'état de nos réflexions sont celles qui sont
les plus proches de moi. Aujourd'hui, nous ne faisons pas de divulgation en
direct des informations. Il s'agit d'un chantier tout nouveau en pleine
maturation intellectuelle et en pleine expérimentation.
Quels outils utilisez-vous sur le centre d'appels de Champs-sur-Marne ?
Nous avons certaines bases de connaissances mais tout n'est pas informatisé. Et
il n'est pas du tout sûr que nous le fassions. Je n'en vois pas l'intérêt. Il
ne me paraît pas idiot que le téléopérateur utilise un classeur. Je ne suis pas
sûr non plus que l'on aille vers le CTI. Aujourd'hui, nous travaillons avec
Conso +. Le CRM viendra bientôt. C'est Siebel qui a été choisi.
L'implémentation commencera plutôt par une phase grands comptes et ensuite on
l'étendra au service clients autour de 2005 ou 2006. Nous venons de choisir un
grand cabinet conseil, qui nous accompagnera sur trois ans dans l'assistance à
maîtrise d'ouvrage et intégration.
L'une des ambitions de La Poste n'est-elle pas de faire du service clients un aiguillon stratégique ?
C'est le but. Mais vous vous rendez compte d'un but... : on
devrait partir d'un service réclamation, aller voir les commerciaux, leur dire
- je simplifie : « Vous ne travaillez pas bien, vous êtes mal organisés... » Il
faut le faire sans éveiller les susceptibilités. Mais l'objectif, c'est
d'amorcer des changements, socialement acceptables, politiquement acceptables
au sein du groupe. Autrement, ça n'a aucun intérêt. Si la mission m'a
intéressé, c'est pour cela. Mais on n'ira jamais dans le changement radical.
Les choses bougeront avec les moyens qu'on a, par petites couches.
Biographie
François Notelet, 39 ans, est ingénieur, diplômé de l'Ecole des Mines. Il débute sa carrière chez Thomson en tant que chef de projet, avant de rejoindre Vivendi Universal comme patron de centres de profit dans le domaine de l'environnement. Il devient ensuite manager de transition (plusieurs missions de restructuration d'activités de services au sein de grandes entreprises, dont France Télécom Entreprises). En 2001, il est "chassé" pour prendre en main le projet de service clients de La Poste.
L'activité Courrier de La Poste
- La Poste est le numéro 3 du marché européen du courrier et vise une part de marché de 10 % du courrier international mondial dès 2003. - 9,9 milliards d'euros de chiffre d'affaires. - 100 000 facteurs. - 25 milliards d'objets distribués chaque année. - 75 millions de plis adressés par jour. - Forte croissance du courrier publicitaire. - 95 % du courrier émane des entreprises, 65 % est destiné au grand public. Les grands comptes représentent 54,8 % de l'activité.