Tribune : « L'expérience client, c'était mieux avant » ?
Publié par Julien Vieux-Vincent, directeur cabinet de conseil Bartle, expert de la relation client le - mis à jour à
La réinvention de la relation client, accélérée par deux années de pandémie, présente quelques paradoxes, avec une accélération de logiques digitales d'un côté et une volonté de réhumanisation progressive au gré de la levée des contraintes. Le slogan "l'expérience client, c'était mieux avant" pourrait-il alimenter un discours différenciant et séduisant sur le long terme ?
Alors qu'à partir de mars 2020 les marques ont rivalisé d'inventivité pour mettre en place des applications permettant d'essayer de nouvelles pièces vestimentaires dans une cabine virtuelle, de valider une commande en un clic et que l'on parle désormais d'un avenir fait de Métavers comme possible lieux de rassemblements et de partage, des « innovations » en matière de relation client consacrent le retour à des interactions plus classiques. On pense notamment aux caisses de supermarché où l'on peut (re) prendre le temps d'échanger, à rebours d'une recherche de performance et d'automatisation qui a souvent prévalu. Plus largement, le retour aux expériences humanisées et la reconnexion aux tissus locaux sont renforcés par un besoin de réassurance relationnelle, voire sociale, mais également par une opposition grandissante au tout digital, symbole de certains excès (surconsommation et bilan carbone) et source de méfiance (traitement des données).
La recherche d'une plus grande authenticité dans les actes de consommation s'explique aussi par une possible lassitude numérique et par les nouvelles sources d'irritations apportées par les ajouts technologiques. Leurs dysfonctionnements - même rares - pénalisent fortement les expériences qu'ils sont censés servir, et pas uniquement pour certaines catégories de clientèle dont la maîtrise intuitive des applications n'est pas acquise. Les promesses apportées par l'intelligence artificielle restent à ce stade très discutables, avec des robots conversationnels qui n'apportent souvent guère plus qu'un simple moteur de recherche et nous éloignent d'un véritable expert. Les récents canaux de discussion comme le chat se maintiennent dans un statut hybride entre le test et la généralisation, avec des temps de réponses éloignés des standards attendus, renforçant l'impression de gadgétisation de la relation client.
De manière générale, l'expansion du selfcare contribue à la perception de marques consommables, sans émotion particulière, pourtant terreau nécessaire à un attachement durable. Certaines informations essentielles sont devenues exclusivement « digitales », générant de fait une séparation forte entre des questions qui seraient « à faible valeur ajoutée » et des interactions « plus spécialisées ». Un nouvel équilibre, souvent instable, qui affecte les compétences des collaborateurs et leur capacité à nourrir des échanges complets, tout en les rendant dépendants, comme les clients, du bon fonctionnement des applications et des informations qu'elles délivrent. Cette rationalisation poussée des parcours apporte des progrès indéniables mais, sans compensation humaine en cas d'aléas, génère des situations de chaos qui nourrissent un narratif inquiétant au sein des avis en ligne sur les difficultés à joindre un interlocuteur compétent pour rétablir un service.
Il ne s'agit bien sûr pas de remettre en cause les véritables acquis en matière d'expérience client et les sources de simplification inépuisables apportées par le numérique, mais de rappeler que seul le bon dosage « humain x digital » permet d'enrichir les interactions. La courbe de maturité des organisations relation client explique en partie les déséquilibres : la recherche d'homogénéisation passe par la mise en place de normes strictes, réduisant intuition et souplesse des agents. En parallèle, certaines orientations envoient des signaux de désintérêt ou de marchandage excessif de l'interaction humaine : fin des conseillers attitrés, externalisation de certaines prestations au coeur des parcours clients, « scoring » systématique des points de contact, etc. Les marques de référence en expérience client, qui ont professionnalisé leurs approches, s'affranchissent des scripts, ré-injectent la confiance et l'autonomie nécessaires pour « dérobotiser » l'humain et encourager des interactions franches et nourries. Cette transition vers des traitements relationnels et émotionnels, impliquant de « prendre le temps qu'il faut » pour comprendre les attentes, accompagner, rassurer et apporter une réponse satisfaisante, porte ses fruits, avec des entreprises récompensées, autant en termes de prix de fin d'année que de parts de marché conquises. Pour le client, même friand de nouveautés, un certain retour aux sources peut bien être perçu comme un progrès...