[Tribune] Tendances automne 2021 de la relation client: vidéo, conseiller fullstack, network center...
Publié par Raphaël Krivine (Axa Banque) le - mis à jour à
"La guerre est un accélérateur de l'Histoire", d'après la formule prêtée à Lénine. Si la crise de Covid n'est pas une guerre à proprement parler, elle a bel et bien accéléré l'histoire de l'industrie de la relation client. Faisons le point en cette rentrée 2021 sur 6 tendances durables.
Les tendances aujourd'hui à l'oeuvre dans l'univers de la relation client étaient déjà palpables début 2020 avant la crise... Elles se confirment!
Tendance #1: "Fix the basics ou la poursuite de l'optimisation de la vision 360 client"
"Fix the basics": alors que les start-up qui perturbent le jeu dans différents secteurs d'activité débarquent avec des architectures informatiques qui permettent nativement d'avoir une vision 360 du client, les acteurs traditionnels et leurs non moins traditionnels patrimoines logiciels (ou "legacy"), ne parviennent pas toujours à maîtriser suffisamment le sans couture, notamment les ruptures de parcours entre off line et on line, ce dernier ayant connu une accélération supplémentaire dès le premier confinement. Le conseiller au téléphone a-t-il instantanément la vision complète de l'historique des interactions du client sur l'application ou le site? Le client a-t-il accès à un tracking pour savoir où en est sa commande ou sa réclamation initiée par l'un des canaux accessibles? L'opération initiée via un canal peut-elle être finalisée via un autre? Ce sont des cases à cocher clés de la transformation digitale si ce n'est pas encore fait!
Tendance #2: "Accélération des usages des techs devenues matures"
Rien d'original à évoquer cette tendance consensuelle au coeur des stratégies de transformation dans l'ensemble des secteurs. Nous connaîtrons une accélération des usages de nouvelles technologies désormais matures comme:
-le recours au cloud (par exemple pour héberger les solutions de téléphonie),
-la vidéo face à des clients désormais fortement utilisateurs dans leur vie quotidienne (cf. le boom des applications comme Zoom pendant le premier confinement...): live shopping, interactions décuplée avec les conseillers en visio alors qu'avant la crise les consommateurs étaient encore réticents, etc.,
-le speech analytics,
-le recours aux bots,
-l'IA pour aller toujours plus loin dans l'exploitation des data, tant en matière de prédictif (nerf de la guerre pour les prévisions) que de connaissance des comportements des clients.
Tendance #3: "Le Love Brand Score (LBS) au-delà du NPS ou du CES!"
Dans une tribune précédente publiée par le site Relation Client Mag, je m'interrogeais sur l'avenir du NPS et du CES. Quel sera le prochain indicateur de satisfaction client? Et si un nouveau score comme le love brand score venait mesurer des dimensions plus émotionnelles? Les love brands sont ces marques qui développent une relation affective puissante, voire "amoureuse" entre elles et leurs clients. Ces marques ont pour leurs clients un supplément d'âme, un apport émotionnel bien supérieur aux notions de "fidélisation" ou "d'expérience client". Ma conviction: la relation client (et plus largement l'expérience client) a l'opportunité unique dans les années à venir d'apporter les touches émotionnelles qui peuvent faire de votre marque une "love brand".
In concreto, la crise du Covid a accéléré considérablement les usages digitaux, y compris pour les services financiers (d'après une étude Qualtrics, 14% des utilisateurs digitaux dans la banque étaient nouveaux en 2020). Par ailleurs le client, désormais adulte dans sa relation aux marques, est bien au fait de ce qui se passe dans l'arrière-boutique (il décode les règles, les hiérarchies des entreprises...). Alors quand il rentre en interaction avec un conseiller, souvent après avoir tenté tout seul dans un premier temps de réaliser son achat ou opération sur le site ou l'application, il attend toujours plus de perfection relationnelle et émotionnelle... D'où l'impératif d'authenticité et de capacité à apporter des solutions. Sinon à quoi bon interagir avec un humain si c'est moins performant et agréable qu'en faisant tout seul? Laisser une trace émotionnelle devient aussi un enjeu clé des directions relation client.
Comment mesurer le "LBS" (pour simplifier)? En posant par exemple une question comme: "Si le service client de la marque M n'existait plus, le regretteriez -vous encore longtemps après sa disparition?"
Tendance #4: "Du contact center... au contact network!"
À l'heure du Web (la toile d'araignée, le réseau par excellence!), à l'heure de l'hybridation "présentiel/distanciel" généralisée et des téléopérateurs travaillant chez eux à des centaines de kilomètres du siège, comment pourra-t-on encore parler durablement de contact center, de centre de relation client ou encore de plateforme, des mots qui signifient tous centralisation?! L'heure est venue du "contact network" favorisant une totale hybridation (plateformes, travail à domicile, mini hubs dans des coworking places, etc.). À titre d'exemple, la banque australienne Commbank a décidé de créer 90 agences hybrides, comme l'a repéré dans son article du 2/08/21 Patrice Bernard dans son blog de référence sur l'innovation dans les services financiers, "C'est pas mon idée". Ces agences seront converties en mini-centres d'appels à mi-temps. Après la pause déjeuner, les agences seront fermées et le personnel sur place renforcera les télé-acteurs des contact centers classiques.
En France, depuis 2020, Marionnaud, enseigne leader dans la distribution de cosmétiques, permet aux vendeuses d'échanger en visio avec les clients en ligne, à partir d'une fenêtre de chat qui s'ouvre dans le parcours e-business. J'ai tenté l'expérience en plein mois d'août. J'étais localisé dans le Sud-Est et me suis trouvé instantanément mis en relation avec une vendeuse d'un magasin... situé à Bordeaux. Autrement dit, Marionnaud décentralise la relation client! Je voyais la vendeuse déambuler dans les rayons de son magasin. Elle m'a proposé de conclure la vente au téléphone (et d'aller chercher la commande dans le magasin de mon choix). Les ventes ainsi réalisées sont probablement incentivées au même titre que les ventes en magasins. Il est à noter que Marionnaud a été récompensé au CX Awards 2021 pour ce service intitulé Allo Boutique, qui renouvelle la façon de faire son shopping en ligne.
Tendance #5: "Du conseiller augmenté au conseiller full stack!"
Depuis trois, quatre ans, on a beaucoup évoqué la notion de "conseiller augmenté", y compris dans la banque. L'idée: les conseillers seront inévitablement moins nombreux car remplacés par les algorithmes et les bots mais leur travail sera enrichi, "augmenté" par l'accès à des outils plus puissants à base de big date et d'IA. Des outils de simulation, d'accès à des bases de connaissance, de scoring... Mais cette notion reste en partie taylorienne: le conseiller augmenté demeurerait cet employé, muni d'outils informatiques surpuissants, qui doit traiter un flux de tâches (appels, messages...). Inspirons-nous d'un autre secteur: celui de l'IT. Avec l'avènement du mode agile, les développeurs "full stack" sont recherchés. Ils sont à même d'intervenir sur l'ensemble d'un projet, de sa phase de développement à sa phase de production (conception de l'architecture, intervention en front-end ou back end, conception de bases de données, maintenance, voir growth hacking). Et si les conseillers devenaient des conseillers full stack?! Des conseillers certes augmentés qui traitent classiquement les contacts entrants/sortants mais, au-delà, des conseillers capables de mener en autonomie des projets agiles, comme réaliser des tutos en vidéos pour expliquer une nouvelle fonctionnalité de l'application (comme ils savent le faire pour leurs loisirs, le soir ou le week-end, sur Instagram ou Tiktok!), des conseillers capables d'alimenter les FAQ, d'enrichir les bots, des conseillers qui animent des Zoom avec des groupes de clients, des conseillers qui reçoivent les clients en présentiel (cf. tendance #5)... Bref, des conseillers qui expriment tous leurs talents!
Tendance #6: "Vers le leadership libéré!"
Ne nous voilons pas la face. Les contact centers sont à l'industrie des services ce que les usines sont au secteur secondaire. Nous sommes les héritiers d'une longue tradition de taylorisme et avons été fortement influencés par la gestion industrielle dans l'industrie automobile japonaise (qualité totale, lean management). Nous pouvons aller encore sans doute plus loin. Pour retenir les talents, pour développer l'employabilité du secteur auprès des jeunes, pour enrichir les missions (les conseillers full stack), nous devrons pratiquer un "leadership libéré" (cf. mon article publié en juillet 2021 "Management Summer Session, 20 idées pour pratiquer un leadership libéré"), qui favorise la responsabilité, l'autonomie, l'expression, le bottom up, dans un environnement bouleversé par la pratique généralisée du télétravail. Chacun a un talent caché! Au management de faire éclore tous les talents.
L'auteur
Raphaël Krivine est directeur des opérations et relation client d'Axa Banque. Il a rejoint Axa en 2008, où il a été directeur de l'Épargne au sein de Direct Assurance puis directeur Internet et multi-accès d'Axa France, avant de prendre en charge la direction digitale d'Axa Banque et la direction de Soon, l'offre expérimentale de banque "mobile only". Il avait auparavant exercé des responsabilités dans les domaines du marketing et de la relation client au sein d'établissements financiers leaders (Caisse d'Épargne, Boursorama, ING Direct, Crédit Agricole). Raphaël Krivine est ingénieur et MBA du groupe HEC.