La nouvelle donne de la formation à la GRC
Publié par Stéphanie Marius le | Mis à jour le
Pérennisation de l'apprentissage et du travail à distance, constitution de communautés d'apprentissage, innovations via la réalité virtuelle et la reconnaissance vocale... Les services clients ont su tirer parti de la crise pour renouveler leur approche en termes de formation initiale et continue.
Il y a presque un an, plusieurs leaders de l'outsourcing, dont les collaborateurs étaient fraîchement basculés en télétravail, expliquaient à la communauté comment parer au plus pressé en matière de continuité de la formation. La situation de télétravail s'est pérennisée, à tel point que le groupe Sitel développe plusieurs MAXhubs, des centres dédiés exclusivement à la formation et à l'animation des collaborateurs, notamment à Athènes et Romainville, en région parisienne. Une nouvelle organisation qui fait la part belle au digital: "50% des modalités de formation sont aujourd'hui digitales, alors que le numérique ne représentait qu'un tiers des apprentissages avant la pandémie", indique Valéry Ngyuen, general manager EMEA au sein de Learning Tribes, entreprise spécialisée appartenant au groupe Sitel.
Pour s'adapter et alors que leur budget formation connaît parfois une baisse, les services clients fragmentent et diversifient les modules, favorisent la formation de communautés d'apprentissage: "Une formation qui ne respecte pas ces principes multiplie par trois le risque de décrochage ou de non-exploitation de la matière pédagogique", précise Valéry Nguyen, pour qui la bascule en travail à distance constitue un "point de non-retour".
1. Tester la réalité virtuelle et la détection du langage
Les innovations pédagogiques les plus marquantes en matière de gestion de la relation client concernent la réalité virtuelle, via un casque ou, plus simplement, sur desktop. "Nous avons commencé à expérimenter la réalité virtuelle au travers de pilotes pour nos séminaires d'intégration en région Hauts-de-France, indique Joséphine Damelincourt, directrice talent management et WHU de la région France (groupe Webhelp). Nous travaillons aussi sur cette dimension expérientielle pour des secteurs d'activité particuliers, comme le monde du voyage." De même, l'enseigne PicWicToys, issue de la fusion entre PiwWic et Toys'R'Us, prévoit de mettre en place un système de formation des vendeurs via des casques de réalité virtuelle, en partenariat avec la start-up WiXar. Les participants se trouvent plongés dans un rayon virtuel en magasin et doivent gérer les demandes des clients. Leurs réponses et leurs gestes sont analysés et permettent de valider le scénario en temps réel.
De façon plus poussée, certains acteurs proposent des technologies de reconnaissance vocale permettant de percevoir les réponses de l'apprenant et d'y adapter automatiquement le scénario. Le robot simule les questions d'un client, une technique intéressante pour aborder des situations complexes ou stressantes pour le conseiller. La start-up Pitchboy propose notamment ce type de développements. En parallèle, certains acteurs, à l'instar de Learning Tribes, développent des podcasts. "Le fait de capter un seul canal d'attention apparaît parfois plus approprié qu'un parcours digital classique pour l'acquisition de soft skills", précise Valéry Nguyen (Learning Tribes). Selon le dirigeant, ces canaux comportent deux écueils: les points vus via la réalité virtuelle nécessitent d'être repris par un manager afin de passer de la compétence à la connaissance, et la reconnaissance vocale pèche pour analyser les nuances de langage (tics de langage non identifiés, accents non reconnus).
2. Oser le learning community management
Une nouvelle tendance concerne la création de communautés d'apprentissage au sein des centres de contact et services clients, via des plateformes dédiées, une technique baptisée "learning community management". En effet, selon la pyramide d'apprentissage popularisée par le psychologue américain Kurt Lewin au début du XXe siècle, spécialisé dans l'étude du comportement, un apprenant ne retient que 5% d'un cours magistral, contre 50% lorsqu'il s'agit d'un groupe de discussion et 90% s'il enseigne immédiatement ce qu'il a appris à d'autres personnes.
Pour manager efficacement une communauté apprenante via une plateforme digitale, Learning Tribes recommande de nommer un collaborateur assimilable à un webmaster, capable d'organiser les échanges et de réaliser régulièrement des bilans thématiques. Il s'agit de mettre sur pied des challenges individuels ou par équipe et de mettre à disposition des contenus pédagogiques complémentaires. Parmi les bonnes pratiques recensées, il importe de mettre sur pied une charte de modération des contenus, claire et peu restrictive, afin de ne pas décourager les discussions. Par ailleurs, le learning community manager doit identifier plusieurs rôles clés parmi les participants: l'influenceur ou expert du contenu, spécialiste d'un thème et capable d'en faire la promotion auprès de ses pairs, l'avocat (manager incitant son équipe à participer), le mentor (peu sollicité, il représente la vision de la direction) et le technicien, chargé d'expliquer le fonctionnement des outils.
3. S'approprier des formats plus fragmentés
Alors que de nombreux conseillers sont placés de manière durable en télétravail, les entités de formation ont dû opter pour des formats brefs et plus interactifs. "Le blended learning [mi-présentiel, mi-distanciel] demeure possible dans cette nouvelle configuration, juge Joséphine Damelincourt. Nous travaillons avec du "pré-work": éléments de mise en contexte comportant des vidéos, des lectures, mis à disposition des apprenants en préambule de la formation."
Les classes virtuelles, pour leur part, permettent de réunir de six à huit conseillers. Il ne s'agit plus de dispenser un cours mais de revenir, ensemble, sur les éléments vus durant la phase de "pré-work". "Il faut développer un catalogue de formation "pick and choose", en fonction des besoins", explique Joséphine Damelincourt. En effet, selon les mesures effectuées par Learning Tribes, un module de formation ne doit pas dépasser cinq minutes, incluant une introduction d'une à deux minutes. "Nous observons un raccourcissement de l'attention des collaborateurs en télétravail, tranche Valéry Nguyen. Il importe de favoriser encore l'immersion et la gamification du parcours de formation."
4. Assurer la continuité de la formation malgré un budget en baisse
Les indicateurs liés à l'efficacité des sessions et outils de formation sont suivis de manière plus rigoureuse, dans un contexte de baisse budgétaire liée à la crise de nombreux secteurs. Il importe de ne pas éloigner inutilement les conseillers de la production. Les KPI de production (durée, nombre de contenus visionnés) sont assortis d'indicateurs plus qualitatifs (réactions à un module, partages, idées émises), indiquant une montée en compétences du conseiller.
Par ailleurs, il est possible de transformer ponctuellement les managers en formateurs afin d'assurer une continuité pédagogique. Learning Tribes a ainsi ouvert une cellule "customer success manager" pour les accompagner. "Former les collaborateurs est en moyenne cinq fois plus coûteux que de diriger la formation vers les managers", explique Valéry Nguyen. L'autoformation constitue également un axe de travail: la plateforme Edflex propose ainsi un moteur de curation de contenus rassemblant articles, vidéos, podcasts, accessibles sous la forme d'une playlist. Enfin, certains acteurs, à l'instar de Webhelp, proposent de mutualiser les programmes de formation au sein de plusieurs pays, une autre manière de réaliser des économies d'échelle. "Toutefois, il faut apporter à chaque module un ancrage local", via des personas prenant en compte les particularismes régionaux, conclut Joséphine Damelincourt. Selon l'experte, mieux vaut réserver ce type d'approches aux formations managériales, réalisées en petits comités.