#CXParis: Comment réinvestir le lien relationnel
Publié par Stéphanie Marius le - mis à jour à
Stéphane Hugon sociologue et cofondateur d'Eranos, explique l'importance du lien relationnel et réfléchit aux possibles apports de l'expérience relationnelle coréenne pour les marques occidentales.
"Ce qui traverse nos sociétés en Europe et en Asie est la question du lien", annonce Stéphane Hugon, cofondateur du cabinet de conseil Eranos, spécialisé dans les transformations relationnelles et sociétales. Aux yeux de l'expert, pour bien comprendre les spécificités de la relation client, il faut étudier ce qui, fondamentalement, s'est transformé depuis les 15 dernières années. En effet, toutes les relations se sont modifiées, y compris dans le cadre privé. "Au cours des dix dernières années, nous avons vécu des drames qui ont modifié les relations sociales", rappelle Stéphane Hugon.
2008-2010, tout d'abord. La crise financière, bancaire, a un réel impact sur la confiance. Auparavant spontanée et immédiate, elle est remise en cause. 2015 ensuite, et les attentats à Paris: dans l'imaginaire occidental se joue la fin de lu sentiment d'invincibilité, juge l'expert. 2018-2019 et la crise des gilets jaunes créent une mise en cause radicale du mythe du progrès. Une crise du lien social survient. Enfin, la crise sanitaire en 2020 montre au consommateur qu'il existe des événements que nous ne maîtrisons pas, susceptibles de modifier la relation que l'on entretient avec ses proches et ses clients.
Trois époques, de la pédagogie à la conversation
"Nous avons redécouvert que la relation sociale pouvait rimer avec l'hostilité, analyse Stéphane Hugon. Depuis l'après-guerre, les citoyens pensent que les marques leur veulent du bien et que les grandes institutions les protègent. Il leur appartient de les défendre: consommer et travailler, c'est prendre parti." Le sociologue distingue trois époques. Durant la première, la marque savait mieux que nous ce qui était bon pour nous. Le rapport entre une marque et ses clients reposait sur la pédagogie. La deuxième époque a vu s'instituer un rapport de glorification. La marque promettait de faire vivre une expérience extraordinaire. Enfin, le troisième temps est celui de la conversation: le client sait aussi bien que la marque ce qui est bon pour lui. Le digital renverse les rapports de force et provoque l'empowerment du consommateur. Il faut alors trouver des technologies permettant de rétablir une relation d'égalité et de coproduction entre la marque et le consommateur.
"Le luxe entretient traditionnellement une relation client pédagogique ou glorificatrice, explique l'expert, mais certaines marques ont mené des actions de coproduction." De même, Air France, recrée une relation de connivence entre ses clients avec le rétablissement de la première classe. "La différence de qualité entre la business classe et la première n'est pas énorme, la valeur se joue ailleurs, ajoute Stéphane Hugon. La relation implicite entre les quatre ou huit personnes de la première classe est coproductive d'une expérience dont la marque sera l'animateur et le garant. Cette triangulation fournit une expérience dont tout le monde est partie prenante."
Quid du sentiment de vulnérabilité?
Autre point d'attention, l'accroissement du sentiment de vulnérabilité. "Les clients sont fragilisés dans leur expérience, ils cherchent donc une sanctuarisation de l'acte consommatoire. La relation doit offrir une bulle dans laquelle le consommateur retrouve son insouciance. Cela modifie le dispositif relationnel, l'argumentation, les métriques et les indicateurs de satisfaction", indique le sociologue.
Une nouvelle approche pourrait s'inspirer de l'Asie, et, plus précisément, de la Corée. La culture est, pour les Coréens, une manière de prendre le dessus sur leur environnement. La Corée mise sur son soft power pour inonder le monde: e-sport, cosmétiques, digital, brand content, drama, kpop...."La Corée constitue un laboratoire d'expérience pour des tendances qui se développent ensuite en Chine. Les idées viennent de la Corée, le déploiement économique s'effectue en Chine", juge l'expert. La clé de la stratégie relationnelle coréenne: la personne individuelle est moins importante que la relation qu'elle entretien avec les autres. "Il y a, par exemple, une dizaine de manières de rendre la monnaie en fonction de la relation entre deux personnes, indique Stéphane Hugon. Dans la langue coréenne, degrés de relation existent, au lieu de deux en français. L'hospitalité, la confiance, la prise en compte du statut, l'engagement, sont naturels et donnent lieu au développement d'indicateurs spécifiques." Une façon de mettre en perspective la culture occidentale, centrée sur l'utilitarisme et l'ego.