Les marques manquent encore de cohérence dans la personnalisation de leur offre
Publié par Stéphanie Marius le - mis à jour à
Afin de fonder un ressenti et une expérience, les marques entretiennent des temps d'échanges réguliers et continus avec leurs clients. Pour évaluer l'efficacité et la qualité de ces échanges, l'Institut de la qualité de l'expression a créé le quotient d'attractivité de l'expérience client.
Le quotient d'attractivité de l'expérience client prend en compte six critères linguistiques déterminants. Il s'attache par exemple à répondre aux questions telles que: l'internaute se sent-il accueilli? La langue de la marque est-elle signée et possède-t-elle un style? Les occasions d'échange avec le client sont-elles distinctives par rapport aux concurrents? La personnalisation de l'offre est-elle bien irriguée, vivante et attrayante?
A l'heure des data et de l'hyperpersonnalisation, la personnalisation de l'offre est devenue le refrain du discours des marques.
Les diverses façons de personnaliser l'offre vers le client
Une personnalisation par segment
Pour les marques, souvent, la personnalisation se fait d'abord sous forme de messages pensés pour chaque cible. Ainsi, le service bancaire Revolut personnalise son offre en fonction de ses deux cibles principales, les particuliers et les professionnels. Tout comme la compagnie d'assurance SMA qui distingue les "professionnels du BTP" des "autres professionnels" et des "particuliers". Ces derniers sont ensuite divisés en micro-cibles: "famille, cadre dirigeant, futur retraité et retraité, étudiant et jeune actif." Il en va de même dans la cosmétique, Mustela s'est choisi deux cibles prioritaires: les jeunes mamans et les femmes enceintes.
Une personnalisation reliée aux situations particulières vécues par les clients
Partir des besoins spécifiques des clients pour offrir des produits et services adaptés et sur-mesure, voilà une manière autre et efficace de personnaliser l'offre. Dyson relie son offre aux problèmes rencontrés par ses clients. Picard surgelés joue sur l'intimité et personnalise son offre en parlant au consommateur lors des fêtes et saisons qui rythment sa vie, la Saint Valentin, avec le catalogue de recettes "hot les coeurs", l'hiver avec la "collection soupes".
Une personnalisation confiée au client
A l'heure de l'empowerment, le client aime décider. Il sait mieux que personne ce qui lui convient, il connaît ses préférences et ses contraintes. Alors, pourquoi ne pas le laisser personnaliser lui-même services et produits?
Pour mieux choisir les tarifs qui lui correspondent, le client peut, chez Total Direct Energie, simuler sa propre consommation. Il peut aussi surveiller et gérer lui-même sa consommation via cette appli. La jeune marque de cosmétiques Aime Skincare affirme à ses clientes que leur beauté dépend d'elles seules: "Il ne s'agit pas d'être la plus belle, il s'agit d'être le plus vous-même". Aime enjoint ses clientes à prendre leur beauté et leur vie en main et parle à chacune en lui demandant de vivre sa singularité.
Une personnalisation qui s'exprime de façon privilégiée dans certains secteurs
Le luxe rend le consommateur unique. A objet ou service exceptionnel correspond une expérience ultra-personnalisée. Pour l'horloger Patek Philippe, la rareté et l'unicité sont au rendez-vous. La marque affirme que "chaque montre Patek Philippe est aussi unique que son propriétaire". Posséder une Patek Philippe fait vivre une expérience rare: "une Patek Philippe, c'est un objet personnel, unique, auquel se rattachent de précieux souvenirs".
Les marques de luxe ont souvent joué sur la corde sensible de l'hyperpersonnalisation. Quelles ne sont pas les créations de Gucci, Vuitton et autres grands du luxe que nous ne pouvons customiser? Le luxe fait de la rencontre avec le client un moment particulier. Ainsi le joailler Courbet, pour mieux personnaliser son accueil, reçoit dans son appartement de la Place Vendôme. Chez Carven, le client peut être accompagné dans ses achats par son " personal shopper.
Une personnalisation par le biais d'une information privilégiée conçue pour le client
Pour personnaliser leur relation avec le client, les marques offre des expériences à vivre et n'hésite pas à faire preuve de pédagogie. Dyson organise des "Beauty Academy" pour initier un à un les coiffeurs à sa technologie de sèche-cheveux. Les assurances SMA explique dans une vidéo didactique "qu'est-ce que l'assurance-vie?". Aime Skincare rencontre et informe ses clients en boutique et en ligne via ses master classes et ses ateliers. Mustela nourrit de manière personnalisée les échanges sur Facebook, la langue est concrète et utile, une conversation naturelle s'installe avec les clients.
Une personnalisation qui implique le client
Le quotient d'attractivité de l'expérience client de l'Institut de la qualité de l'expression publié en 2019 soulignait déjà que Sosh, ING, Booking, Accor hôtels avaient mis en place des tests et des programmes de bêta-testeurs pour solliciter l'avis personnel du client. Impliquer le client afin d'améliorer l'offre existante, c'est pour les marques lui donner un rôle d'inspirateur et le faire personnellement participer. Le programme "RevP bêta" de Revolut cherche à identifier les anomalies de l'application. Revolut le dit clairement "devenez un RevP bêta et aidez ainsi à améliorer nos cartes de paiement".
La personnalisation et le langage
Revolut utilise injonctions et questions pour interpeller le client et l'encourager: "aidez-nous à introduire des comptes radicalement meilleurs dans le monde" ; "comment vous pouvez aider?".
Le fournisseur d'énergie Total Direct Energie se glisse à la place du client et utilise la première personne pour impliquer et solliciter: "quelles économies vais-je faire?"; "quelle est l'offre la mieux adaptée à mes habitudes de consommation électrique et de gaz?".
Un style et une langue qui cherchent à établir une conversation intuitu personae
Pour personnaliser leur offre, les marques se doivent d'éviter un dialogue indistinct. Chez Total Direct Energie, on interpelle personnellement le client et on le pousse à converser: "avec l'Appli de Total Direct Energie, discutez avec votre conseiller via messagerie instantanée!", "échangez avec nous sur vos usages pour faire vivre les projets énergie dont vous rêvez".
Sur Instagram, Aime Skincare invite sa communauté à échanger et, en période de confinement, vient solliciter l'avis de ses clients: "quels contenus aimeriez-vous avoir cette semaine?".
Une langue de la relation qui incite à faire revenir le client et installe une relation sur la durée
Faire sentir au client que l'on désire le revoir est primordial pour fidéliser et installer une relation de confiance dans le temps. Certaines marques montrent au travers de leur langue le soin qu'elles apportent à la relation créée sur la durée. Gucci n'hésite pas à faire savoir: "nous restons à votre disposition pour toute aide supplémentaire". Mustela propose pendant le confinement des séances de yoga et encourage ses clientes: "nous avons hâte de vous y retrouver". L'horloger Patek Philippe veut, quant à lui, instaurer une relation qui dure sur plusieurs générations. Sa baseline, "Jamais vous ne posséderez complètement une Patek Philippe. Vous en serez juste le gardien pour les générations futures", laisse sous-entendre que la marque accompagne le client de génération en génération.
Mais dans l'ensemble, peu d'expressions et de tournures viennent signer la langue. Peu de phrases montrent que les marques cultivent une relation attentionnée sur le long cours. Il y a de simples essais. Les formules de civilité sont souvent absentes, la relation s'ouvre mais n'est pas entretenue, où sont les phrases telles que "nous espérons vous revoir", "à bientôt" ou encore "avec joie, à votre service"?
A la recherche d'un ton de marque
Quant à la cohérence et la signature de leur langage, les marques commencent simplement à évoluer. Revolut sait l'utilité d'avoir un ton et affirme sur son blog: "le ton de marque est là pour aider à ce que lorsqu'un consommateur rencontre une marque, on s'adresse à lui sur un ton qu'il puisse reconnaître et avec lequel il se sent en confiance".
Il est rare de trouver une unité de ton sur l'ensemble du langage de la marque. Picard surgelés trouve par moment le ton juste, mais ne réussit pas à l'installer dans toutes les occasions de relation avec son client. Complice lorsque la marque partage une recette ou présente son nouveau catalogue de produits - "on ressert qui?" -, le ton devient neutre, voire distant quand Picard aborde les sujets de santé et de nutrition- "une veille permanente des risques liés aux zones de production".
Des accroches pour un début de signature sémantique
On trouve des expressions et des phrases courtes qui signent ponctuellement le langage, mais cela ne construit pas une charte sémantique. Le verbal branding dont on nous parle tant n'a pas encore pris beaucoup d'ampleur. Et si ces phrases d'accroche viennent capter l'attention et donner le ton comme le "c'est pas Versailles ici" de Total Direct Energie ou les phrases de Picard telle: "nous déposons vos courses au pied de votre congélateur", tout n'est pas encore relié, ni constant, dans ce ton créé. Il faudrait que les marques possèdent des "newsrooms", des chaînes d'organisation éditoriale et des écoles internes de langage.
Si les marques trouvent des modes de personnalisation judicieux, le langage qui les incarne n'est pas encore à la hauteur. Les marques peinent à caractériser un ton qui signerait leur offre.
Jeanne Bordeau est présidente de l'Institut de la qualité de l'expression.
Extrait de l'étude de l'Institut de la qualité de l'expression, "Le quotient d'attractivité de l'expérience client", parue fin mai.