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Contact center : vers le grand retour de l'écoute active !

Publié par Raphaël Krivine le - mis à jour à

L'écoute des conversations entre conseillers d'un contact center et clients possède une valeur inestimable. Les dirigeants de grandes entreprises, ayant des plateformes téléphoniques, s'en rendent compte. Ils apprécient ainsi les visites terrain où ils peuvent faire de la double écoute à chaud et les mettent même en scène sur les réseaux sociaux pour souligner symboliquement leur orientation client. Et pourtant la pratique des écoutes au quotidien peut être vue par les opérationnels comme une contrainte pénible. Tentons de refaire le film... pour comprendre d'où on vient et en déduire où on va !

Par Raphaël Krivine, Directeur Relation Client et Distributeur, AXA Banque

Il était une fois l'écoute dans les centres d'appels ! Écouter et noter un subordonné remonte à la nuit des temps managériaux. Dans un commerce, le propriétaire, derrière le comptoir, montre l'exemple, écoute et corrige l'apprenti ou le jeune vendeur(se), en tenant compte de ses interactions avec les clients.

Au début de sa carrière, le visiteur médical fait sa tournée, accompagné de sa responsable qui, là aussi, le note et le coache lors des rendez-vous chez les médecins. Un coach stagiaire dans une salle de fitness est évalué par son ou sa coach plus expérimenté(e) qui assiste à la séance, écoute et note les différentes étapes (accueil, échauffement, work out...). Les professeurs, subissent de temps en temps la visite d'inspection en classe tant redoutée.

Et dans les centres d'appels ? On peut imaginer que, dès l'origine ou presque, dans les centraux téléphoniques au début du XXe siècle, les téléopératrices (les fameuses "demoiselles du téléphone") étaient écoutées et notées. D'autant plus que cela correspondait aussi au début de l'ère du management scientifique.

Et la tech s'est développée

Le métier des centres d'appels s'est sophistiqué petit à petit. Par exemple, l'organisation même des plateaux a évolué pour favoriser l'écoute par le manager de ses téléconseillers. Les classiques bureaux en marguerite (toujours fabriqués) permettent, d'une part, d'optimiser l'espace, mais d'autre part, au superviseur d'avoir un oeil en permanence sur son équipe, par exemple pour capter à la volée un appel conflictuel difficile à gérer, ce qui lui permet d'intervenir à chaud auprès du conseiller.

Dans les années 70 (voire plus tôt, il est difficile de trouver des dates précises), les casques de double écoute ont permis aux managers ou chargés de qualité d'écouter à chaud à la fois les téléopérateurs et les clients au bout du fil. Une avancée technologique qui a dû permettre de systématiser les écoutes à des fins de notation et de progression des employés.

Puis est venu le temps des systèmes d'enregistrement systématique des appels. On peut le dater aux années 80 : le leader israélien NICE, par exemple, est né en 1986, et l'américain Verint au début des années 90. Ces systèmes ont constitué une nouvelle avancée. La pratique des enregistrements a pu être contractualisée et utilisée à des fins réglementaires (dans la banque entre autres). Cela a permis aux managers et chargés de qualité de pratiquer l'écoute à froid. Plus besoin de s'asseoir à côté d'un collaborateur pour l'écouter.

Le manager peut organiser son temps comme il le souhaite pour réécouter des conversations, aussi bien à la suite d'une réclamation client qu'à des fins de notation et de coaching. D'autant plus que la mode des scripts écrits à l'avance s'est fortement développée à la même époque, que ce soit en appels entrants ou sortants. Ces scripts d'appels ont permis de standardiser les interactions et de favoriser la notation, mais au prix d'une certaine rigidité.

Un management bureaucratisé

La nécessité de réaliser des gains de productivité face à la concurrence sans sacrifier la satisfaction des clients, ainsi que la diffusion des méthodes modernes de management (par objectifs, mesure de la performance individuelle et collective, etc.), ont conduit à systématiser les écoutes dans les systèmes d'évaluation et de rémunération des téléopérateurs. Les managers et chargés de qualité sont alors devenus des rouages de ces systèmes.

La notation entre dans le calcul des bonus trimestriels ? Les managers devaient réaliser leur quota d'écoutes par conseiller pour la période considérée avec une date limite de remise des notations ! D'une écoute managériale, destinée à faire progresser le conseiller dans un souci d'efficacité et de satisfaction perçue par le client, on est passé progressivement à une écoute plus bureaucratique, avec le risque que le manager écoute... pour atteindre son quota d'écoutes du trimestre.

Un autre effet induit est qu'au cours de ces écoutes, l'attention peut être davantage portée à vérifier si le conseiller respecte les consignes et scripts d'appels qu'à écouter aussi le client qui, au cours de l'appel, émet peut-être des critiques ou suggestions, sources de progrès ou d'innovation.

Le télescopage du télétravail

Et la crise du Covid est arrivée en 2020 ! Du jour au lendemain, des milliers de téléacteurs et de managers se sont retrouvés isolés chez eux. Les pratiques managériales ont été bouleversées. Il a fallu réinventer à toute allure le management de proximité et recréer des rituels pour garder le contact avec les équipes.

Et quid des écoutes ? Certes, l'écoute "à froid" n'a pas été impactée par le télétravail. Mais qu'en est-il de l'écoute à chaud ? De facto, l'écoute spontanée sur les plateaux a été perturbée. Comment un manager peut-il être proactif de chez lui et aider un conseiller, lui-même en télétravail, en difficulté avec un client ?

L'IA chamboule tout

Le speech analytics, qui utilise l'IA pour analyser les conversations vocales entre clients et conseillers, est de plus en plus au point. Il permet désormais d'analyser avec une grande finesse les conversations avec les clients, jusqu'aux émotions exprimées par les locuteurs. Nous ne reviendrons pas sur l'ensemble des apports du speech analytics (voir ma tribune rédigée avec Damien Nuytens en janvier 2025 : "2030 : la relation client augmentée puissance 10 !".

Cette nouvelle technologie va révolutionner le contrôle qualité et permettre de s'assurer que les interactions respectent les règles et normes en vigueur dans l'entreprise. À l'avenir, cela deviendra une mine d'analyses systématiques plus riche en data que les écoutes aléatoires classiques réalisées par les managers ou chargés de qualité, fondées sur des échantillons forcément très réduits.

Le grand retour de l'écoute active

Certes, nous allons encore vivre quelques années de tâtonnement, d'essais et d'erreurs, de "test and learn" avant de trouver l'articulation idéale entre tech et approche humaine. Mais j'ai la conviction que l'écoute va redevenir une pratique des managers, bienveillante, appréciée et non subie. Dans les années à venir, une fois les outils de speech analytics parfaitement maîtrisés, l'évaluation des appels reposera probablement sur une combinaison de l'utilisation de ces outils et de l'intervention des managers dans le processus (définition des mesures, paramétrage, vérifications aléatoires, double contrôle en cas de contestation des conseillers, etc.).

Fini le temps des écoutes imposées pour les managers ("il me reste 30 écoutes à rendre pour la fin du mois !") et le temps fastidieux consistant à repérer des appels intéressants. Viendra le temps de l'écoute active (une approche habituellement utilisée en psychologie et management pour bien communiquer !).

L'écoute active "à froid" se concentrera sans doute sur les appels identifiés par le speech analytics (selon des critères perçus d'émotion, de durée inhabituelle, etc.). L'écoute active "à chaud" sera collaborative, tournée à la fois vers le conseiller et le client écoutés. Elle pourra être initiée par le manager ou déclenchée par une alerte en temps réel (à l'initiative du conseiller ou même de l'IA).

Elle sera aussi participative. Le télétravail a favorisé l'avènement des outils collaboratifs comme Teams. Désormais, Teams remplace le casque de double écoute ! Le conseiller partage son écran via Teams avec son manager, qui peut suivre (souvent à distance en raison du télétravail) non seulement la conversation avec le client, mais aussi tout le travail réalisé pas à pas par le conseiller (sur le CRM et les outils métiers). Et dans Teams, il y a la messagerie instantanée ! Le manager peut converser avec le conseiller pendant l'appel avec le client pour coacher en temps réel, en émettant des suggestions ou commentaires. Bref, la pratique des écoutes n'a pas fini d'évoluer.

À titre d'exemple, il y a quelques semaines, pour renouveler la pratique de l'écoute active, j'ai expérimenté chez AXA Banque un "listening time" avec la communauté d'une douzaine de managers. Pendant la même heure, chaque manager a écouté un conseiller différent à chaud, via Teams. Nous nous étions défini une grille d'écoute simple selon les critères de la promesse relationnelle d'AXA France (à l'écoute, engagé, orienté solution). Une fois l'heure écoulée, nous avons utilisé l'outil d'IA générative implémenté chez AXA pour synthétiser en quelques secondes les notes prises par tous les managers sur la soixantaine d'écoutes venant d'être réalisées et alimenter ainsi un debrief collectif à chaud !

On n'a pas fini de renouveler et de parfaire la pratique de l'écoute !



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