[Interview] "La transparence et l'authenticité sont les deux valeurs à respecter"
Publié par Propos recueillis par Marie-Juliette Levin le - mis à jour à
Comment séduire les jeunes consommateurs? Voilà un sujet d'observation permanent pour les marques. Intransigeants et exigeants, les ados imposent leurs modes de consommation, souvent paradoxaux. L'éclairage de Wided Batat, docteure et chercheuse en marketing expérientiel.
Vous êtes chercheuse en marketing. En quoi l'ethnographie peut-elle aider les marques à s'adresser aux jeunes générations?
L'ethnographie est issue des sciences humaines qui, appliquée au marketing, permet de décrypter les codes de la société de consommation et les intentions des consommateurs. C'est une approche centrée sur l'innovation qui va permettre de révéler "l'évidence cachée" chez le consommateur et capter le sens qu'il met dans ses pratiques. Une fois ces valeurs identifiées, la marque va se les attribuer pour se connecter à son public à la fois à travers sa communication mais aussi à travers l'usage des produits. Ainsi, elle connaît mieux son public.
Par ailleurs, l'ethnographie permet d'identifier la vraie problématique au-delà des questionnaires et autres focus groupes qui travaillent sur le discursif. Cette méthode permet de faire ressortir les paradoxes de l'être humain. Par exemple, sur le concept d'écoresponsabilité, un consommateur peut déclarer être pour le développement durable et, dans certains actes d'achat, privilégier des comportements qui ne sont pas toujours compatibles.
La marque devra tenir compte de ces contradictions. Enfin, l'ethnographie permet aussi de révéler les émotions durant l'expérience client en fonction du contexte et du point de contact avec les marques. La marque va promouvoir les bonnes, réparer les mauvaises et lever les obstacles à l'achat.
Comment les marques doivent-elles appréhender les "Youth cultures"?
Les jeunes consommateurs ne sont pas zappeurs mais plutôt adeptes d'expérimentations, à la recherche du sens et de la valeur qui les lient à la marque. À travers ce lien, la marque doit leur montrer qu'elle a compris leur univers et leurs codes. Cependant, elle doit parler à l'individu dans sa globalité. Les marques ont souvent du mal à comprendre les paradoxes de ces jeunes gens. Le jeune se construit à la fois dans une perte identitaire et dans la transgression. Il engage un processus expérimental avec la marque dans sa propre culture de consommation. La marque existe auprès des jeunes à travers des rites de passages (marques de luxe : mon premier sac Vuitton...) ou parce qu'elle permet un processus de socialisation valorisant dans un groupe (devenir expert Apple, par exemple).
Comment les engager et, au-delà, les fidéliser ? Quelles valeurs défendre pour une marque?
La transparence et l'authenticité sont les deux valeurs à respecter impérativement auprès des jeunes. Si on est une marque écoresponsable, il faut le dire, le prouver et le mettre en avant. La trahison est le point de rupture pour un ado qui le vit comme un manque de respect à son égard. Il peut alors se regrouper avec d'autres sur les réseaux sociaux pour la critiquer. La marque doit impérativement rester elle-même. Certaines adoptent une posture cool dans leur communication (tutoiement...) et, quand le consommateur se déplace en boutique, il est surpris par un accueil bien trop formel, éloigné de l'image qu'elle véhicule. Humour et créativité sont, par ailleurs, bien perçus. La marque doit devenir le compagnon du jeune consommateur.
À quoi aspirent-ils en termes d'expérience client?
Il y a une réalité "juvénile" qui n'est pas facile à capter dans l'approche générationnelle, elle reste efficace mais n'apporte pas un éclairage sur la complexité de ces publics. Cette génération a trois caractéristiques: elle est très digitale, elle est anxieuse du fait du contexte actuel et, enfin, elle cherche du sens et reste donc très sensible à l'engagement social et sociétal des marques. Les marques doivent les aborder à travers deux dimensions principales qui mêlent paradoxes, juxtapositions et fragmentations (cumul d'identités et de comportements). La marque doit capter ces tendances et y répondre à travers une offre unique en s'adressant aussi au jeune adulte en devenir. Quand la marque s'adresse à l'individu au-delà de la cible, elle noue une relation privilégiée. "Je sais que tu sais que je sais", peut devenir son leitmotiv.
Quelles marques ont réussi, selon vous, à créer ce rapport de connivence?
Ikea observe les habitants dans leurs appartements pour concevoir des produits adaptés à la vie réelle, au quotidien. SFR, à l'occasion du lancement de la "neuf box", met en scène dans sa communication un jeune en crise de nerfs ne pouvant acheter son jean préféré sur le web à cause d'une panne d'internet. Autre exemple, la marque Always a essayé de valoriser les jeunes filles en manque de confiance durant l'adolescence via sa campagne "Like a girl". L'idée est de capter la réalité avec ses imperfections, ses paradoxes et la traduire dans la communication.
Quel canal faut-il privilégier?
Les marques doivent designer une expérience client phygitale. Si je suis une marque cool, je communique sur Snapchat, TikTok, Facebook via des jeux, des vidéos... ce qui crée forcément des attentes chez le jeune consommateur. Il ne faut pas le décevoir et retranscrire cet état d'esprit dans le contact client. Enfin, il faut segmenter par culture et non par âge à travers quatre "Youth cultures" principales: l'enfanlescence (mélange entre enfant et ado), l'adonaissance (ado en devenir), l'adolescence et l'adulescence.
Biographie
Wided Batat est docteure et professeure-chercheuse en marketing expérientiel et digital. Elle dirige son cabinet d'études novatrices en market research & consumer insights, B&C Consulting Group, spécialisé dans les secteurs du luxe, du food, du well-being, des générations Y et Z et des Youth cultures.