[Enquête] Les services publics et numéros d'urgence jouent l'agilité
Publié par Christine Monfort le | Mis à jour le
Aux côtés des usagers-citoyens, les services publics et numéros d'urgence sont très sollicités par un public en attente d'autonomie et/ou d'accompagnement. La transformation digitale est une source d'innovation et de performance, à manier avec précaution, pour une expérience usager renouvelée et des services publics plus proactifs
« Bonjour, pensez à déclarer vos revenus sur impôts.gouv.fr. Besoin d'aide ? Appelez le 0809 401 401 », « Pollution de l'air par des particules fines le vendredi 25 mars en Seine-Maritime - procédure d'alerte (...) ». Ces SMS envoyés par la Direction générale des Finances publiques (DGFIP) le week-end précédant la date limite pour déclarer ses impôts ou par la Métropole Rouen Normandie lors d'un pic de pollution illustrent, comme d'autres, la volonté des services publics d'instaurer une nouvelle relation avec leurs usagers. Par une prévention bienveillante qui évitera aux distraits de se voir infliger une pénalité et en se montrant proactif avec des moyens ancrés dans le quotidien des usagers ou via des systèmes d'alerte modernisés... À Rouen, le Cell Broadcast ou système d'alerte sur mobile cohabite désormais avec les procédures traditionnelles qui s'étaient révélées largement insuffisantes lors de l'incendie de Lubrizol de septembre 2019.
Pour les services publics, le "VIP" doit être le citoyen le plus éloigné du service rendu. Les usages les plus autonomes pourront se tourner vers le digital en selfcare", indique Dominique Toubin, vice-président directeur des Ventes Indirectes chez Odigo.
Avec les services publics, la "relation usager" prend des dimensions très différentes de la relation client qui a cours dans le secteur privé ou marchand. Leurs services doivent être accessibles sur tout le territoire et à tous : « Il faut à la fois s'adresser à un très grand nombre de citoyens et hyper-personnaliser la relation pour détecter et entrer en relation avec les personnes en plus grande précarité ou sensibles. Le "VIP" doit être le citoyen le plus éloigné du service rendu. Les usagers les plus autonomes pourront se tourner vers le digital en selfcare », explique Dominique Toubin, vice-président directeur des Ventes Indirectes chez Odigo, éditeur de solutions CCaaS qui travaille avec plusieurs grands comptes publics, dont la Caisse nationale de l'Assurance maladie (CNAM) et Pôle Emploi.
L'image des services publics s'est assez nettement améliorée depuis 2018 avec la reconnaissance du droit à l'erreur. Dans le baromètre 2022 des services publics de l'Institut Paul Delouvrier, 73 % des usagers se disent satisfaits de leurs services publics. Trois d'entre eux se dégagent : les impôts (82 %), la santé publique (79 %), la police et la gendarmerie (78 %), la justice étant la plus mal notée avec seulement 60 % de satisfaits.
Rapprocher l'expérience usager et client
Cet indicateur reste un axe d'amélioration de plus en plus objectivé, même si les normes sont assez flottantes. « L'usager, tout comme le client, souhaite que son temps d'attente soit écourté et que son interlocuteur soit apte à répondre dès sa première mise en relation », rappelle Jean Reignier, président de Comearth. Les comparaisons ne sont pas toujours à l'avantage du public. « L'expérience usager est souvent très éloignée - notamment en termes de délais de réponse ou de suivi de dossier - de ce qu'un client peut rencontrer aujourd'hui avec la plupart des grandes marques largement digitalisées. La sphère publique rencontre ces enjeux de performance, de transformation, d'adaptation aux nouveaux usages et besoins sur un auditoire beaucoup plus large et disparate que celui de n'importe quelle entreprise privée », ajoute Fabien Adnet, directeur de la Division Secteur Public chez Webhelp.
La sphère publique rencontre des enjeux de performance, d'adaptation aux nouveaux usages et besoins sur un auditoire beaucoup plus large et disparate que n'importe quelle entreprise privée", explique Fabien Adnet, directeur de la Division Secteur Public de Webhelp.
La dimension politique est une autre donnée de l'équation. La Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), qui gère 45 millions d'appels par an, voit ses appels exploser à chaque évolution comme, en 2021, lors la réforme des aides personnalisées au logement (APL). Au lancement du pass sanitaire, le nombre d'appels à la CNAM est passé de 200 000 à 400 000 par jour, son pic historique. Difficile à gérer même pour les professionnels du BPO... « Le temps de l'annonce politique n'est pas toujours compatible avec la gestion d'un centre de contact car il faut former les agents à la nouvelle prestation, fait valoir Dominique Toubin. À la CNAM, la formation d'un nouvel agent dure plusieurs semaines. Nous avons mis en place un système d'accueil en langage naturel - le plus large en France - afin de qualifier plus finement la demande des usagers et les orienter vers les agents qui auront le bon niveau de compétence. »
Toute gestion de crise reste un défi. Comearth avait été contacté pour prendre en charge le support client du numéro vert lié à l'application #TousAntiCovid : « À ce moment, le donneur d'ordres n'était pas en mesure de fournir de prévisions sur le volume ni la durée de la campagne, témoigne Jean Reignier. Afin de garantir la qualité de service, nous ajustions quotidiennement les ressources humaines et techniques. Les flux étaient suivis en temps réel. Nous avons progressivement recruté, formé et managé plus de 250 collaborateurs. En janvier 2022, nous avons traité plus de 300 000 sollicitations. Notre production basée exclusivement en France a permis une réactivité et une agilité des équipes extrêmement rassurantes pour le donneur d'ordres. »
Un enjeu sur l'ergonomie des services
Les réformes successives des administrations ont abouti à la fermeture des guichets de la plupart des services. Le programme Action Publique 2022, lancé fin 2017, donnait la priorité à la transformation numérique des administrations pour dématérialiser l'intégralité des services publics à horizon 2022. Un objectif déjà bien engagé pour beaucoup de services - avec de très gros volumes à gérer, la DGFIP et Pôle Emploi ont été précurseurs - mais qui reste à manier avec précaution. Engagée dès 2016 et obligatoire depuis fin 2017 via la plateforme de l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), la téléprocédure pour obtenir une carte grise ou un permis de conduire et les délais observés avaient exaspéré les automobilistes ! « On a beaucoup dématérialisé en faisant simplement une transcription du papier sur le numérique. L'usager se retrouve souvent seul face à un formulaire sans la possibilité d'être aidé à un guichet, ce qui engendre anxiété et complexité. Il y a encore un travail à faire sur l'ergonomie des services et sur une meilleure exploitation de la simplification que peut apporter le numérique », assure Fabien Adnet. Désormais, la Direction interministérielle du Numérique (Dinum), entre autres, y travaille fortement.
Notre production basée exclusivement en France a permis sur le numéro vert de l'application #TousAntiCovid une réactivité et une agilité des équipes extrêmement rassurantes pour le donneur d'ordre ", exprime Jean Reignier, président du Comearth
Dans le réseau France Services, qui comptera quelque 2 500 espaces fin 2022, des agents aident les citoyens dans leurs démarches auprès d'un socle national de neuf partenaires, avec des informations de niveau 1 ou niveau 2 et l'accès privilégié à un référent chez chacun d'entre eux. Accessibles à moins de 30 minutes sur 95 % du territoire, ils ont accompagné plus de 8 millions de demandes depuis janvier 2020, traitées de bout en bout à 80 %. En mai, la DGFIP passe en tête des demandes, les questions sur les APL montent en septembre et l'accompagnement carte grise figure dans le top 5. Le taux de résolution s'est amélioré grâce au système de rendez-vous mis en place avec le Covid, qui permet d'anticiper les pièces à réunir. Le réseau va aussi à la rencontre du public : « Quand un tiers des personnes ne recourent à leurs droits, il est essentiel d'être présent sur place. Une centaine de bus France Services circulent en zone rurale et dans les quartiers de politique de la ville, en bas des tours. À Bordeaux, un triporteur électrique avec une tablette offre un premier niveau d'information », relate Alexandre Carlier, coordinateur qualité de service et animation du programme France Services à l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).
La (longue) route vers l'État plateforme
Dans cette transformation des services publics, les professionnels de la relation client peuvent être d'une aide précieuse. Webhelp a accompagné Pôle Emploi dans sa transformation pendant dix ans, après la fusion entre l'Unedic et l'Assedic, qui avait généré un nombre important de demandes de contact. « Ils se sont très vite rendu compte que seule la numérisation d'une partie des procédures permettrait de satisfaire l'ensemble des demandes de manière qualitative et de permettre aux usagers de toucher leurs justes indemnités en temps voulu, explique le directeur de sa Division Secteur Public. Nos conseillers ont progressivement accompagné l'usager dès le premier appel, pour l'assister sur l'outil numérique ou sur le fond de la procédure, et qu'il soit rapidement embarqué dans son projet de retour à l'emploi ». Désormais, plusieurs dizaines de milliers d'agents de Pôle Emploi sont déclarés dans les solutions Odigo pour entrer en relation avec les demandeurs d'emploi ou les entreprises et ils sont plus de 10 000 à la CNAM.
SAP a développé une solution CX "Référentiel citoyen unique" qui recueille la donnée citoyenne. « Nous l'accompagnons d'autres solutions marketing, sur la connaissance et la relation citoyen. Le service d'une ville qui s'occupe des taxes locales pourra par exemple avoir le même degré d'information et l'historique des interactions que celui qui gère le logement ou le service périscolaire », détaille Benoît Sivaramane, Sales Specialist SAP CX pour le secteur public. Un grand service public utilise une de ces solutions pour prendre en compte le feedback des usagers pour des enquêtes sur ses entreprises partenaires. « La gestion interne des enquêtes et leur contrôle centralisé permet d'exploiter les résultats en temps réel, d'adapter l'offre de services grâce à la prise en compte des résultats, d'anticiper les besoins des usagers et des autres parties prenantes », poursuit-il.
Demandé par une partie croissante du public, le selfcare n'a pas vocation à remplacer l'agent physique mais permet de proposer un parcours citoyen hybride personnalisé. Si les services publics montrent progressivement davantage d'appétence pour le cloud - dans le respect de la sécurité des données personnelles des usagers -, ils manquent souvent de ressources internes pour gérer ce type de projet et restent tributaires de données qui, aujourd'hui, sont pour beaucoup hébergées dans différents services. France Connect, le système d'identification des administrations en ligne, essaie de donner une forme de globalité et de multiservices à l'usager, mais l'État plateforme est encore loin d'exister...
«Travailler en réseau permet de monter des parcours spécifiques », déclare Marie Halsouet, coordinatrice France Services dans les Landes.
La maison France Services du Pays d'Orthe et Arrigans a été installé début 2020 sur un bassin de 24 000 habitants. Quel bilan tirer de ces deux premières années ?
Dans notre zone rurale, les services publics s'étaient retirés et une partie de la population est confrontée à un gros problème de mobilité. Ce guichet unique reçoit majoritairement des retraités ou des plus de 60 ans, mais aussi beaucoup de demandeurs d'emploi et de jeunes, très agiles sur smartphone mais parfois moins sur ordinateur. Sur ces territoires, le premier réflexe d'un usager consiste en général à s'adresser au secrétaire de sa mairie, les assistantes sociales font remonter des informations des partenaires, nos agents recensent les besoins... Travailler en réseau permet de monter des parcours spécifiques qui font sens sur la durée.
Quid des relations avec les partenaires et des évolutions à venir ?
La plupart assurent des permanences. Un webinar a été monté au niveau départemental pour échanger sur les cas pratiques. Les contacts avec la préfecture ont fait des besoins du côté de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Les labellisation passeront prochainement de 9 à 16 partenaires. L'ANCT et la Banque des territoires travaillent sur un référentiel pour que la saisie de nos statistiques devienne vraiment un outil d'analyse et de comparaiso des territoires.
3 questions à Isabelle Pheulpin, cheffe du service relations avec les publics à la DGFIP
Que recoupe la relation avec les publics pour la DGFIP ?
La fiscalité en est l'aspect le plus marquant. Il s'agit globalement de traiter des amendes, des factures locales ou des impôts. La fiscalité des particuliers a généré près de 12 millions d'appels en 2021 sur le numéro national non surtaxé. Les contacts à distance se font via la déclaration en ligne, ce numéro national ou la messagerie sécurisée. Nous sommes une des rares administrations à maintenir une stratégie de guichet, certes coûteuse mais qui participe de l'accueil que nous devons à l'usager. Des partenariats viennent en complément : avec France Services, qui dénoue la majorité des questions avec un accueil de premier niveau, ou avec les buralistes et la FDJ pour payer les amendes et les impôts locaux via un QR code sur facture, en cash ou en carte bancaire.
Comment les usagers s'approprient-ils cette stratégie multicanale ?
En passant à la déclaration en ligne, nous n'avons pas fermé la porte à la déclaration papier. Lors de la crise sanitaire, beaucoup de gens se sont mis au numérique et se sont rendu compte que ce n'était pas si compliqué. Avec la déclaration automatique mise en place en 2020, plus de 10 millions de personnes n'ont même plus besoin de signer. En deux ans, Internet, le téléphone et la messagerie sécurisée ont explosé, ce qui a entraîné une baisse spectaculaire du public qui se rend au guichet, avec un recul de 55 % au niveau national par rapport à 2019. La prise de rendez-vous physiques ou par téléphone génère un contre-appel qui permet à l'agent de répondre à la question ou de préciser les justificatifs à apporter. Sur les 300 000 demandes reçues en 2021, seules 150 000 ont abouti à des rendez-vous téléphoniques ou physiques, qui ne concernent plus que les dossiers qui méritent un examen plus approfondi.
Quelles sont les pistes d'amélioration ?
L'administration est souvent en attente des informations usagers. Le partage d'informations entre plusieurs administrations pour enclencher les démarches nécessaires à partir d'un événement de vie (naissance, divorce, décès...) est un enjeu interministériel et d'interfaces informatiques, et une piste intéressante pour que les services publics deviennent plus proactifs. La DGFIP connaît le revenu de référence des contribuables. Si la Caisse d'allocations familiales ou une collectivité locale avaient accès à cette information, l'usager n'aurait pas besoin de renseigner à nouveau son dossier. Cela prendra sans doute quelques années à mettre en place, mais c'est l'avenir de la relation usager.