Des consommateurs à la recherche d'une consommation plus locale et responsable
La crise sanitaire a renforcé les tendances de fond observées déjà en 2019, notamment dans l'alimentaire -devenu une valeur refuge- via le local et le bio. Néanmoins, le prix reste un critère incontournable dans le choix d'un produit pour une grande majorité de consommateurs.
Pour la première fois en France, en 2019, le climat s'est hissé en tête des préoccupations des Français, devant le pouvoir d'achat (sondage Ipsos, novembre 2019). 64% des sondés affirment avoir changé leur façon de vivre et de consommer, via le tri des déchets, l'achat de fruits et légumes de saison ou encore en diminuant l'utilisation de la climatisation et du chauffage. Cette prise de conscience citoyenne s'est renforcée par une année marquée par des records climatiques partout dans le monde et la médiatisation d'une jeune égérie, Greta Thunberg, incarnant cette mobilisation planétaire.
Pour 56% des Français, le consommateur est le premier acteur du changement de la société (baromètre Contributing avec l'Institut CSA, mai 2020). Les Français veulent une France plus équitable, citoyenne, verte et efficace, et dans cette France idéale, les marques ont un rôle à jouer. À cela s'ajoute la crise sanitaire du Covid-19 de ces derniers mois. "Le confinement a été assez propice à l'introspection pour une partie de la population, analyse Gaëlle Le Floch, directrice stratégique chez Kantar. Les individus ont pris le temps de réfléchir aux choses essentielles, au sens de la vie. Cette privation de la nature a permis de prendre conscience du manque que son absence peut engendrer. La priorité environnementale va ainsi s'exacerber chez les consommateurs les plus sensibilisés à cette problématique."
L'alimentation a constitué une valeur refuge: les dépenses alimentaires ont très fortement augmenté pendant le Covid-19, en devenant un marqueur social. 58% des consommateurs estiment que la crise sanitaire aura un impact positif sur leur manière de consommer, selon le baromètre Havas Paris Shopper (mai 2020). "Avant la crise, il y avait déjà deux manières de consommer: le fameux "moins mais mieux", prôné par les consommateurs qui dépensent plus que la moyenne en produits de grande consommation courante (produits alimentaires, d'entretien et d'hygiène-beauté plus responsables), pointe Gaëlle Le Floch. Ils veulent des produits bio, du vrac mais pas de promos, et font de leur consommation un acte parfois militant en prônant la déconsommation. De l'autre, des Français au pouvoir d'achat plus faible, qui peuvent ressentir une frustration de ne pas pouvoir acheter ce qu'ils voudraient. Pour les uns, leur combat est la fin du monde, tandis que pour les autres c'est plutôt la fin du mois."
Le renforcement de l'achat local et responsable
Néanmoins, demeure pour tous les consommateurs ce socle commun pour l'alimentation et l'attention particulière au choix et à l'origine des produits à travers le local et les circuits courts et dans la confiance du "made in France". "Bien avant la crise, l'envie de consommer local infusait déjà largement dans l'esprit des consommateurs, explique David Mingeon, directeur général adjoint de Havas Paris. Pour chaque achat, ils s'interrogent sur sa provenance, son impact écologique et sur ses qualités nutritionnelles pour leur santé. En révélant les fragilités de la mondialisation, la crise du Covid-19 est venue renforcer ce désir. Le local est associé à l'écologie, la transparence et la qualité."
Confinés pendant des semaines, les consommateurs ont pris conscience de l'importance des producteurs et des commerces de proximité à tel point qu'il devient pour eux encore plus essentiel qu'auparavant de les préserver. 92% des consommateurs se disent prêts à consommer plus qu'avant des produits locaux et 89% des produits artisanaux (Havas Paris Shopper). "C'est aussi une manière de revendiquer un modèle social qui rétribue plus justement ceux qui produisent, rejettent la concurrence déloyale, et dénoncent les circuits opaques, affirme David Mingeon. Plus qu'une mode passagère, consommer local est devenu pour certains un véritable mode de vie leur permettant de renouer avec des valeurs d'authenticité, de terroir et de savoir-faire."
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Cependant, les consommateurs ne semblent pas prêts à en payer le prix, le local est considéré comme plus cher que les grandes marques (68%) et seulement 58% considèrent qu'il apporte un meilleur rapport qualité-prix. "Nous observons une attractivité commune de la population française, une sorte de patriotisme pour les produits locaux, même si les motivations sont très disparates en fonction des catégories", pointe Gaëlle Le Floch.
Le dynamisme du bio
L'essor du bio est un des phénomènes les plus marquants de ces dernières années. Avec près de 12 milliards d'euros atteints l'année dernière, le marché du bio en France est devenu le premier en Europe, aux côtés de l'Allemagne. Les ventes ont progressé en un an de 13,5%. La grande distribution, qui représentait auparavant moins de la moitié des ventes, détenait 55% du marché en 2019.
Durant le confinement, le secteur a enregistré une augmentation de 8% des clients, des consommateurs qui, jusqu'à présent, n'avaient jamais acheté de produits biologiques. "La période de confinement a accéléré le phénomène bio et le fort intérêt des Français pour la production locale, saine et de qualité, tendances prégnantes dans les habitudes de consommation ces dernières années, note Pascal Ansart, associé au sein de Strategy&, l'entité de conseil en stratégie de PwC. Les marques et les distributeurs sont donc encouragés à travailler sur la transparence de la composition de leurs produits et la relocalisation de leur approvisionnement. Au-delà, les enseignes qui sauront le mieux tirer leur épingle du jeu seront celles qui sauront renforcer leur rôle social et sociétal."
Pour les acteurs de la grande consommation, tout l'enjeu réside dans cette double injonction à laquelle ils devront répondre: s'adresser à la diversité des consommateurs, aux modes de vie qui s'opposent, sur fond de crise économique et sociale. "Avant et pendant cette crise sanitaire, les discounters battaient de l'aile, note Gaëlle Le Floch (Kantar). Aujourd'hui, ils reviennent en force. Nous enregistrons des taux de croissance extrêmement importants. Nous constatons également dans les préoccupations affichées par les consommateurs que le pouvoir d'achat et le prix refont surface de manière importante. Pour autant, nous ne sommes pas du tout dans la configuration de la crise de 2008 : le bas prix, le hard discount. Les consommateurs ne regardaient absolument pas la qualité des produits. Aujourd'hui, émerge une véritable prise de conscience concernant la qualité des produits. La préoccupation santé continue à rester très élevée."
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